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    Je viens de terminer la lecture ce matin d'un grand classique de la littérature française, à savoir Le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo. Ce roman est un véritable plaidoyer contre la peine de mort alors en vigueur au moment où Hugo écrit, en 1829.

    Sur une petite centaine de pages, l'auteur nous raconte, par la plume du narrateur, qui n'est autre que le condamné lui-même – d'ailleurs dans sa première préface, Hugo laissait le doute planer quant à l'auteur de ces lignes, usant du subterfuge qui veut que l'éditeur ait trouvé quelques feuillets jaunis perdus dans un cachot, qu'il s'empressa de publier ou alors que l'histoire eut jailli de quelque poète bien informé sur les turpitudes de l'âme d'un condamné.

    Il faut préciser qu'à l'époque où l'auteur écrit, la peine de mort est un acte de justice sociale, qui vient punir et venger une action délictueuse, un crime impardonnable. Si la peine de mort est considérée juste, l'exécution de la sentence est une fête, qui regroupe badauds et curieux sur la place publique (en l'occurrence dans le présent ouvrage, il s'agit de la place de Grève à Paris).

    Ainsi, pour mieux comprendre et éprouver l'absolue modernité de l'œuvre et le progressisme profond de son auteur, il convient de bien mesurer le contexte social et historique dans lequel l'œuvre puise toute sa noblesse.

     

    A sa sortie, l'ouvrage fit grand bruit ! Hugo fut raillé comme un vulgaire poète illusionné, à la naïveté enfantine. Mais l'Histoire lui donna raison. Il avait juste eu le tort d'avoir raison trop tôt.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Avant de revenir sur quelques passages magnifiques de la préface de 1832 que l'auteur consacra à défendre l'abolition de la peine de mort avec une plume acerbe une prose magistrale à l'encontre de la justice, revenons rapidement sur l'œuvre proprement dite.

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    Hugo y relate les derniers jours d'un homme condamné à mourir. Pour donner corps et force à son récit, l'auteur ne situe ni le crime, ni l'histoire du personnage, afin de ne pas en faire un héros, un martyr, un personnage particulier, mais un individu quelconque, comme tout un chacun. Il ne fait que le récit bref (100 pages), multiple (49 chapitres) des pensées, sentiments, angoisse, espérances, doutes, peurs, désespoir de ce condamné à mort qui sait son sort fixé, la date et l'heure précises de sa mort programmée. Hugo décrit à travers la plume du narrateur les tourments qu agitent l'âme, les pensées contradictoires, la vanité des choses, bref la grisaille quotidienne des heures étranges qui vous séparent de la mort, où le personnel est étrangement aimable : curé, gendarmes, bourreaux. Ce qui fera dire à Hugo cette phrase devenue célèbre : « Ces bourreaux sont des gens doux », quand voulant couper les cheveux du condamné quelques minutes avant de l'amener à la potence, et croyant l'avoir écorché il lui demanda de bien vouloir l'excuser s'il lui avait fait mal.

    Mots simples, qui passeraient inaperçus dans un autre contexte, mais qui se chargent alors d'une ironie sordide, faisant ressortir la dimension tragique du lieu, de l'instant. Et de l'échafaud qui lui, sait que l'heure approche et que ce qui doit être fait là, sera fait là.

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    Le récit prend fin à quelques secondes du couperet fatal. Le condamné est sur l'échafaud, il lui reste quelques minutes de vie et il confie comme dernière volonté, vouloir un stylo et du papier afin de terminer son récit jusqu'au bout. Quatre heures sonne ; l'histoire prend fin.

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    Mais plus que le récit du condamné, ce qui m'a profondément marqué, c'est la seconde préface que fait l'auteur à son édition de 1832 (le premier ouvrage fut publié en 1829). C'est une véritable diatribe contre le système judiciaire, contre les juges et les politiciens. Hugo précise ici qu'il ne s'adresse pas aux intellectuels ou aux artistes mais aux hommes de lois, aux dialecticiens. « Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de lois, aux dialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment la peine de mort pour la peine de mort, pour sa beauté, pour sa bonté, pour sa grâce. » 

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    Pour donner corps à sa diatribe, Hugo fait ici le récit de trois ou quatre exécutions qui se sont « mal passées », notamment l'épisode suivant où le bourreau dut s'y reprendre à cinq fois, sans succès ... avant que son valet ne saute sur le supplicié pour achever de trancher avec un couteau la partie de la tête encore attachée au tronc tandis que l'homme était toujours en vie et hurlait de douleur.

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    Bref, la préface est d'une beauté tragique, où l'auteur critique l'hypocrisie des parlementaires, (à l'époque des illustres hommes furent condamnés : on décida alors de poser la question de la peine de mort ; on décida de l'abolir mollement, maladroitement, de manière vile afin de sauver ces quatre pauvres hommes, mais on enterra le dossier et tous les condamnés qui s'étaient cru sauvé de la mort eurent le plaisir de constater qu'il n'en était rien), la main ensanglantée de la justice, où il n'hésite pas à parler des juges comme des assassins.

    <o:p> </o:p>Ce passage où à propos du procureur royal voilà ce qu'il dit : « N'est-il pas vrai que tandis qu'il écrit, sous sa table, dans l'ombre, il a probablement le bourreau accroupi à ses pieds, et qu'il arrête de temps en temps sa plume pour lui dire, comme un maître à son chien : - Paix, là ! paix là ! tu vas avoir ton os ! »

    Une phrase mieux que tout autre résume le point de vue de l'auteur : « Sous la patte de velours du juge, on sent les ongles du bourreau. »

    <o:p> </o:p>

    Puis Hugo termine sa préface par une ouverture sur l'avenir, comme pour mieux prendre l'Histoire à témoin. Où il expose ce que devrait être la justice de son temps, sans aucun doute ce qu'elle sera demain. Où expose t-il, comme on peut regretter les rois, il demeure la patrie ; comme on peut regretter Dieu, il demeure la foi ; mais on ne pourra regretter le bourreau. S'y substituera une justice véritablement juste, qui ne prendra pas ce qu'elle n'a pas donnée. Qui ne vengera pas, ce n'est pas là son rôle, qui ne punira pas, ce n'est pas là sa seule fonction.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    Il est des moments où il fait bon relire certains classiques. Celui-ci en est un. Où l'on entend, plus ou moins sourdement résonner les pas sur l'échafaud. La peine de mort est une abomination. Non pas parce qu'elle tue (cela suffit déjà !) mais parce qu'elle est une insulte à la notion même de justice. Victor Hugo l'avait remarquablement bien repéré et décrit il y a plus d'un siècle et demi. Il est vivement conseillé de relire cet ouvrage (ou de le lire) et notamment cette magistrale préface.

    Lire Le dernier jour d'un condamné, c'est presque faire œuvre de salubrité publique.

    <o:p> </o:p>

    Cela m'a fait repenser à une situation récemment apparue. Si le père du petit Enis (je crois que c'était son nom) avait raison quand il disait vouloir que la peine de mort s'applique pour les tueurs d'enfants, il réagissait en tant que père, en tant que victime. Il était dans son « bon » droit. En revanche, le Président de la République, garant des institutions et du bon fonctionnement de la  Justice se devait de s'y opposer. A travers sa voix, c'est la Justice qui doit parler, pas l'homme.

    Je terminerai juste par cette dernière phrase empruntée à V. Hugo qui résume bien ce qu'est la justice et ce qu'elle doit continuer à être.

     « Mais reprend-on, il faut que la société se venge, que la société punisse. Ni l'un ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer »


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  • Les sociétés démocratiques se caractérisent selon Tocqueville (1805-1849) par l'égalisation des conditions, par l'égalité sociale qui supplante l'héritage héréditaire et biologique (notion de contrat social). A ce titre, l'école apparaît comme un instrument concret de réalisation de cet idéal démocratique, notamment depuis la massification de l'accès à l'enseignement secondaire et universitaire. Mais la généralisation de l'accès contribue t-elle véritablement à une démocratisation de la réussite? c'est la thèse que je développerai au travers de ce premier billet avant de compléter l'approche par un futur post.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p></o:p> I.                  La généralisation de l'accès
    <o:p> </o:p>

    La massification de l'enseignement qui s'est développé dans les années 60-70 s'est-elle accompagnée d'une plus grande égalité des chances ? Démocratisation et égalité des chances sont-elles corrélatives ?

    <o:p> </o:p>

    L'idée développée consiste à penser deux choses :

    -  l'enseignement permet la réduction des inégalités (émancipation, socle commun de savoirs qui "libère" l'individu et socialise à l'identique tous les élèves )

    - plus l'enseignement croît, plus grande sera la mobilité sociale.

    <o:p> </o:p>

    C'est suivant cette idée que s'est forgée le système d'enseignement en France. Dès le départ, on a deux systèmes : l'école primaire pour tous (Jules Ferry en 1881) et l'enseignement supérieur pour l'élite (Louis Liard). Respectant le précepte d'Aristote selon lequel une égalité réelle doit traiter inégalement les inégaux et également les égaux. Ainsi, deux systèmes voient le jour : un pour le peuple, un pour l'élite correspondant à l'enseignement secondaire classique.

    Soucieux de l'ouverture de l'enseignement supérieur, ils mettent en place un système de bourses dès 1880.  Entre 1880 et 1914, la France est encore rurale et paysanne à plus de 50%. Ce système de bourses a ainsi permis à certains enfants issus de milieux populaires d'accéder à l'enseignement supérieur.

    <o:p> </o:p>

    Mais c'est au sortir de la seconde guerre mondiale qu'un véritable système de démocratisation de l'enseignement se met en place (partout en Europe). Au début des années 60, on assiste à la généralisation progressive de l'enseignement secondaire Le secondaire s'ouvre aux classes populaires, puis le supérieur suit. Néanmoins, en 1960, on a encore 80% d'enfants de cadres supérieurs dans l'enseignement supérieur contre 5% d'enfants d'ouvriers et de paysans.

    <o:p> </o:p>

    En France jusque dans les années 60, on distingue deux systèmes séparés :

    -         système primaire (généralisé et donc ouvert aux milieux populaires)

    -         système secondaire (milieu bourgeois)

    Les deux ont longtemps été radicalement séparés. Puis l'enseignement secondaire va se généraliser à toutes les catégories sociales. On va supprimer le concours d'entrée en 6ème. Au début des années 70, on constate dans les faits la généralisation de l'accès au collège. Le rythme est variable et dépend des lieux et des milieux sociaux, mais il est prégnant.

    Il y a deux étapes dans cette généralisation de l'accès au secondaire :

    -         la première : vague collégienne (années 60-70)

    -         la seconde : vague lycéenne (années 70)

    On assiste alors à un mouvement global de démocratisation de l'accès au secondaire. Pour ne prendre que deux exemples, le taux de scolarisation des enfants de 16 ans était de 7,5% chez les agriculteurs exploitants en 1954 contre 98% en 1982. Chez les ouvriers, ce chiffre passe de 16% en 1954 à plus de 95% en 1982.

    <o:p> </o:p>

    ° Le taux de scolarisation augmente pour toutes les classes sociales. La durée de vie des jeunes dans l'enseignement croît avec le temps. L'école est donc de plus en plus une instance socialisante pour l'ensemble de la population juvénile.

    <o:p> </o:p>

    ° Si le taux de scolarisation reflète le degré d'inégalité des chances scolaires, on peut raisonnablement penser que celui-ci a fortement  diminué depuis 1954. En 1982, presque 100% des enfants sont scolarisés à 16 ans, toutes classes sociales confondues. La reproduction des inégalités aurait été confirmée si les taux d'arrivée, même en augmentant étaient restés proportionnels au départ. Mais il n'y a pas de translation de l'ordre sur les classes sociales. Au contraire on observe une déformation de la structure.

    <o:p> </o:p>

    A la lecture du tableau, on constate qu'il y a bien eu une démocratisation de l'accès à l'école et au secondaire depuis la 2WW. Certes l'école rendue obligatoire jusqu'à 16 ans a fortement contribué au renforcement des classes dominées dans l'enseignement. L'accession massive et démocratique à l'école permet aussi un meilleur contrôle social des populations. L'Ecole supplantant la famille dans l'apprentissage des savoirs, du savoir-faire et dans les connaissances.

    Néanmoins, derrière ce constat partagé d'une généralisation de l'accès, des études tendent à montrer qu'au sein du système d'enseignement, des inégalités persistent.  Au milieu des années 60, Bourdieu fait sensation avec son ouvrage Les héritiers dans lequel il montre comment la culture scolaire s'est appropriée arbitrairement la culture bourgeoise, créant un fossé de difficulté pour les enfants issus de milieux populaires afin d'acquérir le savoir et les connaissances légitimés par l'institution scolaire (violence symbolique, et domination inconsciente).

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>II.      L'Ecole : un instrument de reproduction sociale
    <o:p> </o:p>

    Ses études vont permettre de montrer que l'école reproduit les inégalités sociales. Ce qui importe c'est donc de savoir par quels processus l'école va reproduire ces inégalités.  L'école va offrir ce que la culture bourgeoise dominante propose. L'école va donc se révéler être un instrument de domination inconsciente des classes populaires.

    <o:p> </o:p>A.                             Un instrument de domination latent
    <o:p> </o:p>1.                              la culture scolaire ou la culture des classes dominantes
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu va mettre à jour les mécanismes de domination qui opèrent au sein de l'école. Il  va constater que le système scolaire adopte les mêmes schémas de pensée que la classe dominante dans l'évaluation des élèves. Ses études vont permettre de dégager des homologies (des manières de penser semblables) entre la classe dominante et le système scolaire. En effet, il va montrer que les représentations et les pratiques des classes dominantes sont semblables au mode de fonctionnement de l'école.

    Par exemple, l'école va privilégier et donc légitimer une certaine forme de « culture », axée sur la littérature classique, Zola, Flaubert, etc. Au détriment d'une autre forme de « culture » comme les BD, les romans de science-fiction, qui vont être considérés comme obsolète, comme des biens non « culturellement » légitimes. De ce fait, l'école s'empare des mêmes critères d'évaluation que la classe dominante qui elle-même privilégie la lecture de littérature classique, des grands auteurs plutôt que la « sous-culture » qu'est la BD par exemple.

    A ce titre, l'école va renforcer l'inégalité sociale en légitimant une certaine forme de culture, celle homologue aux classes dominantes. Si bien que des enfants de classe populaire devront faire un double apprentissage en rapport aux enfants des classes dominantes. D'une part, la remise en cause de leur « culture » de classe au profit de celles des dominants, d'autre part l'inculcation de nouvelles valeurs culturelles.

    <o:p> </o:p>

    Le phénomène d'acculturation

    Le rapport entre les différentes cultures provoque une acculturation aux conséquences inégalitaires. L'absence d'homologie entre classes dominées et classes dominantes s'engage dans un processus d'acculturation des dominés.

    Dans un premier temps, il y a « déculturation » de leur culture d'origine, de leur habitus incorporé, afin dans un deuxième temps, lorsque cela se fait, ils parviennent à accéder à la culture scolaire (culture bourgeoise) ce qui conduit à l'acculturation.

    <o:p> </o:p>

    La culture des classes dominantes va être transformée par l'institution scolaire en culture de référence, en culture légitime, objectivable et indiscutable. En réalité, cette culture scolaire n'a rien d'arbitraire dans ces choix. Mais ce qui se passe, c'est que l'école va destituer la culture populaire en la décrédibilisant aux yeux des élèves, au profit d'une culture plus propice aux classes supérieures. Ainsi, la domination perdure.

    <o:p> </o:p>

    On décrète ce qui est bon : ce qui est bon est ce qui est arbitrairement décidé par l'école : cet arbitraire correspond au même arbitraire que les classes dominantes ; la culture scolaire est une culture de classe dominante ; les élèves des classes dominées acceptent et intègrent les bonnes manières de penser, de se « cultiver » ; ils légitiment la culture scolaire ; la domination inconsciente, latente opère, ce que Bourdieu nomme la « violence symbolique ».

    <o:p> </o:p>

    De la même manière, la sélection des disciplines enseignées et jugées les plus méritantes comme le latin, le grec sont le produit de rapports de force entre classes sociales. A l'époque où Bourdieu fait son constat (années 60), les filières littéraires sont les plus honorables et privilégiées. Pour lui, cela montre bien la domination qui s'exerce au sein de l'école des classes dominantes sur les dominés, puisque la littérature est le bien culturel par excellence des classes supérieures. On pourrait critiquer son approche aujourd'hui, au vu de la filière scientifique qui est privilégiée sur la filière littéraire. Celle-ci se rapportant davantage à des aptitudes cognitives, non agrémentées de connaissances culturelles spécifiques, donc apparemment  socialement plus égalitaires (mais en revanche sexuellement différenciée).

    Mais l'accès au secondaire et aux études supérieures s'est grandement démocratisé depuis la fin des années 60, début des années 70. Aujourd'hui, beaucoup d'enfants de milieux populaires accèdent au bac et au niveau supérieur.

    De plus, il y a eu un élargissement des filières et des carrières scolaires possibles. Depuis le début des années 80, nous n'avons plus un modèle unique d'enseignement « collège unique », mais la création de filières plus individualisantes en fonction des publics. Il y a donc bien eu prise de conscience.

    Mais a contrario, pour aller dans le sens de Bourdieu, c'est le diplôme du bac lui-même qui a perdu de sa valeur, puisque s'offrant au plus grand nombre, il n'est plus l'instrument latent de domination des classes dominantes. Cependant, il existe d'autres effets de domination tout aussi important que la domination de classe sociale ; il y a la domination sexuelle. On note une différence très nette entre les filières « molles », réservées aux femmes en majorité et les filières « nobles », davantage empruntée par les hommes. Même si cet écart tend à s'amenuiser d'années en années. La multiplication des filières a également contribué à un émiettement de la domination : pour le dire simplement, les filières générales (plus « nobles » sont valorisés, tandis que les filières professionnelles sont davantage disqualifiées aux yeux de l'institution scolaire elle-même et ses élèves également. Or, ces filières sont majoritairement empruntées par les milieux populaires.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>□ Etude de C. Baudelot et R. Establet[1]
    <o:p> </o:p>Ils essaient de montrer comment les structures de pensée inconsciente orientent les filles et les garçons différemment. Ils partent du postulat selon lequel la société et les comportements évoluent vers une plus grande égalité dans les rapports de sexe, mais que les structures externes aux individus eux-mêmes tendent à renforcer ses différences sexuées. C'est le cas de la famille qui va plus ou moins consciemment éduquer et opter pour des stratégies de carrières différemment selon le sexe de leur enfant.
    De là, l'école, pour eux, loin de réduire ces différences, va contribuer à les renforcer, involontairement la plupart du temps. Les qualités mises en avant, les attentes du corps enseignant vont différer selon le sexe. Les options et les conseils d'étude également, etc.
    <o:p> </o:p>Pourquoi, alors que les filles du CP à la terminale réussissent mieux et plus vite que les garçons sont-elles sur le marché du travail en seconde place ? Pourquoi les études les plus payantes (économiquement, socialement, professionnellement) sont davantage les choix des hommes que des femmes ?
    <o:p> </o:p>Conclusion de ce billet
    <o:p> </o:p>

    On peut donc dire  que la culture scolaire n'est pas une culture neutre, mais une culture de classe. Et que malgré la massification de l'entrée dans le secondaire et dans le supérieur, cela reste toujours vrai. Cependant, il faut aussi relativiser cette donnée. Puisque celle-ci étant apparue au grand jour depuis l'époque où Bourdieu écrit, l'institution a depuis perdu de sa légitimité. Elle intègre de plus en plus de nouvelles manières d'apprendre, centrant davantage son enseignement vers une culture « juvénile », vers une culture médiatique qui prend le relais de la culture des classes dominantes. On parle de culture de masse, de moyennisation de la culture.

    En outre, on a aussi crée des établissements et des filières différenciées, mais c'est vrai qu'il demeure une certaine conception de la réussite scolaire et de la culture qui correspond à une culture de la classe dominante.

    <o:p> </o:p>

    Cela n'est pas sans conséquence sur le comportement et la réussite des élèves. En effet, plus la distance sera faible entre le contenu de la culture scolaire et celle de la culture familiale, plus la réussite au sein de l'institution sera élevée. Ce qui explique pourquoi ce sont les classes dominantes qui réussissent le mieux.

    -         Elles disposent d'un capital culturel plus important

    -         Les interactions familiales sont plus riches

    -         Elles possèdent davantage de biens culturels objectifs (livres, voyages, etc)

    -  Leur niveau de développement opératoire est plus important (cette thèse va contre la thèse piagétienne qui prône un universalisme essentialiste du développement cognitif de l'enfant, c'est-à-dire un développement identique, naturel, hors de tout contexte social, culturel, ethnique, etc.)

    <o:p> </o:p>

    Toutes ces acquisitions propres à une classe sociale, à un milieu d'appartenance, constitue ce que Bourdieu appelle un habitus. Et ces acquisitions scolaires, renforcées par l'habitus de classe, vont produire leur effet à long terme. D'u côté, nous aurons ce qu'il appelle les « héritiers » (étudiants issus de la bourgeoisie) qui seront en nombre beaucoup plus important dans les études supérieures, de l'autre nous aurons les « boursiers » (étudiants issus des classes populaires) qui seront beaucoup moins nombreux à poursuivre leur scolarité.



    [1] Allez les filles, Points, Seuil, 1998.



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    Voilà ! c'est fait ! Les syndicats ont dit oui !

    Ce mardi 15 janvier 2008, ils ont majoritairement accepté (CGC, CFTC et FO pour l'instant, la CFDT se prononcera jeudi, la CGT a déjà fait part par ailleurs de sa non acceptation en l'état) de signer le texte amendant la réforme du Code du Travail en France. Il y a quelques mois encore, cela aurait paru inenvisageable, mais la pression présidentielle et gouvernementale qui a contraint les partenaires sociaux à s'accorder (faute de quoi ils légifèreraient d'eux-mêmes) a forcé les syndicats à assouplir leurs revendications et à mettre autour de la table patronats et syndicats afin d'envisager la réforme du travail en France.

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    A priori, rien à redire de cette négociation et de ces accords bilatéraux. La France à son tour entre dans l'ère de la flexicurité de l'emploi. Derrière ce borborygme (voire barbarisme), c'est à une transformation profonde du marché de l'emploi que ce concept laisse envisager. Dans flexicurité, il y a tout d'abord flexibilité de l'emploi avec la possibilité de licenciement facilité pour l'employeur, des contrats de travail simplifié, le recours aux contrats ponctuels de mission, selon les besoins de l'entreprise. Mais il y a aussi sécurité, c'est-à-dire sécurisation des parcours professionnels, indemnisations généreuses entre deux périodes d'emploi, obligation de formation, etc.

    Bref, sur le papier la flexicurité apparaît comme un idéal : preuve s'il en est, le modèle scandinave repose sur ce modèle, et leur taux de chômage et d'inactivité est beaucoup plus faible que l'ensemble des pays de la zone OCDE.

    <o:p> </o:p>

    A l'heure de la précarité de l'emploi, des trajectoires professionnelles multiples et diversifiées, de la mobilité sociale et professionnelle, il était nécessaire de réformer le Code du Travail. Peu d'individus aujourd'hui font leur carrière dans une même entreprise. Nous préférons multiplier les emplois, les qualifications, comme on multiplie les rencontres, les amitiés, les amours...

    <o:p> </o:p>

    Pour autant, cette flexi-sécurité à la française diffère sur certains points essentiels de la flexicurity scandinave en l'état actuel de ses propositions. Tout d'abord sur quoi repose le modèle scandinave ?

    Primo, la centralisation des organismes de l'emploi et de l'aide sociale sous un seul ministère. La fusion ANPE/ UNEDIC va dans ce sens en France.

    Deuxio, un code du travail très allégé avec peu d'intervention étatique au niveau de la législation. Là encore la volonté de vouloir « casser » la durée légale du travail va dans ce sens (même si depuis, M. Sarkozy est revenu dessus).

    Voilà pour la partie flexibilité du concept

    <o:p> </o:p>

    Regardons maintenant du côté de la partie sécurité : Le modèle scandinave allie un dialogue permanent et constructif entre des patronats et des syndicats puissants. En outre, les salariés sont très bien pris en charge par l'Etat en cas de chômage en bénéficiant de prestations élevés contre une obligation de trouver rapidement un emploi. L'obligation d'accepter un emploi au bout de trois propositions avec un suivi individualisé des chômeurs va dans ce sens, mais en revanche, les indemnisations chômage restent inchangées.

     

    Si ce mode de fonctionnement semble bien marcher au Danemark ou en Suède, avec un taux de chômage autour des 5%, il n'en reste pas moins que la culture scandinave diffère de la culture française.

    <o:p> </o:p>

    Le point essentiel sur lequel les divergences entre les deux situations me semblent suffisamment grandes pour faire peser le risque d'un surcroît de flexibilité de l'emploi par rapport à la sécurisation de ce dernier repose sur le dialogue entre partenaires sociaux.

    A la différence des économies scandinaves, le syndicalisme français est faible, très faible même. un seul chiffre qui atteste du fossé qui sépare nos deux modèles : la Suède a un taux de syndicalisation supérieure à 80% quand la France peine à atteindre les 10%. Et cela n'est qu'une moyenne, car sur ces 10% l'essentiel se concentre dans la fonction publique ; pléthores d'entreprises privées (notamment les PME de moins de 50 salariés) n'ont pas de représentants syndicaux.

    Dans ce cas, de quel point pourront peser les syndicats face au patronat dans les négociations internes ?

    <o:p> </o:p>

    Ce n'est pas parce qu'un modèle fonctionne ailleurs, qu'il fonctionne partout : le Danemark, la Finlande, la Suède ne sont pas la France. Des différences majeures existent entre notre pays et les pays scandinaves : démographique tout d'abord (sans doute un aspect important), social et culturel ensuite (individualisme beaucoup plus marqué), historique (la lutte des classes n'a pas eu le même retentissement en Scandinavie que chez nous) et économique enfin (n'oublions pas que dans ces pays, la fonction publique occupe plus du tiers de la totalité des emplois).

    Certes, il est sans doute nécessaire et même indispensable de réformer le Code du travail, mais il ne s'agit certainement pas de le transformer pour de mauvaises raisons qui renvoient à des considérations idéologiques plutôt que réellement sociales et économiques. Dire que la flexibilité réduit le chômage (« en licenciant plus facilement, on emploie plus facilement ») relève d'une pure rhétorique libérale : la réalité est bien plus complexe, d'autres variables entrent en jeu. Si on ne retient que celle-ci, on comparera (on le fait toujours) avec les chiffres du chômage aux USA ou e Grande-Bretagne là où la flexibilité est maximum et le chômage relativement faible. Mais alors, c'est focaliser le regard sur un aspect du problème. Si on ouvre un peu plus le diaphragme, on constate que dans ces mêmes pays, la précarité est bien supérieure à la France : le nombre de travailleurs pauvres ne cesse d'augmenter. Bien sûr, ces individus ne sont pas au chômage, bien sûr ils travaillent – 2 heures, 4 heures par semaine – mais leur condition de vie sont misérables.

    Autre raison invoquée par les chantres de la libéralisation du marché du travail : La mondialisation appelle la compétitivité : il faut donc réduire les coûts de production qui pèsent sur les entreprises : mais c'est encore un faux problème ! Ce n'est pas en diminuant la masse salariale qui pèse sur l'entreprise (c'est-à-dire en flexibilisant la main d'œuvre) que celle-ci pourra concurrencer des pays où les salaires sont en moyenne 4 fois inférieurs à la France. Les idéologues ne sont pas à un paradoxe près. Laisser cette idée se répandre, c'est comme si l'on considérait une compétition sportive où deux équipes de football se rencontraient pour la victoire : d'un côté, l'équipe la mieux formée, mais aussi aux salaires les plus élevés, de l'autre la plus jeune aux salaires bien moindres. L'issue peut paraître effectivement incertaine. Ce n'est pas l'âge de l'équipe ni le salaire des joueurs qui font la motivation (encore que...). A une différence près, c'est que l'équipe la mieux formée part avec un handicap de 3 buts. On peut faire tout ce que l'on veut : le handicap de départ est presque toujours insurmontable.

    <o:p> </o:p>

    Alors, oui à la réforme du Code du travail, mais à condition que flexicurité ne rime pas seulement avec précarité. Mais que la dimension protection des salariés et des chômeurs s'en trouvent également renforcée. Pour s'assurer de la sécurisation des parcours professionnels, ils s'agirait de réformer à son tour  le syndicalisme en France en le rendant plus fort, plus puissant, plus à même de peser dans les négociations avec le patronat.


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  • Aujourd'hui, je publie un billet qui revient sur la définition du concept d'insertion dans le prolongement de ceux précédemment publiés sur l'habitus et la notion d'exclusion. Bonne lecture à tous et n'hésitez pas à me laisser vos commentaires.

     

    La notion d'insertion renvoie en premier lieu au champ de l'action politique et sociale. Elle est apparue dans les années 70 dans le champ de la littérature sociologique. Longtemps assimilée à la notion d'intégration, l'insertion en diffère néanmoins sur plusieurs points. D'une part si le concept d'insertion est avant tout en lien avec l'action sociale, le concept d'intégration est né avec la sociologie.
    Mais ce qui distingue au-delà des conditions historiques de leur apparition et de leur prise en compte dans le champ social, ce sont les réalités différentes qu'ils recouvrent, même si elles restent proches.
    L'insertion s'attache avant tout à définir le processus qui va conduire un individu à trouver sa place au sein de l'institution sociale, au sein d'une sphère sociale particulière. L'insertion sociale est davantage accès sur l'ensemble des démarches mises en œuvre par et pour l'individu dans le but de s'insérer. Ainsi l'insertion peut se décomposer en plusieurs modalités en fonction du domaine sur lequel elle se porte. On parle à ce titre d'insertion professionnelle (dans le but de trouver un emploi et d'accéder ainsi au marché de l'emploi) ou d'insertion sociale.
    Aujourd'hui avec les difficultés liées au marché de l'emploi et la montrée de la précarité sociale, de nouvelles formes d'insertion voient le jour. On parle notamment d'insertion par le logement, d'insertion par la culture, etc. A la différence de l'intégration, l'insertion n'est pas un concept propre à la sociologie, mais avant tout au champ social et politique.
    En outre, l'insertion s'attache davantage à définir le processus en cours d'un individu singulier au regard de la société, ou d'une sphère sociale particulière (emploi, logement, etc.), tandis que la notion d'intégration renvoie davantage à un l'état du lien social d'une société et de ses membres. Une société est fortement intégrée si tous ses membres sont solidaires et complémentaires les uns des autres. L'intégration est davantage la lecture d'une situation de la société à un moment donné de son histoire.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Le concept d'insertion relève néanmoins de différents positionnements intellectuels : pour faire simple, nous soulignerons les grandes dimensions sur lesquelles porte ces différends :

    <o:p> </o:p>

    1.               L'insertion doit-elle être entendue dans une approche unificatrice ou bien bipolaire entre aspect économique et aspect social ? peut-on faire de l'insertion économique sans l'insertion sociale ? laquelle prime dans ce cas ? il semble que la dimension économique soit considérée comme primordiale, si bien que l'insertion sociale se voit instrumentalisée, elle est un moyen d'assurer l'insertion économique qui reste dominante.

    <o:p> </o:p>

    2.               L'insertion est-elle une situation statique ou dynamique ? sa définition relève-t-elle d'une approche situationnelle ou d'une approche en terme de processus ? dans ce cas, l'insertion est-elle achevée un jour ou l'autre ? la question est souvent tranchée dans le sens d'une insertion entendue comme un processus singulier et multidimensionnel qui prend en compte la personne dans sa globalité afin d'agir à sa ré/insertion professionnelle.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>3.               L'insertion est elle globale ou particulière ? relève t-elle d'un traitement individuel, ou collectif ? autrement dit, est-ce l'individu dans sa trajectoire singulière, son parcours de vie qui doit être seulement pris en compte ou faut-il y lier une approche collective, en terme d'analyse structurelle ?
    Encore une fois, l'insertion est considérée dans une approche multidimensionnelle, avec la prise en compte de l'individu et de ses spécificités (histoires de vie, trajectoires sociales, etc.) mais en lien avec l'état de la structure économique et sociale (crise économique, diminution des solidarités, etc.)
    <o:p> </o:p>L'insertion recouvre donc des questionnements divers selon la manière de concevoir le concept. Pour faire simple, il semble acceptable de définir l'insertion comme un processus multidimensionnel (économique et social, singulier et collectif) qui a pour but d'accompagner l'individu à retrouver sa place au sein de la sphère professionnelle et/ou sociale.
    <o:p> </o:p>

    L'insertion,  à la différence de l'intégration, et c'est peut-être là le point de distinction essentielle entre les deux concepts, ne comporte pas de dimension adhésive. L'individu n'a pas obligation d'adhérer au groupe social, au groupe professionnel dans lequel il s'insère. Ce qui est recherché c'est simplement sa participation aux règles, normes (insertion sociale), aux activités productives (insertion professionnelle) à la différence de l'intégration qui comporte une dimension adhésive forte. Mais souvent les deux notions sont employées indistinctement. Insérer ne suppose pas adhérer (même si à moyen/long terme, l'insertion conduit à l'adhésion) contrairement à l'intégration qui repose sur cette dimension adhésive avant tout.

    <o:p> </o:p>Disons que l'insertion est plus individuelle tandis que l'intégration est plus globale, la première est plus axé sur le retour à un statut particulier, la seconde à la force du lien qui unit l'individu au groupe et le groupe à l'individu. Une intégration efficace n'est possible que s'il y a une insertion réussie. Mais en revanche, l'insertion n'est pas un gage d'intégration (même si elle en est la condition).
    <o:p> </o:p>► On peut donc parler d'insertion sans pour autant qu'il y ait intégration.  Par exemple, les rapatriés et les nombreux immigrés provenant pour l'essentiel d'Afrique du Nord dans les années 60 (ou aujourd'hui encore les immigrés chinois) disposaient d'un emploi, d'un logement. Ils étaient insérés professionnellement. Ils avaient un logement. Pour autant, l'intégration était quasiment nulle puisqu'ils ne parlaient ni ne comprenaient le français. Ils vivaient pour la plupart selon leurs rites, leurs codes et leurs règles particulières.  D'ailleurs, la recherche d'intégration n'était pas le but, puisque la plupart avaient pour but de retourner au bled par la suite au départ. C'est avec l'installation dans le temps que l'insertion devient intégration. En revanche, il est intéressant de remarquer que c'est alors que l'intégration est forte (ou tente de l'être) qu'elle pose problème. Aujourd'hui la plupart des jeunes français issus de cette immigration maghrébine sont intégrés culturellement (codes, valeurs, idées, langage identiques) mais l'insertion sociale et professionnelle pose des difficultés. D'où également un repli communautaire, qu'il ne faut pas trop rapidement comprendre comme cause de la ségrégation sociale, mais davantage comme conséquence de celle-ci (mais c'est un autre sujet développé dans un billet précédent sur le « ghetto français »).
    <o:p> </o:p>Cf. S. Adjerab et J. Ballet, L'insertion dans tous ses états, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 2004.
          S. Guth, L'insertion sociale, Paris, l'Harmattan, 1994 (pp. 21-31 surtout).
    <o:p> </o:p>

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  • <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>Le concept de capital culturel </o:p>

    La notion de "capital" en sciences sociales fait véritablement son apparition avec Bourdieu. Loin de circonscrire la notion à la seule sphère économique, il l'ouvre à l'analyse sociale, culturelle et symbolique des agents sociaux.

    Pour Bourdieu, l'espace social se décompose et se hiérarchise en fonction de la disposition et de la distribution en capital des individus. Au sommet de la hiérarchie se situent les classes dominantes qui disposent d'un volume et d'une qualité globale en capital supérieurs aux classes dominés. Plus exactement, Bourdieu délimite l'appartenance de classe et la position sociale en fonction des deux seuls capitaux économiques et culturels. En effet, chez Bourdieu, le capital social découle des deux autres plutôt qu'il n'en est la cause.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>1. capital culturel et appartenance de classe
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu fait du capital culturel le facteur essentiel de la reproduction sociale des inégalités. Par capital culturel, il entend l'ensemble des ressources culturelles dont dispose l'individu. Ces ressources peuvent se décomposer en trois catégories : matérielles (biens, livres, bibliothèque, tableaux, etc.), institutionnelles (formation, diplôme) et subjectives ou incorporées qui correspond à l'ensemble des moyens et des ressources esthétiques et cognitives de l'individu. Ces dernières n'étant pas « donnée » contrairement à une idée souvent reçue, mais le produit d'une construction, elle-même incorporée par l'habitus propre à l'individu et à sa classe sociale d'appartenance.

    Bourdieu définit par ailleurs les trois autres types de capitaux : le capital social qui regroupe l'ensemble des relations sociales, des connaissances, des réseaux de solidarité plus ou moins forts que l'individu peut faire fonctionner ; le capital économique qui relève de la position sociale de l'individu et qui correspond à l'ensemble des ressources économiques et financières dont il dispose, biens patrimoniaux, actifs financiers, etc. Enfin, le capital symbolique qui a une dimension beaucoup plus qualitative, empiriquement difficile à cerner, mais qui contribue au charisme de l'individu, son poids symbolique, lié à l'image véhiculée par son nom, sa position, son statut, etc. a ce titre, il n'est pas calqué sur l'échelle des positions sociales, ni sur les autres capitaux, mais il conserve néanmoins une dépendance plus ou moins forte à ceux-ci. Globalement, le charisme et le poids symbolique d'un individu tendent à s'accroître avec sa position sociale élevée dans l'espace social. Pour autant, cette règle n'est pas universelle. José Bové, par exemple, bénéficie d'un charisme, d'un capital symbolique fort, à même d'entraîner une communauté d'intérêt commun derrière lui, sans pour autant disposer d'un capital économique élevé.

    <o:p> </o:p>

    Longtemps, les analyses de Bourdieu ont permis de mettre l'accent sur l'illusion de la différence arbitraire des goûts. Tous les goûts ne sont pas dans la nature, mais dans la culture nous dit l'auteur.

    La préférence pour la musique classique, le hip-hop, l'art abstrait, le surréalisme ou la littérature classique ne relèvent pas d'une quelconque élection arbitraire, mais d'un processus inconscient de structuration sociale des goûts par l'effet d'habitus. Ainsi, les classes sociales au volume global de capital important privilégieront plus fréquemment les concerts de jazz, l'opéra et la littérature des classiques par exemple que les individus situés au bas de l'échelle sociale des positions sociales. Il en va de même pour les pratiques sportives, les goûts culinaires et les préférences esthétiques et physiques. Cette approche bourdieusienne a le mérite de resituer les pratiques culturelles au sein même de la hiérarchie des positions sociales. Aux capitaux culturels et économiques élevés correspondent des pratiques culturelles différentes, non pas par choix arbitraire, sans quoi, il n'y aurait pas de correspondance statistique entre culture et classe sociale, mais par différenciation dans l'échelle des positions sociales, inscrites dans une inégalité des dispositions en capital.

    Les pratiques culturelles, plus que l'expression des libertés individuelles, relève davantage d'une construction sociale de classe. A l'arbitraire des préférences culturelles, Bourdieu oppose l'incorporation inconsciente des pratiques sociales et culturelles par des mécanismes de classes, faisant de la culture et des goûts des indicateurs pertinents de l'appartenance sociale de classe des individus.

    Cette vision déterministe, holiste qui fait de la position sociale au sein de la structure sociale l'élément déterminant des goûts individuels, ne prend pas en compte l'individu en tant qu'acteur, mais le considère comme un élément d'un système essentiellement agi de l'extérieur.

    Ainsi, à chaque classe, son habitus, à chaque habitus son style de vie et ses préférences culturelles. La culture ne serait qu'un des éléments parmi d'autres du processus de reproduction sociale, qui viendrait légitimer et asseoir les inégalités sociales d'accès à la culture.

    <o:p> </o:p>2. Vers un syncrétisme des pratiques ?
    <o:p> </o:p>

    Depuis peu de nouvelles études sont venues relativiser cette vision mécaniste du capital culturel. En effet, on constate que plus qu'autrefois, il y a des recoupements dans les pratiques culturels entre milieux sociaux hétérogènes. L'éclectisme culturel est le nouveau thème dominant de l'analyse sociologique.

    Aujourd'hui on constate que certaines pratiques socialement marquées il y a encore quelques décennies, se diffusent dans l'ensemble des classes sociales. Ainsi, le cinéma, la TV sont des pratiques qui concernent la majorité de la population. De même, les journaux populaires ne sont plus l'apanage des classes ouvrières et inversement. Pour autant, est-il légitime de parler d'un syncrétisme culturel ?

    <o:p> </o:p>

    Il faut se méfier des « résultats sortis des urnes », car le sociologue le sait mieux que quiconque, les réponses aux questions doivent toujours être replacées dans leur contexte historique et social. Un lecteur de Libération de 2006 n'est pas le même lecteur que celui de 1960.  En outre, les réponses ne sont pas non plus des objets quantitatifs vidés de sens. Il s'agit de les réinscrire dans le contexte intellectuel et idéologique dominant de l'époque où elles se transcrivent (il en est de même des questions posées bien évidemment).

    Ainsi, si aujourd'hui on note un éclectisme plus grand dans les pratiques culturelles, faisant trop rapidement dire à certains que les inégalités culturelles se réduisent, il s'agit en réalité d'une transformation sociale des pratiques davantage qu'une réduction, politiquement revendiquée, des inégalités culturelles.

    Il ne faut pas confondre transformation des pratiques (qui tendent vers un éclectisme moins sectaire et partisan), et homogénéisation des pratiques. Ce n'est pas parce que les classes dominantes s'ouvrent aux pratiques populaires qu'il n'y a pas conservation des inégalités culturelles.

    Si le philosophe Alain Finkielkraut se targue de lire L'Equipe tous les matins au petit déjeuner, il fait néanmoins la distinction entre sa lecture « ludique » et ses pratiques culturelles dominantes. Sur l'échelle des valeurs (représentation de la culture « noble »), l'Equipe n'est pas mis au même niveau que Le Monde par exemple.

    Il est aujourd'hui « bien vu » d'être proche du peuple. Aucun intellectuel ne serait risqué à cela il y a encore 15 ans. Tout se passe comme si l'éclectisme culturel avait pris le pas sur l'hétérogénéité culturelle de classe. Certes, la diffusion par les mass media de l'information, le développement d'une consommation et d'une culture de masse a sans doute contribué à effriter les frontières culturelles, mais elles sont loin d'avoir disparu. Si Finkielkraut peut se vanter aisément de lire L'Equipe, il hiérarchise ses pratiques culturelles. De la même manière, si N. Sarkozy s'enorgueillit d'écouter Johnny Hallyday, (outre l'aspect d'opportunisme électoraliste) il n'en reste pas moins que dans la hiérarchisation des pratiques culturelles, il demeure une différence notable entre la revendication (partisane ?) de la culture populaire et la primauté accordée à celle-ci.

    <o:p> </o:p>

    Si il y a éclectisme culturel aujourd'hui, c'est davantage parce qu'il est idéologiquement favorable et politiquement bien vu d'avoir des pratiques culturelles populaires. On revendique plus facilement certaines pratiques qu'autrefois. Pour autant, il n'y a pas homogénéisation des pratiques, le capital culturel reste toujours prégnant et l'analyse en terme de classes sociales toujours aussi pertinente. L'éclectisme culturel est réel, mais il est bien plus un phare qui brille dans la nuit pour mieux masquer la permanence des disparités de classes. Plutôt que de syncrétisme culturel, de réduction apparente des inégalités culturelles, il faut voir dans l'éclectisme une forme de reconnaissance et de réappropriation bourgeoise de certaines pratiques jugées populaires. C'est un éclectisme de classe dominante, pas un éclectisme de classe dominée, même si les mass media ont sans doute participé à une certaine forme d'homogénéisation de la culture moyenne.

    Il serait néanmoins intéressant de mener une étude sur les pratiques télévisuelles des individus en fonction de leur classe et de leur statut social. Le temps passé ainsi que les programmes regardés doivent différer. Quantitativement, mais peut-être encore plus qualitativement, on note certainement des disparités importantes dans les préférences.

    <o:p> </o:p>3. « Omnivores » contre « univores »
    <o:p> </o:p>

    En définitive, nous dit Richard Peterson, nous avons d'un côté « les « omnivores »  issus de classes favorisées et caractérisés par une pluralité des goûts et de l'autre les « univores » amateurs quasi exclusif d'un genre musical », d'une genre de littérature, d'art, etc.

    La théorie du capital culturel émise par Bourdieu reste toujours pertinente aujourd'hui, même s'il faut la nuancer quelque peu. Pour le dire simplement, les catégories favorisées ont également des pratiques « populaires » (lire L'Equipe, manger dans des fast-food, écouter de la variété, etc.) mais ils ont également des pratiques culturelles différenciées et plus élitistes qu'ils considèrent comme prioritaires. La culture de masse n'est pas qu'un vain mot, elle touche bien l'ensemble des classes sociales, mais la « culture » sait aussi se diversifier auprès des classes favorisées.

    <o:p> </o:p>

    Ce n'est donc pas seulement la gratuité de l'accès aux biens culturels qui augmentera la fréquentation des musées par les classes populaires (je suis prêt à parier que l'impact sera faible d'ailleurs). Pour bien faire, il faut agir au niveau des catégories populaires par une politique incitative qui leurs confère un accès symbolique à ces pratiques culturelles dites et considérées comme élitistes. Car souvent, ils s'interdisent un accès à des pratiques qu'ils jugent ne pas correspondre à leurs situations, qu'ils jugent « réservées » aux classes supérieures. Plus que le simple accès matériel, c'est donc à l'accès symbolique (qui fait sens) qu'il faut travailler, afin que ces « univores » considèrent également que ces biens culturels fassent sens pour eux, autrement dit qu'ils soient tout aussi légitimes que d'autres.


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