• S'il existe des liens entre elles, solitude et isolement renvoient néanmoins à deux réalités distinctes. Pour Les vieux sont isolés quand les jeunes sont seulsdire les choses simplement, la solitude peut se définir comme une expérience subjective d'insuffisance d'appartenance. Elle est nichée dans la dynamique des appartenances et dans le rapport de l'individu aux normes d'affiliation sociale. L'isolement en revanche, correspond à un statut concret, basé sur des indicateurs objectifs d'insuffisance de liens.

     

    Ainsi, l'isolement est une donnée objective, qui permet de quantifier la densité du réseau de sociabilité des individus, tandis que la solitude s'apparente à une expérience subjective, un donné sensible du rapport de l'individu au monde environnant. Souvent, ces deux notions se rejoignent ; la faiblesse des liens sociaux entraînant un sentiment de solitude. Mais il arrive qu'elles ne se recouvrent pas. Ainsi, un célibataire qui, en moyenne, dispose d'un réseau de sociabilité souvent plus étendu qu'un couple, dit néanmoins devoir plus souvent souffrir de solitude.

     

    Une fois ces deux notions définies et bien différenciées, il s'agit maintenant de voir la réalité sociologique des solitudes en France. Nous allons ainsi constater que loin de correspondre à une vision galvaudée d'une solitude âgée, rurale et féminine, le sentiment de solitude traverse l'ensemble du corps social de manière plus ou moins durable selon les situations. 

    Nous allons donc faire tomber quelques un des "mythes" sociaux bien ancrés dans la dosa commune dans nos différents billets à venir. En distinguant l'isolement de la solitude, on donne ainsi à voir sous un nouveau jour une part souvent méconnue de la réalité sociale.

     

    Le mythe de la solitude des personnes âgées

     

    On a tendance à penser que la solitude se concentre essentiellement aux âges les plus avancés. Les études amènent à nuancer énormément le propos. En effet, si de nombreuses PA disent souffrir de solitude, les chiffres sont encore plus importants dans la population des plus jeunes.

    Non, la vieillesse n'est pas nécessairement un « exil » comme l'écrivait S. de Beauvoir. Cette idée reçue qui veut que la solitude soit synonyme de décrépitude est tenace mais n'en reste pas moins fausse. Elle repose sur l'idée qui associe isolement et solitude. Or, si l'isolement augmente bien avec l'âge (diminution factuelle de la quantité de liens), la solitude quant à elle ne croît pas davantage. Cette impression s'est vue également renforcée par l'épisode de la canicule de 2003 en France qui a vu un grand nombre de PA mourir des suites d'une insuffisance de soins et d'isolement.

     

    L'enquête INSEE menée en 2001 montre que la réalité de la solitude est bien différente. À la question « vous sentez-vous seul », (indicateur de solitude) :– ce sont les 25-34 ans qui se disent les plus sensibles à la solitude, suivi par la tranche des 35- 54 ans.

    Autrement dit, à rebours des idées reçues, ce sont surtout les jeunes qui souffrent le plus de solitude, alors même que statistiquement, c'est la population la moins isolée.

     

    Ce qu'il est possible d'en conclure, c'est que la solitude renvoie d'abord à un rapport à soi et à la place qu'on occupe dans la société. Le degré de solitude (expérience subjective) doit être rapporté aux représentations normées que les individus se font de leur place dans la société.

    Ainsi, la solitude n'est pas un statut social enraciné, mais un rapport à soi et à la société. Le sentiment d'inutilité comme le « sentiment océanique » (E. Durkheim) des plus jeunes les conduisent à se sentir isolés, comme manquant de liens sociaux légitimes opérants, à un âge de la vie, où "normalement" (au sens sociologique du terme) ils devraient avoir un tissu relationnel et des liens de socialité relativement denses, à l'inverse des personnes âgées, qui souffrent beaucoup moins de la faiblesse du tissu relationnel (en moyenne bien sûr), perçu comme plus "normal" à mesure qu'ils vieillissent et se replient sur la sphère privée pour certains.


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  • Quand les banques centrales jouent avec le loyer de l'argent

    Depuis 2008, la BCE mène une politique monétaire expansionniste (définition cf. billet précédent).

    Dans un premier temps, elle a usé de l'instrument orthodoxe, à savoir les taux directeurs. En effet, la mission essentielle de la BCE, définie et actée avec le Traité de Maastricht consiste à maîtriser le niveau de l'inflation dans la zone euro, de manière à ce qu'il avoisine les 2%.

    Pourquoi 2% ? Parce qu'on estime que c'est le niveau d'inflation qui permet de soutenir la croissance, sans risque de tensions inflationnistes supérieures. En fait, pour dire les choses simplement, l'inflation, c'est un peu comme les verres d'alcool. Un peu d'inflation c'est bien ; beaucoup d'inflation, c'est dangereux. Mais dans le même temps, pas d'inflation du tout, c'est encore plus risqué, car cela peut conduire à une spirale déflationniste (un cycle où la baisse des prix entraîne la baisse des prix et de la production.)

     

    L'instrument par lequel la BCE peut maîtriser le niveau d'inflation en zone euro, c'est le loyer de l'argent, c'est-à-dire le niveau des taux d'intérêts. En fait, la BCE joue essentiellement sur le prix de l'argent.

    Le mécanisme est simple : en abaissant comme elle l'a fait ses taux directeurs (l'ensemble des taux d'intérêts), la BCE espère relancer le crédit, donc la demande.

    Expliquons nous : des taux d'intérêts bas vont inciter les institutions financières à emprunter plus facilement puisque le prix de l'argent sera moins élevé. Par suite, les banques pourront proposer des crédits à des taux plus attractifs aux agents économiques (ménages et entreprises), qui à leur tour pourront décider de consommer et d'investir, profitant de taux bas.

    L'abaissement du prix de l'argent est donc un moyen rapide et efficace de relancer l'activité économique, puisqu'il permet de soutenir la demande. Si la demande repart, le niveau de production devrait croître également et l'emploi avec. Si bien que la croissance effective (celle constatée) se rapproche de ce que les économistes appellent la croissance potentielle (celle qui devrait être possible si l'ensemble des facteurs de production disponibles étaient employés (main d'oeuvre + machines).

    Si la baisse des taux d'intérêts affecte positivement l'économie et permet de relancer la croissance, celle-ci doit néanmoins rester dans un cadre qui ne génère pas de tensions inflationnistes sur le marché. Le risque serait que l'offre ne puisse pas suivre la demande, et du coup, le prix des produits augmenterait, faute de demande suffisamment satisfaite, et pour faire face à cette hausse des prix, les entreprises devraient augmenter le niveau des salaires, ce qui réduirait d'autant leurs profits, donc leur niveau de production future, réduisant d'autant plus l'offre, etc...

     

    Dans ce type de situation, la BCE peut alors, à l'inverse, décider d'augmenter ses taux directeurs, et alors, en faisant cela, elle « ferme les vannes » du crédit. Si le loyer de l'argent augmente, les emprunts diminueront, les crédits iront en se raréfiant, et donc la demande baissera, afin de retrouver une situation d'équilibre entre l'offre et la demande. C'est en règle générale ce qui se passerait dans un monde où la réalité économique se rapprocherait de l'idéal théorique... mais on sait depuis Ridley Scott que le réel a plus d'imagination que n'en portent nos rêves (il a repris Shakespeare en fait)...

     

    Si c'est exactement le rôle qu'elle a joué après la crise financière de 2008, afin de faire face au risque de déflation, en ouvrant grand les vannes du crédit pour tenter de relancer la demande, le problème, c'est que depuis 2010, l'inflation en zone euro est restée proche de 0, alors même que les taux d'intérêts n'ont jamais été aussi bas. (d'ailleurs, si vous hésitez à acheter une maison, c'est le moment!).

    Très bien, me direz-vous : il n'y a qu'à baisser encore un peu plus les taux ! Le problème, c'est que ses taux sont déjà proches de 0, si bien que le remède devient inefficace. À trop user de cette arme (ce qui était nécessaire entre 2008 et 2010), elle finit par s'éroder et perdre de son efficacité (un peu comme les antibiotiques ! ).

     

    En effet, des taux d'intérêts nuls (ou quasi-nuls) conduisent à ce que John M. Keynes appelaient des « trappes à liquidités », c'est-à-dire une situation dans laquelle les agents vont préférer épargner plutôt que dépenser et investir leur argent.

    Nous vivons exactement cette situation en ce moment. Les entreprises, comme les institutions financières ont amassé énormément de liquidités qu'elles ne réinvestissent pas. Lorsque l'argent ne coûte rien à emprunter, la propension à épargner augmente (autant emprunter pour thésauriser), et ce d'autant plus que dans le même temps, les prix stagnent, voire baissent. Ce qui veut dire que si j'emprunte à taux nuls et que les prix baissent, alors mon épargne me rapporte plus que si je dépensais mon argent.

    Par exemple, si j'emprunte 10 000 € à la banque à un taux proche de 0, disons 0,25% (ce qui est le cas pour les institutions financières), et si dans le même temps le prix de certains produits baissent de 1% et que j'anticipe une baisse continue des prix, alors il m'est préférable d'épargner puisque je m'enrichis sans rien faire, simplement en conservant l'argent emprunté !

     

    Alors, dans ce cas, quelle solution adoptée ?

    Depuis 2010, La BCE a adopté une nouvelle mesure, moins orthodoxe, consistant cette fois-ci non plus à jouer sur le prix de l'argent, mais directement sur la quantité. Autrement dit, faire de la création monétaire ; plus prosaïquement, faire « tourner la place à billet ». ainsi, depuis l'été 2010, La BCE injecte des masses de liquidités sur les marchés financiers afin de fluidifier l'économie. Mais elle le fait d'une manière particulière, à travers ce que l'économiste allemand Richard Werner a nommé le quantitative easing (QE) dès 1995 (mais c'est ce que nous verrons dans un prochain article).


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  • T. Sauvadet1 étudie dans son ouvrage les modes de socialisation de la population juvénile des cités. Il développe le concept de capital guerrier pour comprendre et tenter d’expliquer les stratégies identitaires des jeunes des cités Pour cela, il a observé trois cités françaises dans lesquelles il s’est installé pendant plusieurs mois : un quartier de la banlieue nord de Paris, un de la banlieue Sud et enfin un quartier nord de Marseille. Son étude porte sur trois ans.

    Il relève les différentes dimensions essentielles de la vie dans ces cités, et les représentations qui y sont associées :

     

    - Celle de la « cité-village » considérée comme un espace de solidarité où la communauté est forte et soudée.

     

    - Celle de la « cité-jungle » considérée au contraire comme un espace individualiste, fortement concurrentiel et agonistique.

     

    - Enfin, celle de la « cité-business » où la cité est assimilée à un espace de rapports économiques où chacun fait ses affaires.

     

    Derrière ces différentes représentations qui coexistent au cœur des cités, l’auteur revient sur les transformations des banlieues depuis la crise des années 80. C’est en effet en 1981 que le problème des banlieues fait son apparition en France avec les premiers soulèvements populaires. On assiste à une transformation profonde de la banlieue à partir du début des années 80 : dépolitisation et désyndicalisation progressive des banlieues rouges, autrefois fortement structurées autour de l’identité ouvrière et de la lutte des classes. Cités politisées où la mobilisation ouvrière structurait l’espace et les modes de socialisation de la population, nous sommes passés à des espaces vidés de sens, où la division et l’anomie ont supplanté les mouvements collectifs, où la marginalisation et l’exclusion se sont substituées aux questions d’inégalités sociales et économiques et à celles de l’exploitation de la classe ouvrière. Espaces déstructurés, vidés de sens qui à partir des années 90, ont fait émergé des formes d’organisation territoriale juvénile nouvelles, composées de « gangs » et réinventant des modes de solidarité populaires en développant des stratégies de résistance communautaires et microsociétaires à l’exclusion et la misère sociale. Depuis les années 2000, ces stratégies identitaires de résistance se sont accrues davantage et l’usage de la violence symbolique et physique amplifiés dans le même temps, comme des enjeux de reconnaissance, de lutte pour l’existence.

     

     

    1. L’environnement matériel, symbolique et social

    Sauvadet a édifié une typologie identitaire des résidents de ces cités. Il distingue trois profils idéal-types de la population vivant dans ces quartiers populaires, dans son rapport à l’espace de la cité et en fonction de sa situation socio-économique : les repliés, les installés et les précaires.

     

    1. Les repliés

    D’origine sociale plutôt favorisée, ils appartiennent pour la plupart aux classes moyennes inférieures, faite d’ouvriers qualifiés, de petits cadres célibataires notamment, ils bénéficient d’un emploi sûr et sont globalement peu investis dans la vie du quartier. Les repliés se caractérisent donc par un repli sur la sphère domestique, ils ont peu d’activités dans le quartier, peu de liens avec le réseau de voisinage.

     

     

    « L’espace public de leur zone d’habitat ne représente qu’un lieu de passage. Elles [ les repliés] ne fréquentent pas le café, ni les associations du quartier. Avec le temps, elles développent néanmoins un petit réseau de voisinage, souvent homogène socialement, aux alentours de leur cage d’escalier. Ceci est facilité par le fait que les organismes gestionnaires opèrent des rapprochements sociaux et ethniques par immeuble et par cage d’escalier (…). L’habitat HLM doit correspondre à une « rampe d’accès » à la propriété. En attendant, les personnes concernées pratiquent le cocooning et aménagent leur intérieur avec minutie.2 »

     

    2. Les installés

    Les installés correspondent à la population des ouvriers la plupart du temps en CDI, aux revenus et aux salaires faibles. Ce sont souvent des familles avec enfants et dont la mère reste au foyer. Ils sont globalement moins équipés au niveau mobilier, hi-fi.

     

     

    « Plus populaires, les installés sont moins insécurisés sur l’espace public de leur zone d’habitation, ils prêtent moins d’attention aux bruits, aux conflits et aux mouvements. Ils apprécient cet espace de respiration : la mère y rencontre des amies, le père y joue à la pétanque avec des voisins et fréquentent le café. Ils n’entretiennent pas de projet de déménagement du moins sur le court ou moyen terme : seule la retraite, en les délestant de leurs obligations professionnelles, leur permettent de quitter la cité3. »

     

    3. Les précaires

    Enfin, les précaires sont composés des individus les moins dotés économiquement. D’origine économique faible, la plupart de ces ménages vivent du Smic et de CDD, voire de l’aide sociale pour ceux qui ne travaillent pas. Leur espace domestique est peu équipé, les familles sont souvent surpeuplées et l’endettement des ménages est important.

     

    « Pour eux, l’espace public se définit réellement comme un espace de respiration indispensable, qui assure des possibilités de débrouille et qui compense une socialisation compromise sur le plan professionnel (…). Ils tentent quotidiennement pour maintenir le peu qu’ils ont. Pour eux, la cité, cela veut dire un toit. Ils ne songent au déménagement qu’en cochant et grattant les jeux d’argent et de hasard. 4»

     

    Chez ces derniers, l’espace essentiel de socialisation est celui de la rue pour les enfants de ces familles, pour fuir la surpopulation et les conflits intrafamiliaux. En outre, certains précaires ne bénéficient plus des ressources et du dynamisme nécessaires pour entretenir des relations de voisinage. Le réseau de voisinage et amical s’effrite, s’ensuit le repli sur la sphère privée, la déprime et l’alcoolisation.

     

    A partir de cette typologie des résidents, Sauvadet constate que le mode de fréquentation de l’espace public dépend prioritairement de la variable socio-économique. Plus les résidents sont faiblement dotés économiquement, plus ils font de l’espace public, de la rue, le vecteur de leur socialisation et de leur reconnaissance identitaire. Plus ils sont dotés économiquement, plus ils ont tendance à se détacher de la vie du quartier et se concentrent sur la sphère domestique et le cocooning.

     

    « Aspirés et préoccupés par leurs obligations professionnelles, les résidents les plus aisés se désintéressent des réseaux locaux de solidarités et de trafic. Ils privilégient leur « cocon » bien aménagé, s’y reposent et s’y distraient. Face à ce confort, l’espace public offre peut d’attraction. Les repliés envisagent de déménager et, en attendant, s’offrent des sorties pour échapper à la grisaille du quartier. Les précaires connaissent la situation inverse. Pour eux, le travail manque et les relations de voisinage deviennent primordiales sur tous les plans. »

     

    Ainsi, malgré l’abandon progressif des ménages les plus aisés des cités, celles-ci conservent une hétérogénéité sociale encore importante. On le voit, ceux qui ont davantage tendance à occuper l’espace public sont aussi ceux dont les familles sont les plus précarisés, économiquement et socialement. Les plus jeunes vont chercher dans la rue ce qu’il ne trouvent plus dans leur sphère domestique et ce à quoi ils n’ont pas droit dans la sphère sociale d’une manière générale : une identité valorisée, une place et un statut reconnu. L’espace de la rue devient un espace de socialisation, un lieu d’échange, de partage, mais aussi de concurrence et de violence parfois.

     

    1 Thomas Sauvadet, Le capital guerrier, concurrence et solidarité entre jeunes de cité, Paris, Armand Colin, 2006.

    2 Ibid, p. 41.

    3 Ibid, p. 41.

     

    4 Ibid, p. 42.


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  • La confiance est à l'économie ce que l'essence est au moteur. Elle est le carburant sans lequel l'économie s'effondrQui veut faire l'ange fait la bête ou le jeu menaçant des banques centrales (2)erait.  Sans elle, pas d'échanges ; sans elle, les agents économiques resteraient prostrés, inertes, incapables d'agir, apeurés par le monde extérieur. Sans confiance, je ne me lancerai pas dans la création d'entreprise. Sans confiance, je n'investirai pas l'avenir. Sans confiance, je préfèrerais rester chez moi, isolé, passant mon temps à capitaliser, épargner, thésauriser dans l'espoir de jours meilleurs.

     

    Et bien, pour les banques c'est pareil ! Si elles craignent l'avenir, elles ne prêteront pas, ou plus difficilement, alors même que les banques centrales auront assoupli l'accès aux crédits.  Et le problème, c'est qu'en période de crise, elles « flippent grave » : elles ont tendance à penser que la consommation des ménages restera atone, conséquemment que les entreprises auront du mal à vendre, et donc à rembourser leurs emprunts auprès d'elles. Alors, elles ferment les vannes pour éviter que le crédit coule à flots. A l'inverse, en période de reprise économique, elles peuvent se montrer beaucoup plus conciliantes. Leur confiance dans l'avenir s'améliore et elles ouvrent le robinet du crédit, permettant aux ménages et entreprises de consommer et d'investir, contribuant alors à accélérer d'autant plus la reprise envisagée. 

    En réalité, l'économie fonctionne un peu comme ce que les sociologues appellent une prophétie auto-réalisatrice (selon l'expression consacrée par le sociologue américain R. Merton1).  Croyant à une reprise, les banques reprennent confiance et facilitent l'accès aux crédits. Ainsi, la demande repart à la hausse et favorise le retour de la croissance, créant ainsi effectivement une situation d'expansion économique. Inversement, si les banques parient plutôt sur une récession, elles vont raréfier l'accès aux crédits, réduisant alors les capacités des entreprises à investir et des ménages à consommer, ce qui aura pour effet de contribuer à un ralentissement de l'activité économique, accentuant alors effectivement la récession envisagée. Ainsi, elles contribuent à créer les conditions de réalisation de leur propre croyance.

    Comment faire alors pour éviter ce cercle vicieux qui entretient la peur et l'absence de reprise ? 

    C'est en fait très simple et malheureusement très compliqué à réaliser : il s'agit de redonner confiance aux agents économiques et institutions financières. Facile à dire... mais beaucoup plus difficile à faire en période de crise.

    Et c'est justement à ce moment là que le rôle des institutions publiques prend tout son sens, notamment à travers les banques centrales. Si le marché n'est pas capable de se raisonner, de retrouver la confiance indispensable à son bon fonctionnement et à la prospérité économique, alors il est nécessaire que la puissance publique intervienne. La puissance publique peut être considérée comme une sorte de « garant de confiance », qui vient dire au marché : je suis là pour vous protéger, alors arrêtez de déconner et échangez !!!  (d'ailleurs, en règle générale, la puissance publique est souvent convoquée dans le cas où le marché subit des dysfonctionnements, et se doit de vite « déguerpir » quand tout rentre dans l'ordre...)

    C'est à peu près exactement ce qu'on dit et fait les banques centrales. Constatant que la baisse des taux d'intérêts ne suffisait pas pour relancer l'activité et redorer suffisamment la confiance, elles ont décider d'utiliser leur deuxième arme de « régulation massive » : l'injection de monnaie. Et là, elles n'y sont pas allées de main morte... En effet, depuis 2010, la FED et la BCE ont injecté plusieurs milliers de milliards de dollars et d'euros dans le circuit économique, afin de fluidifier le marché. En inondant le marché de liquidité, elles espéraient relancer l'activité économique.  

    Mais au fait, comment fait-on pour injecter de la monnaie ? 

    Historiquement, créer de la monnaie consistait à faire « tourner la planche à billet », car il s'agissait tout simplement de créer de nouveaux billets ex nihilo qu'on s'empressait de mettre en circulation sur le marché, afin d'augmenter la quantité de monnaie dans le circuit économique. Si aujourd'hui, on ne crée plus directement des billets avec l'informatisation des échanges monétaires, le principe reste le même.

    L'hypothèse est alors la suivante : la quantité fait la richesse.  Plus la quantité de monnaie est importante, plus la richesse globale s'accroît et donc avec elle la croissance. En effet, l'excédent de monnaie est entièrement utilisé, notamment par les institutions financières qui décident d'investir sur des actifs (valeurs des entreprises en achetant des actions), faisant ainsi gonfler les actifs de ces entreprises, leur permettant d'augmenter leur capital et donc leurs investissements. Les banques de leur côté, sont amenées à prêter plus facilement et ainsi permettre aux ménages de consommer et aux entreprises d'investir à leur tour. À terme, tout le monde profite de cet octroi supplémentaire de monnaie (consommation + investissement = hausse de la production et de l'emploi = hausse du pouvoir d'achat des ménages et des profits des entreprises = croissance économique).

    La création monétaire a longtemps été l'arme privilégiée des nations européennes (surtout en période électorale), lorsqu'elles disposaient de la souveraineté sur la politique monétaire, avant la mise en place de l'euro et de l'indépendance de la BCE, seule capable aujourd'hui de créer de la monnaie.

    Le problème, c'est qu'à trop augmenter la quantité de monnaie en circulation, on risque de créer de l'inflation. En effet, la quantité de monnaie supplémentaire va avoir tendance à peser sur le prix des produits. Cette hypothèse, dit théorie quantitative de la monnaie est communément admise par la plupart des économistes. La mesure vise donc à relancer l'activité économique avant tout, quitte, à terme, à créer de l'inflation, qu'il s'agira de réguler le moment venu.... mais on en est encore loin !

    Si cette théorie peut être valable, elle ne se trouve vérifiée que si le niveau de production est déjà à son  maximum. Dans ce cas là, injecter plus de monnaie conduit automatiquement à générer une augmentation des prix. Mais dans le cas où nous sommes, les sommes astronomiques injectées par les banques centrales n'ont absolument pas créer de tensions inflationnistes en Europe, ni aux Etats-Unis, car dans le même temps, les capacités de production des économies n'étaient pas du tout à leur maximum. Pire, l'injection massive de monnaie a surtout servi à gonfler les actifs et entretenir des bulles boursières qui menacent dorénavant d'exploser à tout moment ! (mais c'est ce que nous verrons dans notre prochain billet)

     


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  • Depuis la crise financière mondiale débutée en 2007 aux Etats-Unis (dite crise des subprimes – c'est-à-dire un système de prêts à taux variables à des ménages peu solvables qui ont finit par ne plus pouvoir rembourser), l'économie mondiale a subi un ralentissement drastique. Pour y faire face, les banques centrales ont alors inondé les marchés de liquidités, afin d'éviter une crise de l'ampleur de celle des années trente, après le krach de 1929.

    Certes, le malade était agonisant et il fallait réagir rapidement et de manière claire : c'est ce qu'a fait la FED (banque centrale des Etats-Unis) dans un premier temps, en baissant à plusieurs reprises ses taux d'intérêt, suivie quelque temps plus tard par la BCE pour la zone euro.

    Mais vouloir s'acharner comme les banques centrales le font encore aujourd'hui, à maintenir l'accès facile à la liquidité, c'est prendre le risque de créer les conditions pour une nouvelle crise financière d'une ampleur au moins égale, sinon pire que la précédente.

    Comme le disait la célèbre publicité, si « la Sécurité sociale, c'est bien, en abuser, ça craint !». on peut en dire peu pareil de la politique monétaire expansionniste menée par les banques centrales depuis 2008. Vouloir relancer l'activité en pleine zone de turbulences sur les marchés, c'est bien, mais maintenir le marché sous perfusion après la tempête, c'est prendre le risque de précipiter la prochaine et surtout de ne pas pouvoir se protéger lorsqu'elle arrivera.

    Expliquons nous un peu mieux.

    Avant tout, il faut savoir que le rôle premier des banques centrales est de surveiller l'état de circulation de la monnaie dans une économie. Pour dire les choses simplement, plus un marché est fluide, c'est-à-dire plus sa monnaie circule bien, plus l'économie est dynamique, et inversement. Aussi, les banques centrales surveillent-elles en permanence, grâce à des indicateurs multiples, l'état de circulation de la monnaie, à la manière des caméras de surveillance sur les autoroutes qui surveillent le trafic en temps réel et préviennent des risques d'embouteillages qui ralentiraient les automobilistes.

    Selon que l'activité économique est plus ou moins importante, que les agents (entreprises, ménages) échangent plus ou moins entre eux (consommation, investissement), les banques centrales vont tenter de réguler le niveau de fluidité de la monnaie sur le marché.

    Mais comment font-elles ? En fait, les banques centrales disposent de deux « armes de régulation massive » : les taux d'intérêts et l'injection de monnaie.  Ainsi, en période de crise économique (comme en 2008-2009), où les institutions financières commençaient à chavirer fortement (litote...), voire couler complètement pour certaines (Lehmann Brothers pour la plus importante), les entreprises et les ménages avaient plus de difficultés pour investir et consommer, faute d'accès aux crédits par ces mêmes institutions financières. Certaines entreprises ont fait faillite, d'autres ont eu des problèmes de trésorerie ou ont vu leur profits se réduire comme neige au soleil, et dans ces cas là, il arrive ce qui doit malheureusement arriver... elles furent contraintes de licencier.

    Dans le même temps, le taux de chômage augmentant, c'est le pouvoir d'achat des ménages qui se contracte, donc leur capacité à consommer.

    L'économie étant un vaste mécanisme où chaque ensemble se répond, si la consommation baisse, c'est la production qui baisse, créant du chômage et une baisse encore plus importante de la consommation, ainsi de suite... avec le risque d'entrer dans ce que les économistes redoutent le plus au monde et appellent une spirale déflationniste (une situation dans laquelle le prix des produits ne cesse de baisser, pour compenser la baisse de consommation....).

    Très bien ! Me direz vous. Les prix n'ont qu'à baisser !  La vie est suffisamment chère comme ça ! Le problème, c'est que c'est un peu plus compliqué que cela... En fait, si les prix baissent, ce sont les entreprises qui produisent ces produits qui risquent de voir leurs marges s'effondrer, leur profits disparaître, et à la clé, devoir mettre cette dernière sous la porte... ce qui veut dire licencier, donc augmenter encore un peu plus le chômage, donc réduire encore un peu plus la consommation, etc, etc. Autrement dit, la baisse des prix risque d'entraîner une baisse encore plus importante des prix et avec elle un accroissement du chômage.

    En plus, si les prix baissent, qu'est-ce que vous allez avoir tendance à faire ? Si vous n'êtes pas pressés de changer votre dernier Iphone ou de refaire votre salon, vous allez sans doute reporter votre achat à plus tard, en anticipant une continuation de la baisse des prix. Eh oui ! Vous êtes (normalement) un être rationnel (en fait, c'est même la base du raisonnement économique), qui raisonnez en partie avec votre porte-monnaie quand il s'agit de consommer/d'investir, et si vous constatez que les prix chutent, vous allez sans doute retarder vos investissements et vos achats pour profiter de prix encore plus bas par la suite. Mais en faisant cela, vous ne faites que renforcer un peu plus la crise... puisque vous ne consommez pas mais préférez épargner, et ce d'autant plus que l'épargne devient dès lors profitable si les prix baissent.

    Revenons alors à nos moutons (enfin, plutôt à nos banques centrales).

    Il devient nécessaire pour elles d'agir afin d'éviter ce scénario catastrophe d'une spirale déflationniste : c'est là qu'elles mettent alors en œuvre ce qu'on appelle une politique monétaire expansionniste, où il s'agit tout simplement de répandre de la monnaie dans le circuit pour redonner de la fluidité sur les marchés.

    C'est ce qui s'est passé dès 2008 ; les banques centrales ont utiliser l'arme des taux d'intérêt. Cela consiste à faire baisser les taux d'intérêts afin que les institutions financières (banques privées par exemple) leur empruntent plus facilement de l'argent (puisque celui-ci devient moins cher de fait). Ce faisant, si les banques paient moins chère la monnaie qu'elles empruntent aux banques centrales, elles pourront, à leur tour, en prêter plus facilement aux agents économiques à des taux plus intéressants. Le but de la manœuvre est assez simple : il s'agit de dire aux ménages et aux entreprises : Consommez et investissez ! Répandez vous en biens et en services ! Les taux d'intérêts sont bas, c'est le moment de se lancer !

    Tout cela fonctionne bien dans un monde parfait où les banques acceptent de prêter facilement aux agents économiques. Mais c'est justement ce qu'elles ont eu du mal à faire dans la réalité, ce qui n'a pas permis de relancer véritablement l'activité économique. Et si les banques n'ont pas tout à fait joué le jeu de prêter plus facilement de l'argent, c'est tout simplement parce qu'elles avaient les « chocottes » (le « couillomètre à zéro » selon l'expression imagée d'un ancien Président de la République). Mais de quoi avaient-elles bien peur ? De ne pas être remboursées si les entreprises faisaient faillite.

    À ce jeu là, elles ne prêtent jamais alors... ou qu'aux riches (c'est bien connu). ! En fait, et c'est là qu'on atteint au cœur de l'économie et de la réalité sous-jacente sur laquelle elle repose : si les banques n'ont pas vraiment prêtées, c'est qu'elles n'avaient pas confiance Et oui, derrière les chiffres, les mécanismes, les formalisations mathématiques, il y a des hommes qui échangent.

    Et pour échanger, il faut de la confiance...... (à suivre).

     

     


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