• S'il existe des liens entre elles, solitude et isolement renvoient néanmoins à deux réalités distinctes. Pour Les vieux sont isolés quand les jeunes sont seulsdire les choses simplement, la solitude peut se définir comme une expérience subjective d'insuffisance d'appartenance. Elle est nichée dans la dynamique des appartenances et dans le rapport de l'individu aux normes d'affiliation sociale. L'isolement en revanche, correspond à un statut concret, basé sur des indicateurs objectifs d'insuffisance de liens.

     

    Ainsi, l'isolement est une donnée objective, qui permet de quantifier la densité du réseau de sociabilité des individus, tandis que la solitude s'apparente à une expérience subjective, un donné sensible du rapport de l'individu au monde environnant. Souvent, ces deux notions se rejoignent ; la faiblesse des liens sociaux entraînant un sentiment de solitude. Mais il arrive qu'elles ne se recouvrent pas. Ainsi, un célibataire qui, en moyenne, dispose d'un réseau de sociabilité souvent plus étendu qu'un couple, dit néanmoins devoir plus souvent souffrir de solitude.

     

    Une fois ces deux notions définies et bien différenciées, il s'agit maintenant de voir la réalité sociologique des solitudes en France. Nous allons ainsi constater que loin de correspondre à une vision galvaudée d'une solitude âgée, rurale et féminine, le sentiment de solitude traverse l'ensemble du corps social de manière plus ou moins durable selon les situations. 

    Nous allons donc faire tomber quelques un des "mythes" sociaux bien ancrés dans la dosa commune dans nos différents billets à venir. En distinguant l'isolement de la solitude, on donne ainsi à voir sous un nouveau jour une part souvent méconnue de la réalité sociale.

     

    Le mythe de la solitude des personnes âgées

     

    On a tendance à penser que la solitude se concentre essentiellement aux âges les plus avancés. Les études amènent à nuancer énormément le propos. En effet, si de nombreuses PA disent souffrir de solitude, les chiffres sont encore plus importants dans la population des plus jeunes.

    Non, la vieillesse n'est pas nécessairement un « exil » comme l'écrivait S. de Beauvoir. Cette idée reçue qui veut que la solitude soit synonyme de décrépitude est tenace mais n'en reste pas moins fausse. Elle repose sur l'idée qui associe isolement et solitude. Or, si l'isolement augmente bien avec l'âge (diminution factuelle de la quantité de liens), la solitude quant à elle ne croît pas davantage. Cette impression s'est vue également renforcée par l'épisode de la canicule de 2003 en France qui a vu un grand nombre de PA mourir des suites d'une insuffisance de soins et d'isolement.

     

    L'enquête INSEE menée en 2001 montre que la réalité de la solitude est bien différente. À la question « vous sentez-vous seul », (indicateur de solitude) :– ce sont les 25-34 ans qui se disent les plus sensibles à la solitude, suivi par la tranche des 35- 54 ans.

    Autrement dit, à rebours des idées reçues, ce sont surtout les jeunes qui souffrent le plus de solitude, alors même que statistiquement, c'est la population la moins isolée.

     

    Ce qu'il est possible d'en conclure, c'est que la solitude renvoie d'abord à un rapport à soi et à la place qu'on occupe dans la société. Le degré de solitude (expérience subjective) doit être rapporté aux représentations normées que les individus se font de leur place dans la société.

    Ainsi, la solitude n'est pas un statut social enraciné, mais un rapport à soi et à la société. Le sentiment d'inutilité comme le « sentiment océanique » (E. Durkheim) des plus jeunes les conduisent à se sentir isolés, comme manquant de liens sociaux légitimes opérants, à un âge de la vie, où "normalement" (au sens sociologique du terme) ils devraient avoir un tissu relationnel et des liens de socialité relativement denses, à l'inverse des personnes âgées, qui souffrent beaucoup moins de la faiblesse du tissu relationnel (en moyenne bien sûr), perçu comme plus "normal" à mesure qu'ils vieillissent et se replient sur la sphère privée pour certains.


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    Loin d'être nouvelles, les classes moyennes sont hétérogènes et ont toujours existé. Durant l'Antiquité, il existait une classe prestigieuse des eupatrides ou eugènes, correspondant aux « biens nés » à l'opposé desquels on trouvait les esclaves. De la même manière, chez les Romains, il y avait les padres, représentant des plus anciennes familles au sommet de la hiérarchie sociale mais entre les padres et les esclaves, tout un ensemble de catégories sociales existaient : les chevaliers, les plébéiens, les affranchis.

    Durant l'Ancien Régime, dans la société d'Ordres, on distinguait les nobles des serfs. Entre les deux se situaient la classe des roturiers, proches des serfs mais qui en différaient quant aux droits.

    En effet, les serfs, à la différence des roturiers se voyaient obligés au formariage et à la main-morte.

    Par formariage, on entend l'interdiction pour un serf de se marier avec une personne de condition franche, ou appartenant à un autre groupe seigneurial que le sien. En outre, les serfs étaient dans l'impossibilité de transmettre leur biens (lorsqu'ils en disposaient) à leurs descendants. Seuls les legs aux fondations pieuses étaient autorisés. De plus, ils ne pouvaient choisir librement l'implantation de leur domicile. Fortement contraints dans leur possibilité matérielle et reproductive, ils étaient sous le contrôle exclusif du seigneur. Tandis que les roturiers avaient davantage de liberté.

     

    Halbwachs démontre ainsi la permanence dans le temps des classes intermédiaires. Il reprend à son compte la définition donnée par F. Simiand des classes moyennes. « il faut entendre par classes moyennes une catégorie durable de personnes, considérées avec leur famille, qui ont des revenus et aussi un patrimoine de niveau moyen, intermédiaire entre celui de la classe sociale la plus élevée et celui des travailleurs et des salariés. Elle se réfère plutôt à des catégories de population urbaine, et notamment des petites villes. Elle comprend le haut artisanat, les petits, moyens commerçants et industriels, une partie des professions libérales et les fonctionnaires moyens. 1» la définition de Simiand est une définition situationnelle et descriptive, plus que particulière à l'état de la classe moyenne.

    L'opposition essentielle, reprise par Halbwachs consiste à différencier population rurale et urbaine, comme Marx l'avait fait avant lui. En effet, chez les paysans, l'identité de statut est supérieure à l'identité de classe, contribuant à faire des paysans une catégorie en soi, non réductible aux classes moyennes (Marx, Simiand et Halbwachs). Pour Halbwachs donc, les classes moyennes doivent être envisagées dans « le cadre de la civilisation urbaine ».

     

    Cependant, Halbwachs va tenter de donner une définition plus précise des classes moyennes en fonction de la place qu'ils occupent dans le processus de production sociale. Distinguant à son tour plusieurs catégories, il en différencie trois :

    • la catégorie des artisans, défini par l'indépendance et l'autonomie qu'ils ont dans leur travail. Si cette catégorie peut selon les situations se rapprocher de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, l'unité du groupe « artisan » provient selon Halbwachs de sa particularité dans le processus productif.

    • Les employés, définis essentiellement par leur subordination et leur dépendance économique , leur unité est fondée sur leur statut de subordonné et en cela se rapproche plus des ouvriers que des artisans. Ils occupent des fonctions matérielles. Néanmoins, certains disposent de plus d'initiative et de responsabilité que les autres et se rapprochent en cela des classes bourgeoises.

      Ainsi, souligne Halbwachs, il y a plus de différence entre les employés et les artisans qu'entre les ouvriers et les bourgeois au sein de cette catégorie sociale.

      « On peut dire que les fonctionnaires se rapprocheraient de la classe bourgeoise qui a aussi un sentiment assez fort de sa dignité ; et ils s'en rapprochent plus que les employés. Ils n'ont pas la même liberté, mais ont conscience d'exercer une fonction qui leur confère plus de prestige. » ainsi, la dimension statutaire est liée également à l'aspect symbolique du statut social.

    • Enfin, la catégorie des fonctionnaires, dont les moyens et petits fonctionnaires appartiennent aux classes moyennes également. Cette catégorie augmente à mesure que le rôle de l'Etat croît sur l'ensemble du territoire. À l'instar des ouvriers et des employés, ils bénéficient de peu d'autonomie dans leur travail, et sont soumis à la discipline de l'Etat. En revanche, à la différence des ouvriers, ils se définissent avant tout par leur fonction de serviteur de l'Etat et de la collectivité. Ce qui explique qu'ils aient une image d'eux-mêmes plus positive. Le prestige et la dignité accompagne leur statut social.

     

    Au-delà de ces différentes catégories hétérogènes, qu'est ce qui fonde l'unité de cette classe sociale?

    Il y a peu de sentiment d'appartenance commune (classe pour soi). Pour Halbwachs, c'est au niveau de leur participation à la production sociale que leur unité se mesure. En effet, l'ensemble de ces catégories peut se réunir autour d'un type d'activité essentiellement technique, basée sur des règles et des prescriptions.

    Mais à la différence de l'ouvrier, dont l'activité est aussi technique, la matière qu'il manipule n'est pas morte, inerte, mais c'est de la matière vivante. Les employés sont des agents agissant sur de la matière humaine, tandis que les ouvriers agissent sur des objets. Leur rang social plus élevé provient du rapport technique différencié qu'ils entretiennent, basé sur les relations humaines, certes réifiés.

    Ainsi, nous dit l'auteur, les ouvriers agissent sur la « matière matérielle » tandis que les employés agissent sur de « l'humanité matérialisée ».

     

    A leur tour, ce qui distingue ces deux classes de la classe bourgeoise, c'est que cette dernière n'agit pas directement sur la technique, mais sur la fonction en sa plénitude. Leurs actions consistent à adapter les règles, les techniques, à veiller à leur application. Ainsi, ils sont au sommet de la hiérarchie sociale.

    C'est donc au travers de leur participation respective au processus de production sociale que les individus se hiérarchisent en classes sociales différenciées. Au sommet, la fonction dans sa plénitude, à la base, l'application technique sur la matière, entre les deux, l'application technique dans la relation humaine.

     

    Ainsi, pour Halbwachs, reprenant Tocqueville, si l'esprit de la classe moyenne « peut faire merveille », ce n'est qu à la condition de s'associer à celui du peuple ou de la bourgeoisie, car « seul, il ne produira jamais qu'un gouvernement sans vertu et sans grandeur. »

     

    1F. Simiand, Cours d'économie politique, Paris, 1928, p. 170.


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     L'Etat est un objet sociologique difficile à saisir, parce qu'il est traversé de prénotions. C'est un objet impensable même car toute pensée sur l'Etat est une pensée d'Etat nous dit Bourdieu. L'Etat nous possède, il est incorporé dans nos manières d'agir et de penser. Il est :

    « un principe de production, de représentation légitime du monde social. »

    Quiconque veut réfléchir sur l'Etat applique à l'Etat une pensée d'Etat. Déjà, dans un texte de Raisons pratiques, l'auteur soulignait l'impensable d'un objet – il traitait alors de l'Ecole (mais l'Ecole, c'est l'Etat) – qui se donne les apparences du naturel.

    « Du fait qu'elle est l'aboutissement d'un processus qui l'institue à la fois dans les structures sociales et dans des structures mentales adaptées à ces structures, l'institution instituée fait oublier qu'elle est issue d'une longue série d'actes d'institution et se présente avec toutes les apparences du naturel.1 » (p. 107)

    Comment faire alors?

    Il faut dépasser l'analyse substantialiste, qui pose l'Etat comme un invariant et l'analyse fonctionnaliste qui ne voit l'Etat qu'à partir de ce qu'il fait, ou ceux pour qui il le fait. Bourdieu cherche à comprendre ce qu'est l'Etat en tant qu'institution instituée, autrement dit comment l'Etat s'est constitué historiquement comme Etat, c'est-à-dire comme lieu de concentration et de monopolisation de l'ensemble des ressources de sens sur le monde social (des règles calendaires, au code de la route, en passant par la levée d'impôt, etc.)

    pour cela, l'auteur se livre à une véritable socio-génèse, ou sociologie génétique de l'Etat, afin de mettre à jour les principes qui ont contribué à la constitution de l'Etat. Faire une sociologie génétique permet de repérer comment ce qui va de soi aujourd'hui, et donc qui à ce titre n'est jamais interrogé, puisque accepté comme allant de soi, s'est constitué historiquement comme allant de soi. Qu'est ce qui a présidé à l'instauration du calendrier grégorien, à la définition des titres scolaires reconnus, au code de la route, etc ?

    Dévoilant les illusions de la " pensée d'Etat ", vouée à entretenir la croyance en un principe de gouvernement orienté vers le bien commun, Pierre Bourdieu montre que cette " fiction collective " aux effets bien réels est à la fois le produit, l'enjeu et l'espace ultimes de toutes les luttes d'intérêts.

     

    Pour une sociologie génétique de l'Etat : aspects méthodologiques

    Pour Bourdieu, seule la recherche génétique peut permettre de saisir l'Etat comme invention historique, comme « artefact historique » et que les individus sont eux-mêmes des produits d'Etat, des inventions d'Etat, à l'instar de leurs esprits. Nos manières de penser et d'agir, notre structure mentale, notre subjectivité sont des inventions d'Etat. Ainsi, arriver à saisir l'Etat dans ce qu'il est, dans son essence et pas seulement dans ses fonctions (théories classiques), impose de découvrir la genèse des phénomènes étatiques, de remonter à l'origine étatique de nos manières de penser, au fondement des évidences.

    Bourdieu souligne également le paradoxe sur lequel se constitue le monde social, paradoxe souvent négligé par les sociologues qui sont amenés à étudier les faits sociaux sous le paradigme de l'actionalité rationnelle ou du fonctionnalisme. Il précise que :

    « on peut découvrir un ordre immanent sans être obligé de faire l'hypothèse que cet ordre est le produit d'un intention consciente des individus, ou d'une fonction transcendante aux individus, inscrite dans les collectifs ». (p. 157-158)

    Si les agents sociaux sont bien agissants, s'ils sont actifs, c'est d'abord l'histoire qui agit à travers eux, histoire qu'ils portent et actualisent dans leurs actes en fonction des expériences singulières qui viennent s'y déposer. Ils sont donc à la fois produits de l'histoire et producteurs d'histoire. Pour Bourdieu, il n'y a donc pas d'opposition antithétique qui tienne entre structure et individu, car comme il le souligne :

    « la structure est dans l'individu aussi bien que dans l'objectivité » (p. 159).

    L'institution étatique, souligne Bourdieu est une institution efficace lorsqu'elle réussit à s'imposer sans s'imposer, comme allant de soi. Ainsi, l'institution existe deux fois :

    « elle existe dans l'objectivité des règlements et dans la subjectivité de structures mentales accordées à ces règlements » (p. 185)

    Et ce faisant, elle disparaît comme institution. Autrement dit, le fondement des choses qui nous apparaissent comme les plus fondamentales, les plus déterminantes est sans doute dans les structures mentales, dans les formes symboliques, et pas dans les formes matérielles de l'infrastructure. Or, seule une sociologie génétique peut permettre de mettre à jour « l'arbitraire des commencements ».

    Mais qu'est-ce que l'Etat précisément?

     

    Dépasser la vision fonctionnaliste classique de l'Etat

    Bourdieu va s'employer à élaborer, construire et peaufiner sa définition au fur et à mesure de l'avancée de son cours. Il commence par s'appuyer sur les deux approches antagonistes de l'Etat pour mieux les réfuter, en montrant leurs limites.

    L'approche classique initiée par la philosophie politique (Hobbes, Locke) fait de l'Etat un lieu neutre, un espace de désintéressement, au service du bien commun. Autrement dit, l'Etat serait le lieu du consensus sur le sens du monde social. Sorte de point de vue au-dessus des points de vue particulier, sans point de vue lui-même. L'Etat se constitue comme un quasi-Dieu transcendant, disposant d'une méta-vision sur le monde.

    Bourdieu récuse cette vision angélique de l'Etat, qui reflète un fonctionnalisme bienveillant, désintéressé. L'Etat, somme d'agents particuliers, ne peut pas être un simple lieu de neutralité. Son point de vue sur le monde social, reconnu comme point de vue des points de vue (donc officiel) est le produit d'intérêts, de conflits, de luttes initiales qui n'apparaissent plus aujourd'hui, car semblant aller de soi. Mais le point de vue de l'Etat est un allant-de-soi qui n'a rien de désintéressé initialement.

    Ensuite, l'approche marxiste, qui pour simplifier est antinomique de l'approche classique, voit dans l'Etat un instrument de domination, autrement dit un instrument au service de l'intérêt des dominants. Ainsi, souligne Bourdieu, dans l'approche marxiste, l'Etat est défini :

    « par ce qu'il fait et par les gens pour lesquels il fait ce qu'il fait » (p. 17).

    Cette vision est réductrice, dans le sens où elle ne s'occupe que des fonctions de l'Etat sans se soucier de sa genèse, ni de son mécanisme de production. Comment se fait-il que l'Etat serve les intérêts des dominants. Quels principes ont guidé à sa constitution comme instrument d'utilité bourgeoise? L'approche marxiste inverse l'approche désintéressée de l'État neutre, sans apporter d'éclairage sur ce qu'est vraiment l'État. Elle substitue simplement à l'État lieu du consensus un État diabolique, au service d'une classe sociale.

    Ces deux approches se situent dans une vision fonctionnaliste de l'État, posant la question de son utilité, avant même celle de sa production. Or, la fonction n'est pas première, mais résulte d'une constitution initiale. Certes, l'État est bien le principe de l'ordre social, qui dit la vision du monde social telle qu'elle doit être dite. Il légitime une certaine vision du monde reconnue comme légitime par tous. Ce faisant, il est bien un lieu de consensus. Mais ce qui intéresse Bourdieu, c'est de montrer comment ce consensus s'est constitué, comment la vision de l'État est devenue vision légitime.

    Autrement dit, qu'est-ce qui a permis qu'une vision particulière se transforme en vision universelle et en se transformant en vision universelle se légitime comme une vision universelle?

    cela fera l'objet d'un prochain billet...

     

    1. P. Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Essais, Seuil, 1996.


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  • L'ouvrage de Daniel Cohen, La mondialisation et ses ennemis, riche et stimulant, facile d'accès et fourmillant d'exemples pertinents comme souvent, défend une thèse rarement entendue: sur la mondialisation . Plutôt qu'affirmer communément que c'est l'expansion de la mondialisation qui effraie, il avance l'idée que c'est au contraire son non avènement qui  pose problème. La troisième mondialisation que nous vivons (après celle des conquêtes du XVI qui ont décimé les populations « moins avancées », et des comptoirs anglais du XIX, qui ont accru les inégalités Nord/Sud,n 'advient pas. Pire, elle condamne les individus à demeurer spectateurs de celle-ci par la diffusion généralisée d'un certain confort de vie au travers de la mondialisation de l'image, tout en nourrissant la frustration d'une partie de la population condamnés à rester en dehors de ce confort matériel minimum. pour reprendre des catégories marxistes, en en caricaturant un peu, on pourrait dire qu'il s'agit d'une mondialisation de la superstructure sans mondialisation de l'insfrastructure.

    En effet, l'augmentation des richesses, le développement du commerce international, des moyens de communication ne favorisent pas les zones économiquement faibles, mais creusent encore davantage les inégalités entre les centres et les périphéries. La mondialisation s'accompagne d'avantages, mais également de difficultés considérables au Nord comme au Sud, mais les pays du Nord, plus « rodés, se sont prémunis contre ses effets pervers.

    La seule mondialisation que connaissent les pays du Sud, c'est celle de l'image qui leur fait espérer une vie à l'occidentale, qui leur laisse entrevoir un espoir auquel ils ne peuvent accéder. Ce qui pose problème dans la mondialisation contemporaine, c'est la grande difficulté qu'ont les individus à s'en rendre acteurs. C'est une mondialisation immobile nous dit l'auteur ; où les images circulent, mais pas les hommes. À l'inverse de la mondialisation du XIX,beaucoup plus mobile et bien plus importante en terme de flux. Les citoyens en sont avant tout spectateurs plus qu'acteurs : c'est en cela que la mondialisation apporte son lot de frustration. Ce qui fait dire à l'auteur que « c'est parce qu'elle n'advient pas, et non parce qu'elle est déjà accomplie que la mondialisation aiguise les frustrations 1».

     

    Dans un premier temps, Cohen revient sur les raisons qui peuvent expliquer les inégalités de développement entre les pays dans le monde. Pour cela, il s'appuie sur la thèse stimulante et unicausale de Jared Diamond. Pour ce dernier, la raison essentielle qui explique les inégalités de développement dans le monde repose sur un facteur écologique, indépendant donc de particularismes humains axés sur une approche raciste du développement. Selon lui, c'est l'accès à un environnement écologique favorable qui a permis à certains de se développer plus vite que d'autres. Ces facteurs écologiques sont de deux ordres notamment :

    • accès à des sols fertiles facilitant l'agriculture : à ce titre, la zone du Croissant fertile a diffusé par la suite sous des latitudes similaires

    • accès à des types d'animaux facilement domesticables. La domestication des chevaux, par exemple, a fourni un avantage considérable aux conquêtes barbares.

     

    Si l'Afrique, notamment subsaharienne ou le Continent américain étaient moins développé que le continent eurasien, c'est à cause des barrières à la diffusion. Le désert et les océans ont freiné le développement de ces zones inaccessibles. Selon Diamond, les grandes innovations (domestication de certains animaux, agriculture) se sont effectuées une fois dans l'Histoire de l'Humanité pour se diffuser par la suite. Ceux qui étaient les plus éloignés, les moins accessibles n'ont pas été touché par cette diffusion mondialisée. Ainsi, c'est la mondialisation qui explique le développement de l'Humanité et ce sont les obstacles à celle-ci qui explique le maintien des inégalités de développement des le début de l'histoire humaine.

     

    Un autre facteur explique aussi le développement inégal des populations : c'est le facteur démographique. M. Kremer constate qu'historiquement, les régions les plus densément peuplées étaient les régions les plus vastes. L'explication est la suivante : plus les régions sont vastes, plus la variété écologique peut être importante et faciliter le développement démographique. On parle alors de processus autocatalytique : la variabilité écologique conduit à l'augmentation de la population. Cette poussée démographique concoure à disposer d'une source d'inventivité plus grande, ce qui va permettre l'innovation et donc le développement de la population, etc.

    Ecologiquement, cela signifie que plus un territoire est vaste, plus le phénomène d'autocatalyse peut oeuvrer. Aujourd'hui, dans le langage économique, on dirait, plus un marché est vaste, plus la croissance endogène peut se développer.

    La démographie est un facteur important des conquêtes mondiales : la densité des sociétés conduit celles-ci à se développer plus rapidement, à innover et à développer des moyens de protection contre les effets pervers de leur développement. Ainsi, les populations européennes ont développer des anticorps aux virus qu'elles ont elles-mêmes créées tandis que les populations conquises ont succombé aux effets pervers des « sociétés avancées », non immunisée contre ces virus. L'exemple de la conquête du Nouveau Monde est affligeant : on estime qu'au-delà des massacres de la population indienne, c'est près de 95% de la population qui fut exterminée par les virus importés d'Europe.

     

    De la même manière, le capitalisme n'immunise pas les autres sociétés « moins avancées » de ses effets pervers (inégalités croissantes, régime d'accumulation et de concentration des richesses, individualisation) que nos sociétés ont réussi à contenir (en partie). Pourtant, selon Cohen, plus que son expansion, « ce qui frappe est bien davantage sa fiable capacité à diffuser le progrès technique dont il est porteur, que sa propension inverse à l'imposer partout2. »

     

    La question qui se pose alors est celle de l'inégalité des échanges. Pourquoi l'échange international est-il inégalement réparti?

     

    Encore une fois, Cohen s'appuie dans un premier temps sur la thèse d'un autre auteur avant de la critiquer et de répondre à la question posée. Il reprend les analyses d'Arrighi Emmanuel, qui a fait beaucoup de bruit à l'époque, issue de son ouvrage L'échange inégal3, car elles remettaient en cause l'analyse marxiste de l'impérialisme du capitalisme.

    Ce que dit Emmanuel, c'est que le régime capitaliste n'a pas besoin des pauvres pour se développer et accumuler les richesses. Contrairement aux théories développées au début du XX siècle par le courant marxiste (Rosa Luxembourg, Lénine), la thèse de l'impérialisme comme forme d'accumulation du capital ne tient pas. Chiffres à l'appui, il démontre que le capital ne tire pas davantage de profits dans les pays pauvres que dans les pays riches. Ses marges restent les mêmes. De même, les historiens ont démontré que les pays colonisateurs (sauf exception) ont globalement connu une croissance plus faible du temps de leur impérialisme. Alors pour quelles raisons exploitent-on certains pays si ce n'est pas pour accumuler davantage de capital? Où va la « plus-value » prélevé sur le travail des pauvres si ce n'est au capital?

     

    La réponse est simple et sans équivoque : si le capital ne s'enrichit pas davantage dans ces pays, c'est parce que le prix des produits vendus doit être beaucoup plus faible. Les marchandises moins chère profitent d'abord aux consommateurs du Nord, c'est-à-dire aux salariés du Nord.

    Conclusion d'Emmanuel : ce sont les ouvriers du Nord qui exploitent les ouvriers du Sud! La théorie marxiste s'effondre et s'inverse : les exploités du Sud le sont par les exploités du Nord. La lutte internationale des classes devient alors une lutte internationale des prolétaires. C'est pour satisfaire les exigences de pouvoir d'achat, d'amélioration des conditions de vie des travailleurs du Nord que l'on va exploiter les travailleurs du Sud. Les ouvriers du Nord ont gagné la lutte des classes et « obligent » les entreprises à s'implanter ailleurs en exploitant la main d'oeuvre locale. Autrement dit, l'exploitation de la main d'œuvre noire est une exploitation des conquêtes ouvrières de la main d'œuvre du Nord!

    Effectivement, la thèse se tient, l'argumentaire est solide. Néanmoins, il faut aussi constater que s'il est vrai que les consommateurs français se plaisent à acheter des produits fabriqués en Chine aux prix moins élevés, condamnant en cela une partie des emplois du Nord à disparaître, ils permettent également au capital de prélever une part plus importante de « plus-value » sur les travailleurs du Nord. Si les produits consommés sont moins chers, il est alors possible de compresser la masse salariale, de diminuer le coût du travail au Nord, sans entraver la consommation des ménages. Donc, en poursuivant le raisonnement d'Emmanuel jusqu'au bout, on pourrait dire que les ouvriers du Sud sont exploités par les consommateurs/salariés du Nord pour permettre aux exploitants/capitalistes du Nord d'exploiter davantage les salariés/consommateurs du Nord. Au total, ce sont les capitalistes qui gagnent, car les salariés du Nord et du Sud ne sont pas les mêmes et ils se font tous les deux exploités. En revanche, les capitalistes du Nord et du Sud sont souvent les mêmes et au bout du compte, ils peuvent mieux exploiter les salariés du Nord.

     

    Pour autant, si l'explication est séduisante par sa simplicité, elle n'est pas suffisante. Une autre théorie, avancée par Fernand Braudel le premier repose sur une analyse plus géographique des inégalités.

    Selon Braudel, nous vivons désormais dans une économie-monde. Cette économie-monde repose en réalité sur un mode de découpage des inégalités par cercles concentriques. Plus on s'éloigne du centre, plus les inégalités de développement sont importantes. En effet, selon la thèse de l'auteur, la diffusion des moyens de communication et d'échange, plutôt que de profiter aux régions éloignées, en les rendant plus accessibles, va profiter aux centres.

    Si un train permet de se rendre plus rapidement et facilement de Paris à Clermont-Ferrand, il permet aussi de se rendre plus rapidement de Clermont-Ferrand à Paris. Et dans la réalité, c'est surtout la deuxième situation qui prévaut. Les marchandises peuvent s'échanger dans les deux sens, mais c'est toujours au détriment des périphéries et à l'avantage des centres nous dit Braudel.

    Les grandes révolutions industrielles l'ont confirmé : le chemin de fer a profité avant tout aux grandes villes : on acheminait les récoltes des villages éloignés pour les vendre sur Paris et les grandes villes des différentes régions. Les campagnes ont moins profité que les villes. L'informatisation a rendu les villes plus proches les unes des autres, mais ce sont les centres qui en profitent davantage. La grille des salaires et des produits suit cette diffusion concentrique : plus on s'éloigne des centres, plus historiquement les prix sont faibles. Cela est moins vrai dans nos pays occidentaux où les liaisons sont nombreuses et les prix identiques sur l'ensemble du territoire (à peu près), mais il est toujours vrai que la mise en circulation d'une ligne de TGV entre deux villes se fait toujours à l'avantage de la plus grosse ville.

    La raison : les économies d'échelle. La grande ville a un marché plus vaste : il est plus intéressant de concurrencer la petite ville désormais qu'il est intéressant pour la petite ville d'essayer de concurrencer la grande. Le marché étant plus vaste dans la première, les économies d'échelles y sont plus avantageuses et donc l'entreprise y est plus rentable et compétitive. Elle prend des parts de marché à la ville plus petite. Il ne reste plus qu'à celle-ci à fermer boutique ou alors à se spécialiser dans un type d'offre différent de la grande ville. C'est la différenciation de l'offre qui permet de maintenir l'échange entre des zones proches. C'est ce qui explique en partie pourquoi le commerce international est avant tout (et de loin!) un commerce intrazone de produits de même branches. On échange davantage entre la France et l'Allemagne des produits similaires qu'on échange avec les Etats-Unis par exemple.

    Les centres happent les richesses de la périphérie et paupérisent davantage encore celles-ci. Les inégalités se creusent alors avec le développement des moyens d'échange et de communication. Mais comme le souligne Braudel, à l'époque de la première et de la seconde mondialisation, les habitants de Brest ou de la campagne berrichonne avaient peu de lien avec les centres, continuant leurs vie selon leur propre rythme à l'opposé du rythme des centres. La périphérie vivait « une histoire qui coule au ralenti... » En revanche, la troisième mondialisation diffère sur un point essentiel : elle donne à voir la réalité de la vie des centres. La télévision, les médias laissent entrevoir la possibilité d'une autre vie, d'un autre monde mais si la conscience se mondialise, les forces économiques sont encore concentrées sur quelques zones. Il y a un décalage grandissant entre le spectacle du monde et sa réalité dans les zones éloignées des centres. C'est de ce décalage que naissent les frustrations.

     

    D'où la conclusion de l'auteur : si l'industrialisation d'hier n'a pas été responsable des malheurs du Sud (les inégalités se creusant au profit du Nord, plus qu'au détriment du Sud), la désindustrialisation des économies occidentales ne sera pas plus l'eldorado pour les économies du Sud. L'exemple du Mexique l'atteste avec les maquiladores qui concentrent à la frontière étasunienne du côté mexicain les industries manufacturières délocalisées du Nord, pour ré-exporter les produits vers le Nord. Les ouvriers mexicains travaillent et produisent, certes, mais ils ne consomment pas. La désindustrialisation n'est pas la solution viable dans la durée au développement des économies du Sud. « Pour se développer, nous dit Cohen, un pays doit devenir à son tour un « centre », c'est-à-dire un lieu dense de production et de consommation4 ».

     

    Le creuset Nord/Sud accentué par les moyens de communication et d'échange qui rend les périphéries plus proches des centres, sans que les richesses ni les hommes se rapprochent, ne risque t-il pas d'aboutir à un choc des civilisations comme le fameux ouvrage d'Huntington5 le laissait présager ?

    Avant d'aller plus loin, nous pouvons déjà répondre par la négative. La thèse de Huntington est plus idéologique que scientifique. L'argument qui l'atteste le mieux est sans doute l'argument démographique. Rarement souligné, rarement mis en avant, il est pourtant l'un des facteurs les plus décisifs de l'évolution des sociétés humaines. Depuis une vingtaine d'années, parfois plus, la transition démographique s'est mise en marche dans la quasi-totalité des pays du Sud à l'exception de quelques uns (Bangladesh, Pakistan). La fécondité a fortement diminué en l'espace d'une génération, le niveau de scolarisation est également en train de s'élever et avec lui celui de l'alphabétisation des populations6. Comment expliquer cette rapidité d'évolution et cette diffusion dans les comportements? L'explication la plus vraisemblable est celle de la diffusion de l'image. C'est l'image qui a conduit à transformer les comportements culturels. C'est la diffusion des postes de télévision qui en donnant à voir les modèles culturels occidentaux, ont conduit ces populations à imiter ces modèles de comportements. Les consciences se rapprochent, mais les inégalités demeurent. Voilà le problème de la mondialisation contemporaine : la proximité des images, la distance des actes. C'est une partie de la thèse que soutient D. Cohen : une mondialisation partielle, non achevée, mondialisant les images et les désirs, sans mondialiser les réalités matérielles.

     

     

    La thèse développée par Huntington pour faire simple est celle d'une confrontation entre société « moderne » et société « patriarcale », à dominante autoritaire. Derrière cette opposition, c'est en fait l'opposition entre l'Islam et l'Occident qui est avancée.

    Économiquement, il est vrai que les pays musulmans sont globalement (l'Indonésie, pays où la population musulmane est la plus importante du monde en est un contre-exemple parfait) moins développés que les autres. Est-ce pour autant dans la religion qu'il faut chercher la justification de cette inégalité de développement. Assurément non. Un seul contre-exemple (et l'Indonésie en est un) et c'est toute la thèse qui s'effondre. En outre, historiquement, la civilisation musulmane fut plus en avance que la civilisation judéo-chrétienne pendant de longs siècles. Ce n'est qu'à partir de la Renaissance que l'Europe prend son envol, par toute une série d'innovation qui va la conduire à accélérer son développement technologique, scientifique, économique et politique. A partir du XVI siècle, l'Europe s'envole tandis que la civilisation musulmane stagne. L'écart ne vient pas d'un affaiblissement de la seconde, mais d'un essor sans précédent de la première qui ne se diffusera que très peu à l'Empire musulman, pour des raisons encore difficilement explicables.

    1Daniel Cohen, La mondialisation et ses ennemis, Hachette Littératures, Paris, 2005.

    2Ibid, p. 40.

    3A. Emmanuel, L'Echange inégal, Paris, 1969.

    4D. Cohen, p. 125.

    5Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 2000.

    6cf. notamment l'ouvrage stimulant et riche de données de Y. Courbage et E. Todd, Le rendez-vous des civilisations, Seuil, République des Idées, 2006. dont le titre entre volontairement en résonance avec celui de Huntington pour mieux démonter sa thèse.


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    Ce jeudi 19 mars, j'ai participé à la grève nationale lancée par le mouvement intersyndical. C'est la première fois véritablement que je participe à un mouvement de grève en défilant dans les rues. Je ne sais pas ce qu'en diront les syndicats, ni même la police, mais le mouvement a été énormément suivi pour une petite ville comme Bourges, les manifestants s'étendant sur près de 1 km.

    Si j'ai décidé de participer à cette grève, ce n'est pas uniquement pour défendre mes intérêts partisans, mais plus généralement pour défendre la justice sociale dans un pays qui me semble être en proie à un mouvement d'inégalitarisme de plus en plus prégnant.

    Voici quelques uns de mes griefs :

    1. le bouclier fiscal qui est une mesure scandaleuse en temps de crise. Certes, sa suspension serait symbolique, car l'impôt sur la fortune représente à peine 0,5% de la fiscalité en France et donc de la redistribution, mais le poids des symboles est essentiel. Un gouvernement qui méprise les symboles est un gouvernement qui va à sa perte. Tant cette mesure apparaît (à juste titre) comme une mesure d'injustice sociale au nom de la justice fiscale.

    2. L'odieuse et insidieuse remise en question des droits et des libertés individuelles, qui font de la France des droits de l'Homme, au mieux un joli concept, au pire une utopie à proscrire!

    3. Le démantèlement progressif et silencieux du service public. En ayant une gestion purement budgétaire, on méprise les fonctionnaires, les élèves et leurs parents. Que se passe t-il? Pour prendre un exemple que je connais bien, dans l'établissement où j'enseigne cette année, il y a trois postes et demi de professeurs de SES. L'année prochaine, il en restera 2, soit un poste et demi qui disparaît sans que les élèves, eux, ne s'évanouissent dans la nature. A raison de 28h de cours qui sautent, cela signifie 14 heures supplémentaires à se répartir à 2! Chose impossible évidemment, sauf à faire de l'école une industrie d'abattage à la chaîne. Trois classes de terminales, trois classes de première et deux (ou trois selon les effectifs) classes de secondes pour deux enseignants. Quid de la pédagogie différenciée, du traitement individuel de l'élève déjà très difficile à mettre en oeuvre avec des classes de 30 et un programme surchargé ?

    La solution est simple : recruter des contractuels, c'est-à-dire des emplois précaires, plus flexibles et malléables (l'Etat est le premier employeur en France de précaires trois points devant le privé).

    Mais à agir comme cela, c'est tout le service public qu'on détruit. Les contractuels sont généralement moins formés, ne connaissent pas toujours précisément les programmes, mais surtout ils sont « jetables », reconduits d'une année sur l'autre, ou non, sans aucune garantie. Pendant ce temps, on grossit le nombre d'élèves par classe pour éviter de multiplier les postes ; ce faisant, les enseignants ont moins de temps pour différencier leur pédagogie, pour prendre le temps de s'occuper de celles et ceux qui ont davantage de difficultés. De l'autre côté, certaines matières vont perdre des heures ( cela peut se justifier dans certains cas, mais mérite au moins débat), mais conservent le même programme ! On augmente la productivité de l'enseignant, en oubliant que le « produit » qu'il travaille n'est pas un objet comme les autres, ce n'est pas une marchandise standardisée, mais un individu singulier ! Conserver le même programme en diminuant le nombre d'heures ou augmenter les effectifs par classe revient à appliquer des méthodes tayloristes à l'Education Nationale, à la production de savoirs.

    Ce qui compte n'est donc plus l'exigence de résultats, mais l'obligation de réduire les coûts. L'outil prime sur le produit. La forme sur le fond. La méthode de rationalisation des tâches doit s'appliquer partout. Cette approche de l'école et de l'enseignement est une approche à court terme qui cherche à réduire la masse salariale, les coûts de production, sans se soucier des conséquences sur la qualité des savoirs. L'élève n'est plus qu'une marchandise comme une autre, l'enseignant un travailleur comme un autre et l'Education Nationale une entreprise de production comme une autre. Désormais, la productivité de l'enseignant ne se mesure plus à la qualité du « produit » fourni, mais à la quantité de « produit » traité !

    Tout ceci concourt à voir partir certains élèves dans les écoles privées, où les conditions de travail, les moyens, les effectifs permettent un travail meilleur. Le gouvernement déconstruit l'école de la République pour édifier une école des élites. Je ne dis pas qu'il ne faut pas réformer le système. Au contraire, je pense qu'il faut le repenser en profondeur, en lien avec l'évolution de nos sociétés, la polyvalence des sources de savoirs aujourd'hui disponibles (internet, Tv, journaux), la multiculturalité de nos élèves, l'hétérogénéité sociale, etc. Mais c'est en partant de l'élève que nous trouverons la solution. Mettre l'élève au centre oui, mais aussi au départ et à l'arrivée. Et non, à l'instar de ce qui se fait aujourd'hui, raisonner en termes exclusifs de réductions des coûts.

     


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