• les classes sociales chez Halbwachs

     

    Loin d'être nouvelles, les classes moyennes sont hétérogènes et ont toujours existé. Durant l'Antiquité, il existait une classe prestigieuse des eupatrides ou eugènes, correspondant aux « biens nés » à l'opposé desquels on trouvait les esclaves. De la même manière, chez les Romains, il y avait les padres, représentant des plus anciennes familles au sommet de la hiérarchie sociale mais entre les padres et les esclaves, tout un ensemble de catégories sociales existaient : les chevaliers, les plébéiens, les affranchis.

    Durant l'Ancien Régime, dans la société d'Ordres, on distinguait les nobles des serfs. Entre les deux se situaient la classe des roturiers, proches des serfs mais qui en différaient quant aux droits.

    En effet, les serfs, à la différence des roturiers se voyaient obligés au formariage et à la main-morte.

    Par formariage, on entend l'interdiction pour un serf de se marier avec une personne de condition franche, ou appartenant à un autre groupe seigneurial que le sien. En outre, les serfs étaient dans l'impossibilité de transmettre leur biens (lorsqu'ils en disposaient) à leurs descendants. Seuls les legs aux fondations pieuses étaient autorisés. De plus, ils ne pouvaient choisir librement l'implantation de leur domicile. Fortement contraints dans leur possibilité matérielle et reproductive, ils étaient sous le contrôle exclusif du seigneur. Tandis que les roturiers avaient davantage de liberté.

     

    Halbwachs démontre ainsi la permanence dans le temps des classes intermédiaires. Il reprend à son compte la définition donnée par F. Simiand des classes moyennes. « il faut entendre par classes moyennes une catégorie durable de personnes, considérées avec leur famille, qui ont des revenus et aussi un patrimoine de niveau moyen, intermédiaire entre celui de la classe sociale la plus élevée et celui des travailleurs et des salariés. Elle se réfère plutôt à des catégories de population urbaine, et notamment des petites villes. Elle comprend le haut artisanat, les petits, moyens commerçants et industriels, une partie des professions libérales et les fonctionnaires moyens. 1» la définition de Simiand est une définition situationnelle et descriptive, plus que particulière à l'état de la classe moyenne.

    L'opposition essentielle, reprise par Halbwachs consiste à différencier population rurale et urbaine, comme Marx l'avait fait avant lui. En effet, chez les paysans, l'identité de statut est supérieure à l'identité de classe, contribuant à faire des paysans une catégorie en soi, non réductible aux classes moyennes (Marx, Simiand et Halbwachs). Pour Halbwachs donc, les classes moyennes doivent être envisagées dans « le cadre de la civilisation urbaine ».

     

    Cependant, Halbwachs va tenter de donner une définition plus précise des classes moyennes en fonction de la place qu'ils occupent dans le processus de production sociale. Distinguant à son tour plusieurs catégories, il en différencie trois :

    • la catégorie des artisans, défini par l'indépendance et l'autonomie qu'ils ont dans leur travail. Si cette catégorie peut selon les situations se rapprocher de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, l'unité du groupe « artisan » provient selon Halbwachs de sa particularité dans le processus productif.

    • Les employés, définis essentiellement par leur subordination et leur dépendance économique , leur unité est fondée sur leur statut de subordonné et en cela se rapproche plus des ouvriers que des artisans. Ils occupent des fonctions matérielles. Néanmoins, certains disposent de plus d'initiative et de responsabilité que les autres et se rapprochent en cela des classes bourgeoises.

      Ainsi, souligne Halbwachs, il y a plus de différence entre les employés et les artisans qu'entre les ouvriers et les bourgeois au sein de cette catégorie sociale.

      « On peut dire que les fonctionnaires se rapprocheraient de la classe bourgeoise qui a aussi un sentiment assez fort de sa dignité ; et ils s'en rapprochent plus que les employés. Ils n'ont pas la même liberté, mais ont conscience d'exercer une fonction qui leur confère plus de prestige. » ainsi, la dimension statutaire est liée également à l'aspect symbolique du statut social.

    • Enfin, la catégorie des fonctionnaires, dont les moyens et petits fonctionnaires appartiennent aux classes moyennes également. Cette catégorie augmente à mesure que le rôle de l'Etat croît sur l'ensemble du territoire. À l'instar des ouvriers et des employés, ils bénéficient de peu d'autonomie dans leur travail, et sont soumis à la discipline de l'Etat. En revanche, à la différence des ouvriers, ils se définissent avant tout par leur fonction de serviteur de l'Etat et de la collectivité. Ce qui explique qu'ils aient une image d'eux-mêmes plus positive. Le prestige et la dignité accompagne leur statut social.

     

    Au-delà de ces différentes catégories hétérogènes, qu'est ce qui fonde l'unité de cette classe sociale?

    Il y a peu de sentiment d'appartenance commune (classe pour soi). Pour Halbwachs, c'est au niveau de leur participation à la production sociale que leur unité se mesure. En effet, l'ensemble de ces catégories peut se réunir autour d'un type d'activité essentiellement technique, basée sur des règles et des prescriptions.

    Mais à la différence de l'ouvrier, dont l'activité est aussi technique, la matière qu'il manipule n'est pas morte, inerte, mais c'est de la matière vivante. Les employés sont des agents agissant sur de la matière humaine, tandis que les ouvriers agissent sur des objets. Leur rang social plus élevé provient du rapport technique différencié qu'ils entretiennent, basé sur les relations humaines, certes réifiés.

    Ainsi, nous dit l'auteur, les ouvriers agissent sur la « matière matérielle » tandis que les employés agissent sur de « l'humanité matérialisée ».

     

    A leur tour, ce qui distingue ces deux classes de la classe bourgeoise, c'est que cette dernière n'agit pas directement sur la technique, mais sur la fonction en sa plénitude. Leurs actions consistent à adapter les règles, les techniques, à veiller à leur application. Ainsi, ils sont au sommet de la hiérarchie sociale.

    C'est donc au travers de leur participation respective au processus de production sociale que les individus se hiérarchisent en classes sociales différenciées. Au sommet, la fonction dans sa plénitude, à la base, l'application technique sur la matière, entre les deux, l'application technique dans la relation humaine.

     

    Ainsi, pour Halbwachs, reprenant Tocqueville, si l'esprit de la classe moyenne « peut faire merveille », ce n'est qu à la condition de s'associer à celui du peuple ou de la bourgeoisie, car « seul, il ne produira jamais qu'un gouvernement sans vertu et sans grandeur. »

     

    1F. Simiand, Cours d'économie politique, Paris, 1928, p. 170.


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