• Les sociétés démocratiques se caractérisent selon Tocqueville (1805-1849) par l'égalisation des conditions, par l'égalité sociale qui supplante l'héritage héréditaire et biologique (notion de contrat social). A ce titre, l'école apparaît comme un instrument concret de réalisation de cet idéal démocratique, notamment depuis la massification de l'accès à l'enseignement secondaire et universitaire. Mais la généralisation de l'accès contribue t-elle véritablement à une démocratisation de la réussite? c'est la thèse que je développerai au travers de ce premier billet avant de compléter l'approche par un futur post.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p></o:p> I.                  La généralisation de l'accès
    <o:p> </o:p>

    La massification de l'enseignement qui s'est développé dans les années 60-70 s'est-elle accompagnée d'une plus grande égalité des chances ? Démocratisation et égalité des chances sont-elles corrélatives ?

    <o:p> </o:p>

    L'idée développée consiste à penser deux choses :

    -  l'enseignement permet la réduction des inégalités (émancipation, socle commun de savoirs qui "libère" l'individu et socialise à l'identique tous les élèves )

    - plus l'enseignement croît, plus grande sera la mobilité sociale.

    <o:p> </o:p>

    C'est suivant cette idée que s'est forgée le système d'enseignement en France. Dès le départ, on a deux systèmes : l'école primaire pour tous (Jules Ferry en 1881) et l'enseignement supérieur pour l'élite (Louis Liard). Respectant le précepte d'Aristote selon lequel une égalité réelle doit traiter inégalement les inégaux et également les égaux. Ainsi, deux systèmes voient le jour : un pour le peuple, un pour l'élite correspondant à l'enseignement secondaire classique.

    Soucieux de l'ouverture de l'enseignement supérieur, ils mettent en place un système de bourses dès 1880.  Entre 1880 et 1914, la France est encore rurale et paysanne à plus de 50%. Ce système de bourses a ainsi permis à certains enfants issus de milieux populaires d'accéder à l'enseignement supérieur.

    <o:p> </o:p>

    Mais c'est au sortir de la seconde guerre mondiale qu'un véritable système de démocratisation de l'enseignement se met en place (partout en Europe). Au début des années 60, on assiste à la généralisation progressive de l'enseignement secondaire Le secondaire s'ouvre aux classes populaires, puis le supérieur suit. Néanmoins, en 1960, on a encore 80% d'enfants de cadres supérieurs dans l'enseignement supérieur contre 5% d'enfants d'ouvriers et de paysans.

    <o:p> </o:p>

    En France jusque dans les années 60, on distingue deux systèmes séparés :

    -         système primaire (généralisé et donc ouvert aux milieux populaires)

    -         système secondaire (milieu bourgeois)

    Les deux ont longtemps été radicalement séparés. Puis l'enseignement secondaire va se généraliser à toutes les catégories sociales. On va supprimer le concours d'entrée en 6ème. Au début des années 70, on constate dans les faits la généralisation de l'accès au collège. Le rythme est variable et dépend des lieux et des milieux sociaux, mais il est prégnant.

    Il y a deux étapes dans cette généralisation de l'accès au secondaire :

    -         la première : vague collégienne (années 60-70)

    -         la seconde : vague lycéenne (années 70)

    On assiste alors à un mouvement global de démocratisation de l'accès au secondaire. Pour ne prendre que deux exemples, le taux de scolarisation des enfants de 16 ans était de 7,5% chez les agriculteurs exploitants en 1954 contre 98% en 1982. Chez les ouvriers, ce chiffre passe de 16% en 1954 à plus de 95% en 1982.

    <o:p> </o:p>

    ° Le taux de scolarisation augmente pour toutes les classes sociales. La durée de vie des jeunes dans l'enseignement croît avec le temps. L'école est donc de plus en plus une instance socialisante pour l'ensemble de la population juvénile.

    <o:p> </o:p>

    ° Si le taux de scolarisation reflète le degré d'inégalité des chances scolaires, on peut raisonnablement penser que celui-ci a fortement  diminué depuis 1954. En 1982, presque 100% des enfants sont scolarisés à 16 ans, toutes classes sociales confondues. La reproduction des inégalités aurait été confirmée si les taux d'arrivée, même en augmentant étaient restés proportionnels au départ. Mais il n'y a pas de translation de l'ordre sur les classes sociales. Au contraire on observe une déformation de la structure.

    <o:p> </o:p>

    A la lecture du tableau, on constate qu'il y a bien eu une démocratisation de l'accès à l'école et au secondaire depuis la 2WW. Certes l'école rendue obligatoire jusqu'à 16 ans a fortement contribué au renforcement des classes dominées dans l'enseignement. L'accession massive et démocratique à l'école permet aussi un meilleur contrôle social des populations. L'Ecole supplantant la famille dans l'apprentissage des savoirs, du savoir-faire et dans les connaissances.

    Néanmoins, derrière ce constat partagé d'une généralisation de l'accès, des études tendent à montrer qu'au sein du système d'enseignement, des inégalités persistent.  Au milieu des années 60, Bourdieu fait sensation avec son ouvrage Les héritiers dans lequel il montre comment la culture scolaire s'est appropriée arbitrairement la culture bourgeoise, créant un fossé de difficulté pour les enfants issus de milieux populaires afin d'acquérir le savoir et les connaissances légitimés par l'institution scolaire (violence symbolique, et domination inconsciente).

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>II.      L'Ecole : un instrument de reproduction sociale
    <o:p> </o:p>

    Ses études vont permettre de montrer que l'école reproduit les inégalités sociales. Ce qui importe c'est donc de savoir par quels processus l'école va reproduire ces inégalités.  L'école va offrir ce que la culture bourgeoise dominante propose. L'école va donc se révéler être un instrument de domination inconsciente des classes populaires.

    <o:p> </o:p>A.                             Un instrument de domination latent
    <o:p> </o:p>1.                              la culture scolaire ou la culture des classes dominantes
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu va mettre à jour les mécanismes de domination qui opèrent au sein de l'école. Il  va constater que le système scolaire adopte les mêmes schémas de pensée que la classe dominante dans l'évaluation des élèves. Ses études vont permettre de dégager des homologies (des manières de penser semblables) entre la classe dominante et le système scolaire. En effet, il va montrer que les représentations et les pratiques des classes dominantes sont semblables au mode de fonctionnement de l'école.

    Par exemple, l'école va privilégier et donc légitimer une certaine forme de « culture », axée sur la littérature classique, Zola, Flaubert, etc. Au détriment d'une autre forme de « culture » comme les BD, les romans de science-fiction, qui vont être considérés comme obsolète, comme des biens non « culturellement » légitimes. De ce fait, l'école s'empare des mêmes critères d'évaluation que la classe dominante qui elle-même privilégie la lecture de littérature classique, des grands auteurs plutôt que la « sous-culture » qu'est la BD par exemple.

    A ce titre, l'école va renforcer l'inégalité sociale en légitimant une certaine forme de culture, celle homologue aux classes dominantes. Si bien que des enfants de classe populaire devront faire un double apprentissage en rapport aux enfants des classes dominantes. D'une part, la remise en cause de leur « culture » de classe au profit de celles des dominants, d'autre part l'inculcation de nouvelles valeurs culturelles.

    <o:p> </o:p>

    Le phénomène d'acculturation

    Le rapport entre les différentes cultures provoque une acculturation aux conséquences inégalitaires. L'absence d'homologie entre classes dominées et classes dominantes s'engage dans un processus d'acculturation des dominés.

    Dans un premier temps, il y a « déculturation » de leur culture d'origine, de leur habitus incorporé, afin dans un deuxième temps, lorsque cela se fait, ils parviennent à accéder à la culture scolaire (culture bourgeoise) ce qui conduit à l'acculturation.

    <o:p> </o:p>

    La culture des classes dominantes va être transformée par l'institution scolaire en culture de référence, en culture légitime, objectivable et indiscutable. En réalité, cette culture scolaire n'a rien d'arbitraire dans ces choix. Mais ce qui se passe, c'est que l'école va destituer la culture populaire en la décrédibilisant aux yeux des élèves, au profit d'une culture plus propice aux classes supérieures. Ainsi, la domination perdure.

    <o:p> </o:p>

    On décrète ce qui est bon : ce qui est bon est ce qui est arbitrairement décidé par l'école : cet arbitraire correspond au même arbitraire que les classes dominantes ; la culture scolaire est une culture de classe dominante ; les élèves des classes dominées acceptent et intègrent les bonnes manières de penser, de se « cultiver » ; ils légitiment la culture scolaire ; la domination inconsciente, latente opère, ce que Bourdieu nomme la « violence symbolique ».

    <o:p> </o:p>

    De la même manière, la sélection des disciplines enseignées et jugées les plus méritantes comme le latin, le grec sont le produit de rapports de force entre classes sociales. A l'époque où Bourdieu fait son constat (années 60), les filières littéraires sont les plus honorables et privilégiées. Pour lui, cela montre bien la domination qui s'exerce au sein de l'école des classes dominantes sur les dominés, puisque la littérature est le bien culturel par excellence des classes supérieures. On pourrait critiquer son approche aujourd'hui, au vu de la filière scientifique qui est privilégiée sur la filière littéraire. Celle-ci se rapportant davantage à des aptitudes cognitives, non agrémentées de connaissances culturelles spécifiques, donc apparemment  socialement plus égalitaires (mais en revanche sexuellement différenciée).

    Mais l'accès au secondaire et aux études supérieures s'est grandement démocratisé depuis la fin des années 60, début des années 70. Aujourd'hui, beaucoup d'enfants de milieux populaires accèdent au bac et au niveau supérieur.

    De plus, il y a eu un élargissement des filières et des carrières scolaires possibles. Depuis le début des années 80, nous n'avons plus un modèle unique d'enseignement « collège unique », mais la création de filières plus individualisantes en fonction des publics. Il y a donc bien eu prise de conscience.

    Mais a contrario, pour aller dans le sens de Bourdieu, c'est le diplôme du bac lui-même qui a perdu de sa valeur, puisque s'offrant au plus grand nombre, il n'est plus l'instrument latent de domination des classes dominantes. Cependant, il existe d'autres effets de domination tout aussi important que la domination de classe sociale ; il y a la domination sexuelle. On note une différence très nette entre les filières « molles », réservées aux femmes en majorité et les filières « nobles », davantage empruntée par les hommes. Même si cet écart tend à s'amenuiser d'années en années. La multiplication des filières a également contribué à un émiettement de la domination : pour le dire simplement, les filières générales (plus « nobles » sont valorisés, tandis que les filières professionnelles sont davantage disqualifiées aux yeux de l'institution scolaire elle-même et ses élèves également. Or, ces filières sont majoritairement empruntées par les milieux populaires.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>□ Etude de C. Baudelot et R. Establet[1]
    <o:p> </o:p>Ils essaient de montrer comment les structures de pensée inconsciente orientent les filles et les garçons différemment. Ils partent du postulat selon lequel la société et les comportements évoluent vers une plus grande égalité dans les rapports de sexe, mais que les structures externes aux individus eux-mêmes tendent à renforcer ses différences sexuées. C'est le cas de la famille qui va plus ou moins consciemment éduquer et opter pour des stratégies de carrières différemment selon le sexe de leur enfant.
    De là, l'école, pour eux, loin de réduire ces différences, va contribuer à les renforcer, involontairement la plupart du temps. Les qualités mises en avant, les attentes du corps enseignant vont différer selon le sexe. Les options et les conseils d'étude également, etc.
    <o:p> </o:p>Pourquoi, alors que les filles du CP à la terminale réussissent mieux et plus vite que les garçons sont-elles sur le marché du travail en seconde place ? Pourquoi les études les plus payantes (économiquement, socialement, professionnellement) sont davantage les choix des hommes que des femmes ?
    <o:p> </o:p>Conclusion de ce billet
    <o:p> </o:p>

    On peut donc dire  que la culture scolaire n'est pas une culture neutre, mais une culture de classe. Et que malgré la massification de l'entrée dans le secondaire et dans le supérieur, cela reste toujours vrai. Cependant, il faut aussi relativiser cette donnée. Puisque celle-ci étant apparue au grand jour depuis l'époque où Bourdieu écrit, l'institution a depuis perdu de sa légitimité. Elle intègre de plus en plus de nouvelles manières d'apprendre, centrant davantage son enseignement vers une culture « juvénile », vers une culture médiatique qui prend le relais de la culture des classes dominantes. On parle de culture de masse, de moyennisation de la culture.

    En outre, on a aussi crée des établissements et des filières différenciées, mais c'est vrai qu'il demeure une certaine conception de la réussite scolaire et de la culture qui correspond à une culture de la classe dominante.

    <o:p> </o:p>

    Cela n'est pas sans conséquence sur le comportement et la réussite des élèves. En effet, plus la distance sera faible entre le contenu de la culture scolaire et celle de la culture familiale, plus la réussite au sein de l'institution sera élevée. Ce qui explique pourquoi ce sont les classes dominantes qui réussissent le mieux.

    -         Elles disposent d'un capital culturel plus important

    -         Les interactions familiales sont plus riches

    -         Elles possèdent davantage de biens culturels objectifs (livres, voyages, etc)

    -  Leur niveau de développement opératoire est plus important (cette thèse va contre la thèse piagétienne qui prône un universalisme essentialiste du développement cognitif de l'enfant, c'est-à-dire un développement identique, naturel, hors de tout contexte social, culturel, ethnique, etc.)

    <o:p> </o:p>

    Toutes ces acquisitions propres à une classe sociale, à un milieu d'appartenance, constitue ce que Bourdieu appelle un habitus. Et ces acquisitions scolaires, renforcées par l'habitus de classe, vont produire leur effet à long terme. D'u côté, nous aurons ce qu'il appelle les « héritiers » (étudiants issus de la bourgeoisie) qui seront en nombre beaucoup plus important dans les études supérieures, de l'autre nous aurons les « boursiers » (étudiants issus des classes populaires) qui seront beaucoup moins nombreux à poursuivre leur scolarité.



    [1] Allez les filles, Points, Seuil, 1998.



    1 commentaire
  • Aujourd'hui, je publie un billet qui revient sur la définition du concept d'insertion dans le prolongement de ceux précédemment publiés sur l'habitus et la notion d'exclusion. Bonne lecture à tous et n'hésitez pas à me laisser vos commentaires.

     

    La notion d'insertion renvoie en premier lieu au champ de l'action politique et sociale. Elle est apparue dans les années 70 dans le champ de la littérature sociologique. Longtemps assimilée à la notion d'intégration, l'insertion en diffère néanmoins sur plusieurs points. D'une part si le concept d'insertion est avant tout en lien avec l'action sociale, le concept d'intégration est né avec la sociologie.
    Mais ce qui distingue au-delà des conditions historiques de leur apparition et de leur prise en compte dans le champ social, ce sont les réalités différentes qu'ils recouvrent, même si elles restent proches.
    L'insertion s'attache avant tout à définir le processus qui va conduire un individu à trouver sa place au sein de l'institution sociale, au sein d'une sphère sociale particulière. L'insertion sociale est davantage accès sur l'ensemble des démarches mises en œuvre par et pour l'individu dans le but de s'insérer. Ainsi l'insertion peut se décomposer en plusieurs modalités en fonction du domaine sur lequel elle se porte. On parle à ce titre d'insertion professionnelle (dans le but de trouver un emploi et d'accéder ainsi au marché de l'emploi) ou d'insertion sociale.
    Aujourd'hui avec les difficultés liées au marché de l'emploi et la montrée de la précarité sociale, de nouvelles formes d'insertion voient le jour. On parle notamment d'insertion par le logement, d'insertion par la culture, etc. A la différence de l'intégration, l'insertion n'est pas un concept propre à la sociologie, mais avant tout au champ social et politique.
    En outre, l'insertion s'attache davantage à définir le processus en cours d'un individu singulier au regard de la société, ou d'une sphère sociale particulière (emploi, logement, etc.), tandis que la notion d'intégration renvoie davantage à un l'état du lien social d'une société et de ses membres. Une société est fortement intégrée si tous ses membres sont solidaires et complémentaires les uns des autres. L'intégration est davantage la lecture d'une situation de la société à un moment donné de son histoire.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Le concept d'insertion relève néanmoins de différents positionnements intellectuels : pour faire simple, nous soulignerons les grandes dimensions sur lesquelles porte ces différends :

    <o:p> </o:p>

    1.               L'insertion doit-elle être entendue dans une approche unificatrice ou bien bipolaire entre aspect économique et aspect social ? peut-on faire de l'insertion économique sans l'insertion sociale ? laquelle prime dans ce cas ? il semble que la dimension économique soit considérée comme primordiale, si bien que l'insertion sociale se voit instrumentalisée, elle est un moyen d'assurer l'insertion économique qui reste dominante.

    <o:p> </o:p>

    2.               L'insertion est-elle une situation statique ou dynamique ? sa définition relève-t-elle d'une approche situationnelle ou d'une approche en terme de processus ? dans ce cas, l'insertion est-elle achevée un jour ou l'autre ? la question est souvent tranchée dans le sens d'une insertion entendue comme un processus singulier et multidimensionnel qui prend en compte la personne dans sa globalité afin d'agir à sa ré/insertion professionnelle.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>3.               L'insertion est elle globale ou particulière ? relève t-elle d'un traitement individuel, ou collectif ? autrement dit, est-ce l'individu dans sa trajectoire singulière, son parcours de vie qui doit être seulement pris en compte ou faut-il y lier une approche collective, en terme d'analyse structurelle ?
    Encore une fois, l'insertion est considérée dans une approche multidimensionnelle, avec la prise en compte de l'individu et de ses spécificités (histoires de vie, trajectoires sociales, etc.) mais en lien avec l'état de la structure économique et sociale (crise économique, diminution des solidarités, etc.)
    <o:p> </o:p>L'insertion recouvre donc des questionnements divers selon la manière de concevoir le concept. Pour faire simple, il semble acceptable de définir l'insertion comme un processus multidimensionnel (économique et social, singulier et collectif) qui a pour but d'accompagner l'individu à retrouver sa place au sein de la sphère professionnelle et/ou sociale.
    <o:p> </o:p>

    L'insertion,  à la différence de l'intégration, et c'est peut-être là le point de distinction essentielle entre les deux concepts, ne comporte pas de dimension adhésive. L'individu n'a pas obligation d'adhérer au groupe social, au groupe professionnel dans lequel il s'insère. Ce qui est recherché c'est simplement sa participation aux règles, normes (insertion sociale), aux activités productives (insertion professionnelle) à la différence de l'intégration qui comporte une dimension adhésive forte. Mais souvent les deux notions sont employées indistinctement. Insérer ne suppose pas adhérer (même si à moyen/long terme, l'insertion conduit à l'adhésion) contrairement à l'intégration qui repose sur cette dimension adhésive avant tout.

    <o:p> </o:p>Disons que l'insertion est plus individuelle tandis que l'intégration est plus globale, la première est plus axé sur le retour à un statut particulier, la seconde à la force du lien qui unit l'individu au groupe et le groupe à l'individu. Une intégration efficace n'est possible que s'il y a une insertion réussie. Mais en revanche, l'insertion n'est pas un gage d'intégration (même si elle en est la condition).
    <o:p> </o:p>► On peut donc parler d'insertion sans pour autant qu'il y ait intégration.  Par exemple, les rapatriés et les nombreux immigrés provenant pour l'essentiel d'Afrique du Nord dans les années 60 (ou aujourd'hui encore les immigrés chinois) disposaient d'un emploi, d'un logement. Ils étaient insérés professionnellement. Ils avaient un logement. Pour autant, l'intégration était quasiment nulle puisqu'ils ne parlaient ni ne comprenaient le français. Ils vivaient pour la plupart selon leurs rites, leurs codes et leurs règles particulières.  D'ailleurs, la recherche d'intégration n'était pas le but, puisque la plupart avaient pour but de retourner au bled par la suite au départ. C'est avec l'installation dans le temps que l'insertion devient intégration. En revanche, il est intéressant de remarquer que c'est alors que l'intégration est forte (ou tente de l'être) qu'elle pose problème. Aujourd'hui la plupart des jeunes français issus de cette immigration maghrébine sont intégrés culturellement (codes, valeurs, idées, langage identiques) mais l'insertion sociale et professionnelle pose des difficultés. D'où également un repli communautaire, qu'il ne faut pas trop rapidement comprendre comme cause de la ségrégation sociale, mais davantage comme conséquence de celle-ci (mais c'est un autre sujet développé dans un billet précédent sur le « ghetto français »).
    <o:p> </o:p>Cf. S. Adjerab et J. Ballet, L'insertion dans tous ses états, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 2004.
          S. Guth, L'insertion sociale, Paris, l'Harmattan, 1994 (pp. 21-31 surtout).
    <o:p> </o:p>

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  • <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>Le concept de capital culturel </o:p>

    La notion de "capital" en sciences sociales fait véritablement son apparition avec Bourdieu. Loin de circonscrire la notion à la seule sphère économique, il l'ouvre à l'analyse sociale, culturelle et symbolique des agents sociaux.

    Pour Bourdieu, l'espace social se décompose et se hiérarchise en fonction de la disposition et de la distribution en capital des individus. Au sommet de la hiérarchie se situent les classes dominantes qui disposent d'un volume et d'une qualité globale en capital supérieurs aux classes dominés. Plus exactement, Bourdieu délimite l'appartenance de classe et la position sociale en fonction des deux seuls capitaux économiques et culturels. En effet, chez Bourdieu, le capital social découle des deux autres plutôt qu'il n'en est la cause.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>1. capital culturel et appartenance de classe
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu fait du capital culturel le facteur essentiel de la reproduction sociale des inégalités. Par capital culturel, il entend l'ensemble des ressources culturelles dont dispose l'individu. Ces ressources peuvent se décomposer en trois catégories : matérielles (biens, livres, bibliothèque, tableaux, etc.), institutionnelles (formation, diplôme) et subjectives ou incorporées qui correspond à l'ensemble des moyens et des ressources esthétiques et cognitives de l'individu. Ces dernières n'étant pas « donnée » contrairement à une idée souvent reçue, mais le produit d'une construction, elle-même incorporée par l'habitus propre à l'individu et à sa classe sociale d'appartenance.

    Bourdieu définit par ailleurs les trois autres types de capitaux : le capital social qui regroupe l'ensemble des relations sociales, des connaissances, des réseaux de solidarité plus ou moins forts que l'individu peut faire fonctionner ; le capital économique qui relève de la position sociale de l'individu et qui correspond à l'ensemble des ressources économiques et financières dont il dispose, biens patrimoniaux, actifs financiers, etc. Enfin, le capital symbolique qui a une dimension beaucoup plus qualitative, empiriquement difficile à cerner, mais qui contribue au charisme de l'individu, son poids symbolique, lié à l'image véhiculée par son nom, sa position, son statut, etc. a ce titre, il n'est pas calqué sur l'échelle des positions sociales, ni sur les autres capitaux, mais il conserve néanmoins une dépendance plus ou moins forte à ceux-ci. Globalement, le charisme et le poids symbolique d'un individu tendent à s'accroître avec sa position sociale élevée dans l'espace social. Pour autant, cette règle n'est pas universelle. José Bové, par exemple, bénéficie d'un charisme, d'un capital symbolique fort, à même d'entraîner une communauté d'intérêt commun derrière lui, sans pour autant disposer d'un capital économique élevé.

    <o:p> </o:p>

    Longtemps, les analyses de Bourdieu ont permis de mettre l'accent sur l'illusion de la différence arbitraire des goûts. Tous les goûts ne sont pas dans la nature, mais dans la culture nous dit l'auteur.

    La préférence pour la musique classique, le hip-hop, l'art abstrait, le surréalisme ou la littérature classique ne relèvent pas d'une quelconque élection arbitraire, mais d'un processus inconscient de structuration sociale des goûts par l'effet d'habitus. Ainsi, les classes sociales au volume global de capital important privilégieront plus fréquemment les concerts de jazz, l'opéra et la littérature des classiques par exemple que les individus situés au bas de l'échelle sociale des positions sociales. Il en va de même pour les pratiques sportives, les goûts culinaires et les préférences esthétiques et physiques. Cette approche bourdieusienne a le mérite de resituer les pratiques culturelles au sein même de la hiérarchie des positions sociales. Aux capitaux culturels et économiques élevés correspondent des pratiques culturelles différentes, non pas par choix arbitraire, sans quoi, il n'y aurait pas de correspondance statistique entre culture et classe sociale, mais par différenciation dans l'échelle des positions sociales, inscrites dans une inégalité des dispositions en capital.

    Les pratiques culturelles, plus que l'expression des libertés individuelles, relève davantage d'une construction sociale de classe. A l'arbitraire des préférences culturelles, Bourdieu oppose l'incorporation inconsciente des pratiques sociales et culturelles par des mécanismes de classes, faisant de la culture et des goûts des indicateurs pertinents de l'appartenance sociale de classe des individus.

    Cette vision déterministe, holiste qui fait de la position sociale au sein de la structure sociale l'élément déterminant des goûts individuels, ne prend pas en compte l'individu en tant qu'acteur, mais le considère comme un élément d'un système essentiellement agi de l'extérieur.

    Ainsi, à chaque classe, son habitus, à chaque habitus son style de vie et ses préférences culturelles. La culture ne serait qu'un des éléments parmi d'autres du processus de reproduction sociale, qui viendrait légitimer et asseoir les inégalités sociales d'accès à la culture.

    <o:p> </o:p>2. Vers un syncrétisme des pratiques ?
    <o:p> </o:p>

    Depuis peu de nouvelles études sont venues relativiser cette vision mécaniste du capital culturel. En effet, on constate que plus qu'autrefois, il y a des recoupements dans les pratiques culturels entre milieux sociaux hétérogènes. L'éclectisme culturel est le nouveau thème dominant de l'analyse sociologique.

    Aujourd'hui on constate que certaines pratiques socialement marquées il y a encore quelques décennies, se diffusent dans l'ensemble des classes sociales. Ainsi, le cinéma, la TV sont des pratiques qui concernent la majorité de la population. De même, les journaux populaires ne sont plus l'apanage des classes ouvrières et inversement. Pour autant, est-il légitime de parler d'un syncrétisme culturel ?

    <o:p> </o:p>

    Il faut se méfier des « résultats sortis des urnes », car le sociologue le sait mieux que quiconque, les réponses aux questions doivent toujours être replacées dans leur contexte historique et social. Un lecteur de Libération de 2006 n'est pas le même lecteur que celui de 1960.  En outre, les réponses ne sont pas non plus des objets quantitatifs vidés de sens. Il s'agit de les réinscrire dans le contexte intellectuel et idéologique dominant de l'époque où elles se transcrivent (il en est de même des questions posées bien évidemment).

    Ainsi, si aujourd'hui on note un éclectisme plus grand dans les pratiques culturelles, faisant trop rapidement dire à certains que les inégalités culturelles se réduisent, il s'agit en réalité d'une transformation sociale des pratiques davantage qu'une réduction, politiquement revendiquée, des inégalités culturelles.

    Il ne faut pas confondre transformation des pratiques (qui tendent vers un éclectisme moins sectaire et partisan), et homogénéisation des pratiques. Ce n'est pas parce que les classes dominantes s'ouvrent aux pratiques populaires qu'il n'y a pas conservation des inégalités culturelles.

    Si le philosophe Alain Finkielkraut se targue de lire L'Equipe tous les matins au petit déjeuner, il fait néanmoins la distinction entre sa lecture « ludique » et ses pratiques culturelles dominantes. Sur l'échelle des valeurs (représentation de la culture « noble »), l'Equipe n'est pas mis au même niveau que Le Monde par exemple.

    Il est aujourd'hui « bien vu » d'être proche du peuple. Aucun intellectuel ne serait risqué à cela il y a encore 15 ans. Tout se passe comme si l'éclectisme culturel avait pris le pas sur l'hétérogénéité culturelle de classe. Certes, la diffusion par les mass media de l'information, le développement d'une consommation et d'une culture de masse a sans doute contribué à effriter les frontières culturelles, mais elles sont loin d'avoir disparu. Si Finkielkraut peut se vanter aisément de lire L'Equipe, il hiérarchise ses pratiques culturelles. De la même manière, si N. Sarkozy s'enorgueillit d'écouter Johnny Hallyday, (outre l'aspect d'opportunisme électoraliste) il n'en reste pas moins que dans la hiérarchisation des pratiques culturelles, il demeure une différence notable entre la revendication (partisane ?) de la culture populaire et la primauté accordée à celle-ci.

    <o:p> </o:p>

    Si il y a éclectisme culturel aujourd'hui, c'est davantage parce qu'il est idéologiquement favorable et politiquement bien vu d'avoir des pratiques culturelles populaires. On revendique plus facilement certaines pratiques qu'autrefois. Pour autant, il n'y a pas homogénéisation des pratiques, le capital culturel reste toujours prégnant et l'analyse en terme de classes sociales toujours aussi pertinente. L'éclectisme culturel est réel, mais il est bien plus un phare qui brille dans la nuit pour mieux masquer la permanence des disparités de classes. Plutôt que de syncrétisme culturel, de réduction apparente des inégalités culturelles, il faut voir dans l'éclectisme une forme de reconnaissance et de réappropriation bourgeoise de certaines pratiques jugées populaires. C'est un éclectisme de classe dominante, pas un éclectisme de classe dominée, même si les mass media ont sans doute participé à une certaine forme d'homogénéisation de la culture moyenne.

    Il serait néanmoins intéressant de mener une étude sur les pratiques télévisuelles des individus en fonction de leur classe et de leur statut social. Le temps passé ainsi que les programmes regardés doivent différer. Quantitativement, mais peut-être encore plus qualitativement, on note certainement des disparités importantes dans les préférences.

    <o:p> </o:p>3. « Omnivores » contre « univores »
    <o:p> </o:p>

    En définitive, nous dit Richard Peterson, nous avons d'un côté « les « omnivores »  issus de classes favorisées et caractérisés par une pluralité des goûts et de l'autre les « univores » amateurs quasi exclusif d'un genre musical », d'une genre de littérature, d'art, etc.

    La théorie du capital culturel émise par Bourdieu reste toujours pertinente aujourd'hui, même s'il faut la nuancer quelque peu. Pour le dire simplement, les catégories favorisées ont également des pratiques « populaires » (lire L'Equipe, manger dans des fast-food, écouter de la variété, etc.) mais ils ont également des pratiques culturelles différenciées et plus élitistes qu'ils considèrent comme prioritaires. La culture de masse n'est pas qu'un vain mot, elle touche bien l'ensemble des classes sociales, mais la « culture » sait aussi se diversifier auprès des classes favorisées.

    <o:p> </o:p>

    Ce n'est donc pas seulement la gratuité de l'accès aux biens culturels qui augmentera la fréquentation des musées par les classes populaires (je suis prêt à parier que l'impact sera faible d'ailleurs). Pour bien faire, il faut agir au niveau des catégories populaires par une politique incitative qui leurs confère un accès symbolique à ces pratiques culturelles dites et considérées comme élitistes. Car souvent, ils s'interdisent un accès à des pratiques qu'ils jugent ne pas correspondre à leurs situations, qu'ils jugent « réservées » aux classes supérieures. Plus que le simple accès matériel, c'est donc à l'accès symbolique (qui fait sens) qu'il faut travailler, afin que ces « univores » considèrent également que ces biens culturels fassent sens pour eux, autrement dit qu'ils soient tout aussi légitimes que d'autres.


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  • Avant de partir dans quelques heures pour ix jours de vacances, voici un dernier billet pour l'année 2007 sur la sociologie de Max Weber qui n'intéressera certainement que peu de monde, si ce n'est quelques étudiants en sciences humaines.... Bonnes fêtes à tous et à l'année prochaine.

     

     

     

    On oppose souvent M. Weber (1864-1920) à E. Durkheim (1858-1917). Car si l'un et l'autre ont contribué de la même façon à l'institutionnalisation de la sociologie au sein de l'Université, Durkheim s'inspire des sciences de la nature en traitant des phénomènes sociaux de l'extérieur, comme des entités défaits de l'individu qui les supporte et donc ne fait que les transmettre sans agir dessus, tandis que Weber s'en différencie en tentant de fonder une méthodologie propre à la sociologie, en tournant autour de la notion d'action sociale et d'intention.

    Problème qu'il se pose : Existe t'il des lois sociales ? Sous-entendu est-il possible de prédire les événements historiques à venir ?

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>I.                  Une sociologie de l'action
    <o:p> </o:p>

    Pour Weber, l'objet premier de la sociologie est l'étude des actions sociales. Est action sociale toute action qui engage un échange entre au moins deux personnes. Par exemple, ouvrir une porte pour sortir n'est qu'une simple action non sociale. En revanche ouvrir une porte à quelqu'un qui frappe participe d'une action sociale car il y a dès lors interaction entre les participants. En réalité, toute action sociale est une interaction plus ou moins explicite. Manger seul est une action. Manger face à quelqu'un en prenant soin de ne pas faire de bruit est du domaine de l'action sociale, car d'une manière plus ou moins consciente, plus ou moins explicite, il y a volonté d'agir par rapport à autrui.

    Dans cette acception, toute action sociale renvoie à une interaction et donc suscite une réponse adaptée (remercier d'avoir ouvert, faire soi-même l'effort de ne pas faire de bruit, etc.).

    Le travail du sociologue consiste donc à relever ses diverses actions et à les interpréter. Le sociologue doit étudier des interactions. Toute analyse sociologique repose donc sur un modèle particulier d'acteur et d'actions humaines engagées. A ce titre, on peut considérer Weber comme le premier sociologue interactionniste.

    <o:p> </o:p>- La sociologie est la science qui étudie l'activité sociale
    <o:p> </o:p>

    ► Une activité est un comportement humain qui a un sens pour celui qui le produit (un réflexe n'est pas une activité)

    ► Une activité sociale est une activité qui met en relation au moins deux personnes et qui est sensée se rapporter au comportement d'autrui (avoir un accident de voiture avec quelqu'un n'est pas une activité sociale car dans ce cas, l'action n'est pas engagée volontairement, à moins d'une tentative de meurtre !). En revanche, frapper à la porte d'une salle est une action sociale car elle met en relation deux personnes et l'action a u sens pour chacun des interactants.

    ► Qu'est ce qui a un sens ? Tout ce qui est volontaire et qui est compréhensible par celui qui le reçoit et le produit.

          ► qu'est ce qui pousse les individus à agir ?  La motivation individuelle.

    Ces motivations peuvent être appréhender en quatre types

    action affective (émotion)
    action traditionnelle (habitudes, coutumes)
    action rationnelle en valeur (convictions, valeurs)
    action rationnelle en finalité (agir dans un but fixé par avance)

    De ce fait, le comportement humain devient compréhensible à partir de ces 4 grands types motivations. Ces comportements entrent en interaction les uns avec les autres contribuant à définir le champ de l'activité sociale.

    ► Le travail du sociologue est donc de chercher à comprendre ce qui motive les individus à passer à l'action. Il faut donc plonger au cœur des individualités. L'apport de la psychologie peut être nécessaire. On part de l'individu, on dégage un idéal-type de comportement d'action, on peut ainsi comprendre l'activité sociale.

    <o:p> </o:p>

    ■ Exemple : je joue au rugby

    Activité sociale qui me met en confrontation/coopération avec d'autres

    Cette activité a un sens pour moi, ce sens c'est ce qui me motive à agir/jouer :

    Plusieurs types de motivations :

    plaisir, loisirs : action affective
    comme papa, comme tout ceux de ma famille qui y jouaient : action traditionnelle.
    pour aller au bout de soi-même, l'esprit d'équipe, la solidarité, l'effort, l'abnégation, etc : action en valeurs
    pour gagner beaucoup d'argent, pour être célèbre : action rationnelle en finalité.
    <o:p> </o:p>Parfois, les motivations sont multiples, elles se recouvrent, elles peuvent aussi s'opposer.
    ► On peut faire du rugby parce qu'on se fait plaisir et en même temps chercher à gagner beaucoup d'argent en acceptant des offres de club. On mettra en avant le plaisir car il existe même s'il n'est pas seul dans la motivation.
    ► Elles peuvent aussi s'opposer : on peut faire du sport en ayant des valeurs éthiques (se faire mal, esprit d'équipe). Mais on peut préférer l'appât du gain et de la victoire et utiliser des produits dopants pour gagner. Tout dépend de la motivation à la base, de ce qui détermine l'action sociale.
    Pour Weber, c'est l'action rationnelle en finalité qui prime dans nos sociétés modernes.
    <o:p> </o:p>

    Pour l'auteur, il faut donc partir du vécu des individus, des acteurs pour saisir les phénomènes sociaux, pour comprendre l'activité sociale. A l'inverse de Durkheim, on part de l'individuel pour expliquer le social. C'est ce qu'on appelle une sociologie compréhensive, car on cherche avant tout à comprendre les motivations individuelles afin de pouvoir expliquer un phénomène social  (c'est ainsi que procède Weber[1] dans son analyse de l'essor du capitalisme en occident).

    <o:p> </o:p>II.               Une sociologie compréhensive
    <o:p> </o:p>

    Ainsi défini l'objet de la sociologie, on se rend compte de l'impossibilité pour le sociologue de saisir l'entièreté du réel. Son domaine d'étude est infini. Il existe une infinité d'actions sociales au sein de la société. Il est donc impossible d'expliquer la totalité des phénomènes et a fortiori d'en tirer des lois universelles.

    De plus, la sociologie est différente des sciences de la nature sur un point important. S'il est facile de reproduire en laboratoire des phénomènes naturels qui se répètent, il est alors facile de mettre en équation des rapports de causalités précis et définis, et à l'aide d'un modèle mathématique, d'en tirer des lois universelles. En revanche pour ce qui est des sciences sociales, celles-ci étudient des phénomènes qui dépendent des intentions et du bon vouloir des individus. Il est impossible d'appliquer la méthode propre aux sciences de la nature aux sciences de l'homme. Il va à l'encontre de la méthodologie durkheimienne. Il faut donc s'interroger sur les motivations, sur les raisons qui poussent les individus à agir de telle manière plutôt qu'une autre, sur ce qui fonde la légitimité de leur motivation avant de chercher à nouer des causalités. Il n'existe pas pour Weber de vérité sociologique en dehors du domaine où elle a été mise en évidence (on ne peut la reproduire en laboratoire). Il n'y a donc pas de lois sociologiques générales comme il peut y en avoir dans les sciences de la nature et comme cherche à le découvrir Durkheim.

    <o:p> </o:p>

    Etudier des faits sociaux consiste donc pour Weber à comprendre l'intentionnalité des acteurs, les motivations de leurs actions. C'est ce qu'on appelle une sociologie compréhensive, en ce sens que le sociologue tente de comprendre les motivations de l'action sociale. Certaines formes de relation sociale sont facilement compréhensibles telles que les relations de politesse car ici la relation entre les intentions et les actes est explicite. (à l'intention d'être aimable répond l'action d'être poli). La relation sociale est comprise comme la relation qui unit l'intention à l'acte.

    Il en existe de plus complexes, notamment celles que Weber étudiera plus en détail dans un de ses ouvrages qui sont celles du développement du capitalisme.

    <o:p> </o:p>

    Pour Weber, si le capitalisme a pu se développer en Europe, c'est au sein de la morale religieuse qu'il faut trouver ses fondements. Le social ne procède donc pas seulement du social contrairement à Durkheim. Les changements sociaux proviennent des transformations culturelles, religieuses, économiques, etc. tout autant. C'est la morale protestante (calviniste surtout) qui en autorisant l'enrichissement personnel et l'investissement ont permis de faire naître le capitalisme. En effet, pour les protestants, le travail assure le salut de l'âme tandis que l'oisiveté est un péché. La morale protestante ne considère plus comme contraire à Dieu le fait de s'enrichir et d'investir son argent. Les valeurs religieuses sont donc au coeur du changement social pour Weber.  Ce qui a permis l'activité sociale qu'est le capitalisme, ce sont les valeurs nouvelles défendues par la religion protestante, ce qui aura pour but de motiver les individus à investir.



    [1] L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Plon, 1995.



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  • Aujourd'hui, je vais poursuivre l'étude sur le système de reproduction sociale qui agit au cœur même du système d'enseignement tel que Bourdieu l'avait formulé en revenant sur l'exemple du coureur de fond que j'avais commencé à développer car il me paraît être significatif des deux conceptions sociologiques qui s'opposent ou se conjuguent sur le sujet. D'un côté une conception structuraliste ou holiste développée par Bourdieu, de l'autre une approche plus individualiste, libérale formalisée par Boudon.
    Nous allons donc tenter de définir plus clairement les tenants et les aboutissants de chacune de ces deux conceptions au travers de l'exemple de mon coureur de 10000m.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    Dans le cadre des futurs JO de Paris en 2024, une course de 10000m est organisée pour tous les enfants entre 7 et 10 ans afin de former la future graine de champions.

    Les participants doivent s'inscrire pour intégrer la compétition et pour pouvoir s'entraîner auparavant. Ils sont regroupés par groupes tirés au hasard (en fonction de la proximité du centre d'entraînement sauf demande particulière de la part des parents). Les centres d'entraînements sont équipés globalement de la même façon et les professeurs de sport qui les coacheront ont été recrutés selon des critères semblables.

    Ainsi, tous les élèves quels que soient leur centre bénéficient des mêmes avantages, donc des mêmes structures au départ. Pourtant très vite, il s'avère que certains coachs sont plus présents, plus motivants, plus expérimentés que d'autres (certains ont déjà exercé avant d'arriver sur le terrain et donc connaissent mieux certaines « ficelles » du métier). En outre, si les centres bénéficient d'équipements similaires, certains situés dans des zones géographiques mieux cotés ont un financement supplémentaire et peuvent s'offrir des installations high tech. De plus, certains parents désireux que leurs enfants arrivent avec les meilleures chances le jour de la compétition leur paient des cours particuliers en dehors du cadre de l'entraînement collectif.

    On assiste donc à un émiettement progressif de l'uniformité des structures d'accueil pour les enfants selon leur lieu d'entraînement, les compétences du coach, les possibilités ou non de s'entraîner en plus. Dès les premiers mois, on constate que l'inscription dans certains centres peut être plus avantageuse pour les enfants que l'inscription dans d'autres.  Pour autant, pour des raisons d'égalité, on continue à placer les enfants selon la proximité des centres. Seulement, on constate que certaines familles, connaissant la réputation de certains centres préfèrent déménager pour s'installer à proximité des centres les mieux cotés, en tout cas ceux dont le bouche à oreille laisse entendre qu'ils seraient plus performants.

    <o:p> </o:p>Quelles conclusions tirées de cela ?

    1.      Que d'une part l'égalité de base dans l'accueil, la prise en charge et l'éducation des enfants ne sera pas la même selon les centres (sans pour autant qu'il y ait une volonté délibérée de créer des conditions initiales d'inégalités). Certains enfants bénéficieront d'équipements, d'entraîneurs, de conditions de travail plus agréables, plus performants que d'autres. Que donc d'égalité revendiquée il n'en est rien dans les faits. L'égalité légitimée n'est pas une égalité factuelle.

    <o:p> </o:p>

    2.      Que d'autre part, connaissant ces différences, certains parents vont faire le choix de s'installer dans les zones où les centres sont les plus réputés et délaissés les autres. Or, un effet de trappe fait que tous les enfants ne pourront pas s'inscrire dans ce club mais devront aller dans un autre centre. Les centres moins réputés seront progressivement abandonnés par une partie de la population. Certains quartiers prendront de la valeur mobilière et donc les prix des loyers augmenteront, et certaines familles n'auront plus les moyens d'y loger.

    <o:p> </o:p>On peut en conclure que les meilleurs centres seront progressivement fréquentés par les familles les mieux informées et les plus aisées. Les différences entre centres se redoublent d'une inégale distribution des publics. L'inégale performance des centres est redoublée par une inégalité d'accès des publics à ces centres.
    <o:p> </o:p>

    3.      Que même si il y a égalité parfaite dès le départ (tous les centres et coachs se valent), certains parents tenteront d'avantager leurs enfants en lui fournissant des heures de cours en supplément. Bien sûr, il faudra pouvoir les payer.

    On peut donc en conclure que même si (ce qui n'est pas le cas, répétons-le) tous les centres étaient véritablement égaux en termes de compétences et de publics, que certains enfants seraient néanmoins inégalement favorisés du fait de la possibilité pour certains de s'entraîner davantage.

    <o:p> </o:p>

    Vingt mois durant, les entraînements se poursuivent. Les enfants grandissent et sont bientôt prêts à se confronter. Après deux ans de formation, nous approchons maintenant du jour de la compétition. Chacun va pouvoir se mesurer à l'autre et seuls les meilleurs auront le droit de participer au tour suivant pour la sélection définitive de l'élite du 10 000m. Nous sommes dans un système méritocratique et dans un tel système, ce sont donc les enfants considérés comme étant les plus méritants qui seront retenus ce qui semble a priori logique et démocratique (on hérite pas de son statut de « meilleur » mais on le gagne). Chacun est donc responsable de sa réussite comme de ses échecs et cela en fonction de son mérite personnel (c'est-à-dire du travail et de l'investissement personnel fourni pour être prêt le jour de la compétition).

    <o:p> </o:p>

    Les enfants sont angoissés, certains plus que d'autres qui ont investi davantage, qui ont vu leurs parents les pousser, les motiver, les accompagner. D'autres dont les parents n'avaient pas le temps, ou étaient absents, ont du se battre seuls, sans aide familiale. D'ailleurs le jour de la course, certains enfants ont leurs parents dans les tribunes ; d'autres non : tous n'ont pas pu se libérer pour aujourd'hui.

    La course va débuter dans quelques minutes maintenant. On place les coureurs sur la ligne de départ.  Certains enfants ont pris des vitamines, des boissons énergétiques pour mettre toutes leurs chances de leurs côtés. Ils ont également acheté les meilleures chaussures. D'autres n'ont même pas pris de petit déjeuner, courent avec de vieilles baskets à moitié trouées.

    Le départ est donné : la course est lancée.

    Au bout de plusieurs minutes d'effort, les premiers arrivent. Les parents les félicitent, ils pleurent de joie. Les enfants sont ravis tandis que les derniers tombent épuisés, las, déçus et frustrés. Evidemment on les réconforte, les profs essaient de les encourager, les parents les consolent. Mais ils savent qu'ils devront quitter le centre, que leur tour est passé, qu'ils n'ont pas su saisir la chance qui leur était offerte. Ils ont échoué. Ils sont les seuls responsables de leur échec. Ils auraient du travailler davantage, s'investir plus. Ils devront subir les tourments de l'âme. On cherchera des responsabilités extérieures mais tout en sachant bien au fond de soi qu'on est seul responsable de son échec.

    <o:p> </o:p>

    Mais après avoir encensés les vainqueurs et pleurés les perdants, que se passe t-il si l'on regarde de plus près ? Derrière les conduites individuelles, les motivations particulières, il y a des éléments qui devraient frapper les esprits. Ceux qui sont arrivés les premiers sont ceux qui étaient les mieux chaussés, ceux qui ont eu la chance d'avoir des cours supplémentaires, ceux dont les parents avaient investi beaucoup d'espoir (et d'argent), ceux qui ont usé de produits énergétiques.

    Certes, rien n'interdisait de le faire. Au contraire, les coachs eux-mêmes avaient laissé entendre qu'il était plus sûr de gagner dans ces conditions. Certains centres vendaient même des boissons et des chaussures appropriées pour la course. Etrangement, les enfants partis seuls, mal chaussés, mal conseillés, issus des centres les moins performants sont aussi ceux qui ont été recalés.  Bien sûr, certains sont passés entre les mailles, et ont réussi à passer l'épreuve comme d'autres pourtant bien préparés, ont échoué. Mais si on dépasse les cas individuels et que l'on regarde au niveau global, on constate que 75% de ceux qui ont été sélectionnés sont aussi ceux qui ont bénéficié des meilleures structures, des meilleurs coachs, de l'équipement sportif le plus performant, de cours supplémentaires, de parents investis, etc.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Quelles conclusions en tirer encore une fois ?

    Si l'on reprend les conceptions respectives de Bourdieu et de Boudon voilà ce qu'il pourrait être dit :

    <o:p> </o:p>

    1.      Si certains réussissent plus difficilement à passer les sélections, ce n'est pas parce qu'ils sont nécessairement moins méritants que les autres (il est difficile de juger du « mérite » individuel) mais parce qu'ils n'ont pas les mêmes conditions initiales de réussite. En effet, ceux qui ont pris des boissons, qui ont eu des cours supplémentaires, qui portaient les chaussures adéquats ont des le départ un avantage difficilement récupérable par rapport aux autres. Ce n'est donc pas leur mérite personnel qui est en jeu (il peut néanmoins intervenir en partie mais il est difficile à mesurer dans ce cas objectivement durant la course), mais plutôt les conditions en amont de la course qui doivent être relevées pour comprendre leur réussite.

    Alors, on comprendra plus facilement pourquoi 75% des enfants « favorisés » dès le départ sont sélectionnés contre 25% seulement de ceux qui le sont moins, alors même que la course s'est courue sur la même distance et à égalité pour tous. Ce n'est pas la course individuelle en soi qu'il faut regarder et analyser pour comprendre les raisons de l'échec et du succès de l'enfant, et encore moins les situations à l'arrivée (approche synchronique) mais les conditions initiales avec lesquelles l'enfant a du composer au départ (entraînements préalables plus performants, équipements meilleurs, bonnes chaussures, cours particuliers en plus, etc.). Dans ce cas, on comprend mieux pourquoi ce sont les plus avantagés au départ qui sont également les meilleurs.

    Cette analyse a le mérite d'expliquer la régularité statistique du taux de réussite, qui fait que les plus favorisés sont aussi les meilleurs et qu'à leur tour donc, par la suite, ils deviennent également les plus favorisés (ce qui correspond à la reproduction sociale). Pour autant, cette théorie sociologique n'explique pas en revanche les exceptions : pourquoi certains alors même qu'ils ont moins d'avantages au départ réussissent-ils et pourquoi certains qui sont avantagés dès le départ ne réussissent pas ?

    C'est sur ce point que l'approche de Bourdieu peut être et ne manque pas d'être critiquée. L'analyse holiste ne se satisfait d'aucune exception à la règle car elle sort de son cadre. Il faut donc chercher ailleurs les explications au moins pour ces « exceptions statistiques » mais également peut-être pour la totalité des individus.

    <o:p> </o:p>

    Parce qu'il faut certainement compter aussi (mais pas seulement et certainement pas de manière dominante) avec le mérite personnel, entendu comme l'effort que fournit l'enfant pour réussir, effort personnel, d'investissement, de travail, de motivation.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    2.      Si certains réussissent mieux que d'autres, c'est tout simplement par ce que les choix et les motivations des enfants diffèrent. Les motivations individuelles sont premières dans cette approche. Ce qu'il convient d'étudier ce sont les choix, les actions de chacun pris indépendamment de l'environnement social. Si certains enfants réussissent mieux, c'est parce qu'ils ont choisi de réussir, c'est-à-dire parce qu'ils ont fait le choix de s'investir, parce qu'ils étaient motivés plus que les autres par la réussite, par l'esprit de compétition, la soif de vaincre, etc. c'est donc au cœur des motivations individuelles qu'il faut trouver les sources de la réussite des meilleurs, loin des seules conditions initiales non suffisantes. Ainsi, on explique aussi bien les régularités statistiques que les exceptions. En partant des cas individuels, on arrive par agrégation des motivations individuelles à comprendre le phénomène dans sa globalité. Les plus motivés sont la plupart du temps les vainqueurs indépendamment des conditions initiales de chacun. C'est donc au niveau de la motivation des enfants qu'il faut agir.

    <o:p> </o:p>Mais alors, laquelle de ces deux approches privilégiées alors ? Laquelle colle au mieux à la réalité sociale ? Il suffit d'aller vérifier de manière empirique sur le terrain.
    <o:p> </o:p>

    Les spécialistes qui ont étudié les enfants qui ont réussi, en leur faisant passer des entretiens individuels, ont remarqué qu'effectivement ce sont les plus motivés, les plus investis qui finissent en tête. Mais ils ont constaté également que ces enfants sont aussi ceux dont les parents sont les plus motivés, les plus investis. C'est donc grâce à l'investissement des parents et de toute la famille que l'enfant réussit. Peu importe qu'il ait un équipement moins favorable, des chaussures moins efficaces, etc. C'est donc peut-être en intégrant davantage les parents au sein des centres, auprès des coachs, des décisions d'entraînements, que l'on pourra mieux répartir les réussites et diminuer les inégalités sociales. Boudon aurait donc raison et Bourdieu tort. Mais après dépouillement des enquêtes, on constate souvent que les familles les plus investies sont aussi celles qui font profiter des meilleurs équipements et coachs à leurs enfants. Donc Bourdieu aurait in fine raison, Boudon partiellement seulement, le raisonnement n'étant pas porté à son développement maximum.

     Cette explication de type « individualiste » ne suffit pas, même si elle explique en partie les exceptions. Car il se peut que la motivation soit très grande chez des enfants dont les parents ont un investissement moindre ou dont la famille malgré sa motivation n'a pas jugé opportun/eu la possibilité de favoriser en amont son enfant, pensant que seule la motivation comptait.

    <o:p> </o:p>

    La motivation compte certes pour beaucoup. Les décisions individuelles, les choix personnels sont essentiels dans la réussite. A ce titre, le mérite joue bien un rôle important, mais non suffisant. En effet, cette motivation sera d'autant plus forte que les enfants seront soutenus, moralement, économiquement par leurs parents. Or, cette adhésion des parents est aussi plus marquée chez les enfants issus des classes les plus favorisées, donc chez ceux qui bénéficient des meilleures structures et équipements de départ.

    <o:p> </o:p>Que faut-il déduire de cet exemple ?
    <o:p> </o:p>

    En réalité, tout se passe dans le système dominant comme si le seul mérite individuel comptait, parce qu'il est l'élément le plus facilement repérable et qu'il s'accorde au mieux aux représentations que l'on a des choses. On regarde les enfants à l'arrivée, oubliant souvent de regarder les situations initiales. Dans ce cas, peu de place est laissée aux conditions initiales, tout repose sur une vision égalitariste des centres (de l'école donc) qui viendrait homogénéiser ces conditions initiales et par conséquent les annuler en les mettant de côté et en laissant la réussite reposer exclusivement sur les capacités individuelles, le mérite et les motivations personnelles. Ainsi, celui qui réussit ne le doit qu'à lui-même, et à personne, ni rien d'autre. On sait aujourd'hui que les choses ne sont pas aussi simples. C'est pourquoi on a favorisé certains centres, on tente de recruter des coachs plus expérimentés dans certains centres, etc.

    <o:p> </o:p>

    En fait, en tenant pour seul, ou au moins pour l'élément le plus important, l'effort individuel, tout se passe comme si l'on plaçait les enfants sur des lignes de départ différentes, et que certains devaient courir 11000 mètres quand d'autres en courent 10000 alors même qu'on ne regarde que le résultat à l'arrivée, et qu'à l'aune de ce résultat, on juge qui sont les plus méritants. A vrai dire, pour être au plus près de la réalité des deux conceptions sur le sujet, dans ce cas précis, on observerait comment court l'enfant afin de mesurer ses chances de réussite ou d'échec. Ce « comment » relève de considérations et de données subjectives, individuelles, liées à sa motivation, mais ne s'intéresse pas aux conditions de départ, juste à la course en soi.

    En revanche, l'autre conception regarde la course et explique ce « comment » en le replaçant dans le cadre d'une vision des conditions initiales. Les efforts individuels sont influencés par les conditions objectives de leur production. Et alors on constate que derrière les motivations, il y a une inégalité initiale qui ne fait que se répercuter sur la course et donc sur les chances de succès des coureurs.

    <o:p> </o:p>

     Or, ce handicap de départ est donné à ceux qui ont déjà le moins, tandis que les plus méritants sont placés devant dès le départ. On avantage les « meilleurs » et on handicape les « moins chanceux » de sorte qu'à l'arrivée, seuls les meilleurs réussissent et rares sont les autres à parvenir à rallier la ligne d'arrivée. Le système tend ainsi à reproduire la structure sociale en l'état, les meilleurs se « reproduisent » socialement (et biologiquement aussi par homogamie sociale entre eux ; les moins chanceux également. Et le système reste en l'état car on laisse penser que tout repose sur les capacités individuelles (le « don naturel ») et non sur des inégalités sociales héritées (les conditions sociales).


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