• Il existe deux grandes approches au sujet de l'explication du phénomène du chômage. La première approche (celle qui domine depuis le début des années 80) d'orientation libérale consiste à dire que le chômage résulte des défaillances du marché du travail. En d'autres termes, s'il y a chômage, c'est parce que l'offre et la demande de travail ne sont pas équilibrées. Et pourquoi ne sont-elles pas équilibrées ? Parce que le marché est régulé de l'extérieur par tout un ensemble d'acteurs et d'institutions qui empêchent au marché du travail de fonctionner convenablement, c'est-à-dire sans entrave.


    Ces « empêcheurs de marché en rond » sont plus exactement au nombre de trois :


    -        l'Etat qui institue un salaire minimum (SMIC) et ce faisant qui élimine du monde du travail des salariés dont la productivité serait inférieure à leur coût salarial pour les entreprises. L'Etat encore une fois qui fait peser des charges patronales et sociales trop lourdes sur l'emploi, ce qui a pour effet de réduire le niveau de l'emploi.


    -        Les syndicats qui empêchent les patrons de flexibiliser la main d'œuvre lorsque la conjoncture est néfaste ou qui refuse toute diminution de leur quantité de travail, et/ou de leur salaire.


    -        Enfin, les systèmes d'indemnisation du chômage qui seraient trop élevés et qui inciteraient les agents à privilégier le chômage au travail (Pour preuve s'il l'en est besoin : il y a environ 300 000 emplois qui ne sont pas pourvus en France alors que le niveau de chômage est particulièrement élevé).

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    Cette approche part donc de l'idée selon laquelle le chômage résulterait des dysfonctionnements du marché du travail ; dysfonctionnements qui seraient de la responsabilité de l'Etat et des salariés eux-mêmes. Ce faisant, s'il y a chômage, ce chômage est « volontaire » (on parle aussi de chômage classique en référence à la théorie classique et néoclassique de l'autorégulation des marchés). En effet, si on laissait le marché du travail libre d'entrave, l'offre et la demande s'équilibreraient à court terme en faisant jouer les prix  à la baisse ou à la hausse, de telle sorte que le chômage résiduel serait un simple « chômage frictionnel » (c'est-à-dire un chômage qui correspond au temps nécessaire de réallocation d'emploi suite à sa perte). L'hypothèse néoclassique repose donc sur l'autorégulation des marchés et sur la flexibilité des prix qui permet le retour rapide à l'équilibre.


    En outre, cette théorie s'appuie donc sur le postulat d'efficience du marché du travail. Ainsi sans intervention extérieure, le marché s'autorégulerait de lui-même. En période de croissance, la demande de travail serait plus forte (celle qui émane de l'entreprise) et donc l'offre de travail serait plus satisfaite. Ce faisant, l'offre allant en se réduisant (tous les actifs ayant un emploi), la demande serait  excédentaire (manque de main d'œuvre sur le marché de l'emploi). Dès lors, la production diminuerait, et avec elle diminuerait progressivement les profits. La demande de travail ralentirait, l'offre et la demande s'équilibreraient alors (à moins de débouchés extérieurs et de main d'œuvre étrangère).


    A l'inverse, en situation de récession, l'offre de travail est excédentaire. La demande de travail est alors faible. Les employeurs sont donc amenés à diminuer les salaires (coût du travail) afin de relancer leur production et leur profit. Ce faisant, en diminuant le coût du travail, ils pourront plus aisément embaucher davantage de travailleurs. L'offre de travail viendrait alors égaliser la demande via une baisse des salaires. On retrouverait un équilibre walrassien (de Léon Walras, théoricien de l'équilibre néoclassique) à la baisse.

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    Mais le marché est-il véritablement autorégulé ? En dehors de tout interventionnisme, aurait-on un niveau de plein-emploi de l'économie ? Rien est moins sûr. En effet, le travail contrairement à d'autres biens n'est pas une marchandise comme les autres. Il ne s'échange pas aussi simplement sur un marché du travail séparé des autres sphères de l'activité économique (marché des biens et des services et marché des capitaux). C'est ici qu'apparaît la seconde approche. Cette dernière, d'orientation interventionniste ou keynésienne (du nom de John Maynard Keynes, qui l'a théorisée) montre comment le marché du travail est lié aux autres marchés. Il va montrer que la loi de l'offre et de la demande (dite aussi « loi des débouchés » théorisée par Jean-Baptiste Say, néoclassique) ne conduit pas à un équilibre de plein-emploi des facteurs de production.


    En effet, la fonction d'offre de travail pour Keynes est en partie insensible au prix. Les agents ont nécessité de travailler (économiquement, socialement, culturellement). Mais surtout, ce qui fait la spécificité de Keynes, c'est qu'il montre que le travail n'est pas qu'un coût (pour l'entreprise) mais aussi un revenu. Ainsi, si l'offre de travail est excédentaire par rapport à la demande, une diminution des salaires réels (coût réel du travail) des travailleurs permettrait de rétablir l'équilibre offre/demande sur le marché du travail pour les néoclassiques. Le travail étant moins cher, l'employeur pourrait en employer davantage et améliorer ses profits, donc sa production. Or, nous dit Keynes, le salaire est aussi un revenu, c'est-à-dire qu'il permet aussi de consommer. Or, le niveau de consommation dépend du pouvoir d'achat des agents, autrement dit de leur revenu, c'est-à-dire pour une grande partie d'entre eux, de leur salaires. Si celui-ci diminue, l'excédent de production créé par les entreprises ne trouverait pas à s'écouler faute de débouchés, à moins d'ouvrir aux débouchés extérieurs (comme cela semble être le cas de l'économie allemande depuis quelques années, mais c'est un autre problème). Si l'excédent de production ne trouve pas à se vendre, faute de consommation suffisante, les entreprises vont devoir diminuer leur prix de vente. Or, à court terme on sait que les prix sont relativement rigides (peu de variation) contrairement à l'hypothèse néoclassique (qui reste vraie à long terme). On fait plutôt jouer les quantités. On réduit alors la production, et ce faisant on réduit le nombre de travailleurs. On a alors une production qui s'écoule « correctement » avec un équilibre de sous-emploi. L'hypothèse néoclassique de l'équilibre de plein- emploi ne tient plus la route.


    Pour le dire plus simplement, la demande de travail n'est pas insensible au niveau des salaires (ce qui rejoint l'hypothèse néoclassique) mais elle est avant tout et fondamentalement déterminée par le niveau de ce que Keynes appelle la « demande effective », c'est-à-dire la demande anticipée par les entreprises. Celle-ci  est elle-même déterminée par la demande des ménages en biens de consommation et la demande des entreprises en investissement.


    Selon cette approche, il est donc possible d'avoir des équilibres de sous-emploi, puisque le niveau de l'emploi ne découle pas du seul marché du travail et de la confrontation entre l'offre et la demande de travail, mais des équilibres qui existent également sur le marché des biens et des services (offre : quantité produite / demande : consommation effective) et sur celui des capitaux (offre : taux d'intérêts /demande : investissement). Une baisse des salaires peut même avoir pour effet d'aggraver le sous-mploi selon les keynésiens. La baisse des salaires va déprimer la consommation des ménages, et par suite elle risque d'induire une spirale déflationniste. Moins d'emplois et moins de consommation, donc moins de profit, moins d'investissement, moins de production et moins d'emplois : cercle vicieux.


      Dans ce cas, seule l'intervention de l'Etat peut remédier au problème par une politique de relance de la demande (soit en facilitant l'investissement des entreprises, donc en agissant directement sur le niveau de production et le niveau de l'emploi, soit en augmentant les capacités de consommation des ménages, ce qui va faire augmenter par suite la production, donc l'emploi). On est donc loin de la vision idéalisée d'un marché autorégulé qui tendrait de lui-même vers un équilibre optimal (au sens de Vilfredo Pareto).  Dans cette vision, les problèmes du chômage ne sont donc pas directement liés aux dysfonctionnements du marché du travail, mais ils proviennent avant tout du niveau de la demande globale. A ce titre, le chômage n'est pas lié à une confrontation faussée entre offre et demande de travail, il n'est donc pas « volontaire ». On parle donc de « chômage involontaire » ou de chômage keynésien pour définir ce type de situation de sous-emploi.


    La question que l'on peut raisonnablement se poser est de savoir laquelle de ces deux approches est la plus proche de la réalité économique ? Laquelle s'avère être empiriquement démontrée ? En fait, les deux approches doivent être prises en compte dans une analyse transversale.  Chômages volontaire et involontaire coexistent aujourd'hui au sein des économies occidentales.

    <o:p> </o:p>

    (La suite dans ma prochaine contribution : j'analyserai les différentes propositions soulevées par l'analyse libérale pour réduire le chômage et qui sont celles qui font l'enjeu de la future présidentielle : suppression du salaire minimum, flexibilisation plus grande du travail, diminution des charges patronales, diminution de l'imposition sur le travail, diminution des allocations chômage, etc. en les confrontant à des situations empiriques et aux conclusions tirées de ces expériences)


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  • <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Freud quand il écrit Malaise dans la culture, tente de montrer le parallèle qui existe entre psyché individuelle et psyché collective. Etant entendu que la culture se définit comme ce qui lie les hommes entre eux, il va montrer comment les pulsions de vie (Eros) et les pulsions de destruction (Thanatos) vont l'une et l'autre interférer dans le développement culturel et comment la culture va se poser comme obstacle au bonheur, à la satisfaction pulsionnelle, et notamment à la pulsion de mort.


    Entendu que la culture peut se définir comme un entité psychique collective, il devient intéressant d'étudier les processus psychiques à l'œuvre dans la psyché individuelle au niveau de l'individualité collective. Mais cela n'est qu'une piste de réflexion pour le chercheur que Freud propose de soulever.

    <o:p> </o:p>

    La pulsion d'agression est avant tout pulsion d'autodestruction. « L'homme est un loup pou lui-même » avant d'être un loup pour l'homme.


    Au début de toute vie, la psyché comprend deux pulsions antagoniques :


    -libido, tournée vers le moi


    -agression tournée vers l'extérieur

    <o:p> </o:p>

    Dans son ouvrage, Freud montre comment l'extérieur se retourne vers l'intérieur. L'agression est renvoyée là d'où elle vient, vers le moi-propre. Il accorde une place prépondérante à la pulsion de mort


    Le sentiment de culpabilité est au centre de la problématique freudienne et ressort particulièrement ici. Elle divise la culture d'avec elle-même. Elle évoque la faute et au-delà de cela l'enchaînement oedipien : désir/interdit/transgression.

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    La Genèse du surmoi


    Sa genèse est oedipienne.


    -sous la menace de l'angoisse de castration, le moi de l'enfant (garçon) se détourne de l'investissement d'objet incestueux. L'autorité paternelle est introjectée sous forme du surmoi, « lequel emprunte au père sa sécurité et perpétue son interdit ». (Platon) L'angoisse de castration est pour Freud le véritable moteur de cette genèse résumée sous la forme :


    « Si tu désires, tu seras puni »


    Mais étrangement, dans Malaise, l'angoisse de castration est absente. Sa conception du surmoi a été modifiée. Elle apparaît comme impératif catégorique et exigence pulsionnelle du besoin de punition.

    <o:p> </o:p>

    La question qui se pose est alors la suivante : à quelle autre source que l'angoisse de castration le surmoi doit-il sa genèse, sa violence constitutive ?


    Il reprend le point de vue de M. Klein. La sévérité du surmoi représente moins celle de l'objet que celle de l'agression tournée contre lui, c'est une agression tournée vers l'intérieur, contre le moi. Mais cette conception d'un surmoi constitué d'une agression  retournée vers l'intérieur repose sur le postulat d'une agression primitive toute entière tournée vers le dehors. Freud n'adhère pas totalement à cette conception qui prône un innéisme, une endogenèse. Il préfère sa conception oedipienne du surmoi, à travers la référence à une influence extérieure et qui va agir dans le rapport maintenu entre angoisse et surmoi.


    Mais Freud va déplacer cette angoisse fondatrice. Ce n'est plus l'enfant oedipien mais l'enfant du désaide, de l'Hilflosigkeit, celui du malaise dans la culture.


    L'influence extérieure que le surmoi reflète (loi du père) n'est plus celle du père justement qui dit non, mais celle plus archaïque de l'autorité inattaquable, l'autorité parentale. Ce n'est donc plus le fruit de l'angoisse de castration, mais celle du désamour de l'objet aimé. On devient coupable de ne pas être aimé. La culpabilité est une variété de l'angoisse.


    Cette nouvelle genèse du surmoi ne remet pas en cause la première, mais elle l'englobe. Effectivement, la détresse devant la perte d'amour est vécue également dans la situation oedipienne, avant de devenir et de se qualifier en angoisse de castration.


    Dès 1895, Freud avait déjà plus ou moins pressenti cela dans sa formule :


    « Le désaide initial de l'être humain est la source originaire de tous les motifs moraux. [1]»

    <o:p> </o:p>Sentiment du moi

    Il n'y a pas de délimitation précise vers l'intérieur, au contraire de l'extérieur. Le Moi et le ça sont liés intimement. En revanche, le moi semble facilement séparé de l'extérieur, du monde des objets (sauf dans le cas de l'amour). Si le moi est séparé du monde du dehors, comment peut-on interpréter et comprendre le « sentiment océanique » entendu au sens de l'appartenance du moi à la collectivité (sentiment que Durkheim réutilisera dans sa conception de l'anomie comme une des source de comportement déviant) ?

    <o:p> </o:p>

    Pour Régis Debray, ce sentiment d'appartenance passe par l'image, la communion. C'est quelque chose de non rationnel, qui passe par une communion de tous autour d'une image commune, partagée et vécue collectivement. C'est à ce titre une image religieuse (qui relie) qui permet aux hommes de vivre en communauté. La religion devient pour lui une irréductibilité du caractère humain qui est celui de la socialité. C'est l'imaginaire qui fait que l'on se regroupe, que l'on partage et qu'on a le sentiment d'appartenir à un ensemble plus vaste que soi.

    <o:p> </o:p>

    Pour Freud, il en est autrement.


    « Le nourrisson ne fait pas encore le départ entre son moi et un monde extérieur comme source de sensations affluant sur lui. Il apprend à le faire pas à pas en vertu d'incitations diverses. Ce qui lui fait nécessairement la plus forte impression, c'est qu'un certain nombre de sources d'excitations, dans lesquels il recentrera ultérieurement ses organes du corps, peuvent à tout moment lui adresser des sensations, alors que d'autres se soustraient à lui par moment – parmi elles ce qui est le plus désiré : le sein maternel – et ne sont ramenés à lui que par des cris d'appel à l'aide. » (p. 8.)


    Ce qui fait le dehors, ce qui donne l'impulsion au détachement du moi, ce sont les répétitions multiples des sensations de douleur et de déplaisir que le principe de plaisir commande de supprimer/d'éviter. Le moi se crée dans la douleur, dans l'impossibilité de satisfaire au principe de plaisir. (Le temps ne naît-il pas à ce moment ?) Tout ce qui est déplaisir est rejeté hors du moi. La formation d'un moi-plaisir opère par opposition à un « dehors étranger et menaçant » (p. 9). Tout ce qui n'est pas moi, tout ce qui est autre, est potentiellement effrayant et dangereux. Exemple du racisme, du communautarisme, etc. D'ailleurs, à l'heure où le culte de l'hédonisme, du rapport au corps entendu comme corps-plaisir, il est significatif de constater que la peur de l'autre n'a jamais été aussi grande.

    <o:p> </o:p>

    C'est l'expérience du réel qui va équilibrer et modifier tout cela. Certains plaisirs ne dépendent pas du moi (sein maternel) tandis que le moi peut être source de déplaisir. L'apprentissage s'établit alors au sein de l'activité sensorielle et musculaire qui va différencié ce qui est moi (intérieur) et ce qui est du monde des objets (extérieur). C'est le premier pas vers l'instauration du principe de réalité qui dominera le développement ultérieur de l'individu.


    Cette différenciation dedans/dehors du plaisir/déplaisir permet à l'individu de mieux se défendre par la suite. Car ce ne seront pas les mêmes méthodes qui seront à l'œuvre dans l'évitement du déplaisir venu du moi que dans celui venu du dehors. Si les méthodes restent les mêmes, on tombe dans le développement de troubles psychiques.

    <o:p> </o:p>

    « A l'origine, nous dit Freud, le moi contient tout, ultérieurement il sépare de lui un monde extérieur. » (p. 9) C'est un narcissisme sans Narcisse.


    Ainsi pour Freud ce sentiment océanique, ce sentiment du tout serait un reste de sentiment originel embrassant la totalité. Le « sentiment océanique » proviendrait d'un reste du moi primordial. (Ce qui fait lien entre les hommes c'est ce reste, ce qui sépare c'est tout ce qui vient ensuite) On peut reprendre l'analyse d'un point de vue sociologique : l'homme est lié et délié, lié et séparé comme le disait Simmel. La survivance du lien originel du moi au monde demeure au-delà du lien ultérieur de séparation qui le suit : voilà l'hypothèse fondamentale à faire pour Freud. Cette hypothèse est légitime d'autant plus que la biologie la confirme, l'être humain conserve en son sein tout le patrimoine génétique de l'évolution. Au sein de l'ontogenèse, toute la phylogenèse est présente dans les cellules. On pourrait dire la même chose de l'imaginaire ancré dans un substrat primordial (Durand, Bachelard) sur lequel des nouveautés s'édifient sans rompre le lien originel.

    <o:p> </o:p>

    A l'origine il y a donc un sentiment d'unité, de liaison totale avec le monde (sorte d'Idées transcendantales). C'est l'expérience des sens (de la douleur) qui va contribuer à instaurer la séparation moi/objet. La séparation naît bien dans la douleur, dans l'expérience sensible. Il rejoint Platon sur ce point d'un monde sensible qui rend l'homme malheureux au regard d'un monde transcendant intelligible et sécurisant. Le monde réel est un succédané d'un réel originel totalement unifié. Le temps, l'espace, le désir, l'attente naissent en même temps avec le principe de réalité donc dans la douleur.

    <o:p> </o:p>

    Au niveau de la psyché, « dans la vie d'âme rien de ce qui fut une fois formée ne peut disparaître, [que] tout se trouve conservé d'une façon ou d'une autre et peut, dans des circonstances appropriées (...) être ramené au jour ». (p. 10) Ainsi pour Freud, la conservation est la règle et non l'exception (on connaît tous sa conception du lapsus).

    <o:p> </o:p>

    L'autre question que l'on peut poser est celle du sentiment océanique. Peut-il être considéré comme source du religieux ?


    Pour supporter la vie telle qu'elle est, il faut des sédatifs nous dit Freud. Il en voit trois sortes offerts au psychisme :


    -         les diversions pour ne pas faire cas de notre misère (science, travail)


    -         les substitutions pour diminuer la misère (sublimation, art, fantaisie)


    -         les stupéfiants pour la rendre insensible (drogues et alcools)


    Pour Freud le religieux se situe ailleurs, pas dans l'évitement du déplaisir, ni dans la recherche du plaisir. Il se situe dans l'explication d'une finalité à la vie humaine. Mais nous y reviendrons.


    Le but des hommes est simple : le bonheur.


    Ce bonheur peut prendre deux directions :


    -         la recherche du plaisir


    -         l'évitement du déplaisir


    Mais c'est essentiellement le deuxième qui est mis en action dans la vie humaine. C'est donc le principe de plaisir qui pose la finalité de la vie humaine : être heureux, pas le principe de réalité. Or, psychologiquement le bonheur n'et pas inné à l'homme. Il n'existe qu'en tant que possibilité épisodique. Car il est impossible à l'homme de jouir des contrastes que la vie amène, ni même des états stables. Ainsi, « rien n'est plus difficile à supporter qu'une série de beaux jours » dit Goethe, ne serait-ce que parce que l'on sait que cela ne va pas durer.

    <o:p> </o:p>

    Psychologiquement, il est beaucoup plus aisé d'être malheureux. En effet trois menaces différentes s'abattent sur l'être humain :


    -         le corps propre (voué à la déchéance et limité)


    -         le monde extérieur (qui limite nos actions)


    -         les relations humaines (la plus douloureuse au niveau de l'expérience quotidienne)

    <o:p> </o:p>

    Comme le principe de plaisir s'est remodelé au contact de l'extérieur en principe de réalité au niveau de la psyché, de la même manière, le bonheur s'est remodelé, et s'est modéré en prétention au niveau de la vie quotidienne, de la réalité sociale. La tâche de l'évitement de la souffrance repousse ainsi en second lieu celle de l'obtention du plaisir. (La sécurité plutôt que la vie dirait Nietzsche, la sécurité plutôt que le malheur préfère Platon.


    « Mettre la jouissance avant la prudence, cela trouve sa punition après une brève pratique » (p. 20) ajoute Freud. L'époque contemporaine semble plus que jamais vouloir lui donner raison.

    <o:p> </o:p>

     Mais c'est là que nous ne sommes pas d'accord. Deux millénaires de pensée platonicienne sont arrivés à nous faire accepter l'idéal d'un tout sécuritaire comme nécessité au bonheur et à la liberté.  








    [1] Freud, La naissance de la psychanalyse, PUF, 1956, p. 336.



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  • Les délocalisations sont-elles dangereuses ?
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    Délocalisation. Le mot fait trembler. Le prononcer est déjà un acte politique majeur qui vous engage. Les regards se fourvoient, les langues se taisent de peur de blesser une partie de l'opinion, d'en galvaniser une autre. Le terme divise. Pire, il emporte l'adhésion de tous pour le fustiger immédiatement. Les délocalisations seraient la réponse miracle et fourre-tout aux problèmes récurrents de l'emploi dans notre pays. Autant clarifier les choses tout de suite, nous verrons comment cette vision est loin d'être conforme à la réalité économico-sociale, et ce indépendamment des courants de pensée et des idéologies interventionnistes ou libérales qui divisent les économistes. Autant au niveau des réponses à apporter aux problèmes de l'emploi, il n'y a pas de consensus entre partisans des deux doctrines, autant sur la responsabilité des délocalisations sur la mesure de l'emploi, les voix s'accordent pour s'élever contre le discours politique simplificateur et accusateur.


    Le mal serait donc étranger. Tel un virus, il s'introduirait de manière pernicieuse dans un corps sain pour essayer de le détruire, au moins de l'affaiblir. Ainsi va le monde et ainsi décrit-on la délocalisation : une sorte de monstre étranger venant affaiblir le tissu social et économique de notre saine et harmonieuse économie.


    Mot tabou s'il en est, c'est donc à sa démystification que nous allons procéder. Au processus victimaire de nos sociétés occidentales, qu'il est bon et facile de trouver un responsable unique idéal. A l'image de la psychologie où le danger vient toujours d'autrui, de la sociologie où c'est toujours du conflit avec le hors-groupe que procède le changement, de l'anthropologie où la peur tire ses racines de l'altérité, l'économie trouve dans les pays à faibles coûts salariaux l'essentiel de ses maux, son bouc-émissaire parfait, car archétypal : le mal vient toujours du dehors.

    <o:p> </o:p>

    Mais posons tout de suite la question : les délocalisations sont-elles responsables du taux de chômage élevé des pays du Nord et plus particulièrement de la France ? Avant tout, il faut savoir ce qu'on entend par délocalisation.

    <o:p> </o:p>1. délocalisation et effets pervers

    Il s'agit donc de définir le terme. Voyons celle qu'en donne J. Artuis : « La délocalisation consiste pour des produits qui pourraient être fabriqués et consommés dans une même aire géographique, à séparer les lieux de production et de consommation. En d'autres termes, il s'agit pour le gestionnaire de fabriquer là où c'est le moins cher et de vendre là où il y a du pouvoir d'achat. » Cette définition contribue à élargir le champ des délocalisations à une vision sombre et pessimiste : l'entreprise transfère tout ou partie de sa production à l'étranger afin de réimporter à un coût moindre (prix moindre et profits supérieurs) les produits finis. Ce faisant elle crée du chômage dans le pays d'origine. Mais toutes les délocalisations ne répondent pas à cet objectif. D'une manière générale, les délocalisations répondent à trois stratégies majeures :


    -        recherche de minimisation des coûts. Effectivement, en s'implantant dans un pays où le salaire est inférieur, les coûts de production vont sensiblement diminuer pour l'entreprise, ce qui lui permettra de tirer les profits vers le haut, mais aussi de revendre ces produits à un prix inférieur et donc plus compétitif sur le marché mondial. Ce sont des délocalisations qui jouent sur l'offre.


    -        Volonté de conquête d'un nouveau marché. La délocalisation peut aussi répondre à un souci de conquête d'un marché émergent. Effectivement, pour une entreprise, il est préférable d'être directement présent sur le nouveau marché (exemple de Dacia ou Logan en Europe de l'Est) afin d'avoir une meilleure information du marché et pouvoir installer sa domination.  Elle essaie de répondre à une demande. Dans ce cas, l'entreprise ne délocalise qu'une partie bien souvent de ses capacités productives. Ce sont des délocalisations pour accroître les débouchés et qui s'appuient sur la demande.


    -        Stratégie globale : l'entreprise cherche à la fois à conquérir un nouveau marché et à réduire ses coûts de production. Elle augmente ses profits et ses débouchés (ventes) dans le même temps.

    <o:p> </o:p>

    Mais les délocalisations induisent des effet pervers : c'est qu'elle en appelle d'autres. En effet, un entreprise qui délocalise va augmenter ses profits, soit en diminuant ses coûts, soit en augmentant ses débouchés, soit les deux, ce qui induit de la part des autres entreprises une démarche similaire afin de rester compétitif. Ainsi la délocalisation d'une partie de la production chez Peugeot avec sa Dacia en Pologne a succédé à celle de Renault avec sa Logan en Roumanie. La concurrence exacerbée que se livrent ainsi entre elles les entreprises des pays industrialisés pour investir les secteurs encore vierges des économies émergentes conduit à accélérer de la part des entreprises les gains de productivité, ce qui au bout du compte conduit à des destructions d'emplois dans les pays riches.


    Ce faisant, l'emploi diminuant, la demande intérieure (la demande de consommation au sein du pays) va diminuer également. La demande étant plus faible, la production aura davantage de difficulté à s'écouler au prix actuel. Il va donc falloir trouver des moyens de réduire les coûts afin de pouvoir continuer à vendre sur le marché intérieur. Cette pression sur les coûts va induire une pression à la baisse des salaires. Un cercle vicieux s'installe alors où la demande chute, les salaires diminuent pour faire face à la chute de l'écoulement de la production, les entreprises vont délocaliser pour gagner en compétitivité et continuer à engranger des profits sur un marché déprimé.

    <o:p> </o:p>2. Des effets à nuancer

    Pourtant, cette vision sombre et désastreuse (réductrice et simpliste) de la délocalisation doit immédiatement être nuancée : certes elles induisent des destructions d'emplois, certes, elles touchent des secteurs particuliers de l'économie, mais elles sont loin d'expliquer l'essentiel du chômage et des bas salaires en France.


    -        En effet, les IDE (investissements directs à l'étranger qui permettent les délocalisations), c'est-à-dire la création ou la prise de contrôle d'une entreprise à l'étranger représentent environ 5 à 10% de l'investissement intérieur. En outre, si les pays riches sont à 80¨% responsables des IDE dans le monde, ils sont aussi les bénéficiaires à 66% de ces IDE. Par exemple, en 1999,l'UE a accueilli 58% des IDE de la France. ce qui conduit à relativiser l'idée répandue selon laquelle les délocalisations servent à diminuer les coûts de main d'œuvre durant la production. Certes, les pays riches sont les plus gros dépositaires des IDE mais ce sont aussi les plus grands bénéficiaires, or les coûts salariaux se valent dans l'ensemble des pays de la Triade (UE, Etats-Unis, Japon)


    -        En outre, la plupart des IDE dans les pays à faibles coûts salariaux vise avant tout à conquérir le marché local, et non à substituer une production moins coûteuse à une production locale.


    -        De plus, prendre la seule variable « coûts salariaux » est insuffisant. Il faut la lier à la productivité du travail. Si vous payez deux fois moins cher un ouvrier à l'étranger mais qu'il vous fait le même travail en deux fois plus de temps que l'ouvrier français, l'entreprise n'y gagne rien. Elle y perd même en coûts de transports pour réacheminer le produit en France. Or, la théorie des avantages comparatifs mise à jour par D. Ricardo et de nombreuses fois réajustée montre toujours qu'un pays a une productivité meilleure à mesure qu'il s'enrichit (or, les économies émergentes, même si elles ont une croissance exceptionnellement élevée, ce qui est normal puisqu'elle parte de plus loin, sont encore des économies « pauvres »). Cela s'explique par le « capital humain » (théorisé par H. Becker en 1964) plus important dans les pays riches (formation professionnelle, formation scolaire, effet d'apprentissage) et la dotation en capital physique et technologique plus important.


    -        Autre nuance à apporter : les firmes qui ont délocalisé, en gagnant en productivité-prix amassent des profits plus importants. Ces profits peuvent être réinvestis sur le marché domestique (d'origine)  et ainsi créer de nouvelles activités et par suite créer de nouveaux emplois.


    -        Enfin, pour finir, il est important de souligner que la mondialisation n'est pas un jeu à somme nulle, contrairement à l'idée répandue. Le Japon est un cas exemplaire à ce titre, puisque par ses délocalisations importantes dans la région asiatique, il a contribué à l'enrichissement des pays régionaux au point de représenter un marché significatif aujourd'hui pour les produits japonais. Les délocalisations ont enrichi les pays voisins qui à leur tour ont enrichi le Japon. Comment ? En délocalisant, on diminue les coûts, donc les prix à l'importation. Dans le même temps, on offre des emplois et des biens à un pays émergent (qui même à un salaire faible reste souvent supérieur à celui auquel il pouvait accéder auparavant). Ce faisant, dans les pays riches, on libère une partie de la demande vers d'autres produits de consommation et surtout de nouveaux services.

    <o:p> </o:p>Conclusion

    La responsabilité des délocalisations au niveau des destructions d'emploi est donc à relativiser. Néanmoins, il y a un domaine sur lequel les craintes sont fondées. C'est que les échanges avec les pays du Sud se font souvent dans le sens d'une délocalisation de main d'oeuvre non qualifié (théorie de la spécialisation internationale). Ce sont donc les secteurs industriels à forte concentration de main d'œuvre à faible qualification qui sont touchés par les délocalisations. Ainsi, même si leur impact est faible sur l'économie (moins de 3% du PIB et de 3% de l'ensemble du chômage), il se concentre sur une classe d'individus particulièrement exposés.  Même si l'Inde commence à attirer les domaines de haute technologie, notamment informatique.


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    Deux semaines maintenant que la bataille présidentielle est véritablement lancée entre les deux partisans autoproclamés vainqueurs du 1er tour, que déjà les bisbilles et les coups bas commencent à pleuvoir. « La République vaut mieux que cela », « les français méritent d'avoir un vrai débat » se galvanisaient les représentants de chaque camp, force est pourtant de constater que derrière cet éclat de rigueur et d'honnêteté politique de façade, l'ombre des compromissions et des petites phrases assassines a refait surface. Chasser le naturel... Toujours est-il que cette campagne s'annonce sous les meilleures auspices. D'un côté un maître chanteur, vitupérant et gesticulant en permanence, de l'autre une mère supérieure à l'air séraphique et à l'inspiration virginale. Au corbeau noir de mauvaise augure on oppose la blancheur candide de la colombe à l'esprit aérien, pour ne pas dire aéré. À quel choix veut-on nous résoudre? À deux maux, mieux vaut privilégier le moindre dit le dicton. Mais c'est oublier que le débat nous confisque une grande partie de l'auditoire, au profit d'un clientélisme clos qui en s'invectivant mutuellement s'autoengendre en permanence. Sarko/Ségo : le combat des chefs, la finale avant l'heure. Tout serait donc déjà entériné, les possibilités de choix illusoires. D'ailleurs qu'on ne s'y trompe pas. Si besoin était les médias se chargent de raffermir la chose. Lorsqu'un député UMP est interrogé, c'est un partisan du PS qui répond. Lorsque l'équipe de campagne de Mme Royal s'exprime, c'est celle de M. Sarkozy qu'on interroge. En revanche, M. Bayrou a pour débatteur M. Le Pen, quite à donner l'impression que l'un et l'autre se valent. Mais dira-t-on ce qui compte c'est la vérité des chiffres. Seule la variable statistique est maître à bord. A 12% chacun, les deux voix se valent. Les médias ne font que conforter les sondages, ils ne créent rien. Gageons que les fleuves qui charrient dépôts, alluvions continuent à faire du bruit : il y aura toujours quelque part une caméra qui traîne pour s'acquitter du chahut emporté. Mais que l'on oublie pas qu'à trop se pencher sur les fleuves, on en oublie la source. Le peuple est maître. Et il peut très bien préférer les petites rivières qui avancent en serpentant, loin des fracas et des crépitements médiatiques, leurs apportant force et consistance pour les porter peut-être jusqu'à une hyptothétique mais ô combien incroyable embouchure à laquelle nul n'avait alors osé imaginer. Au bruit et aux gesticulations, la posture honnête et attentive est plus efficace à capter la parole des français.




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    La pauvreté des Nations (2)





    Sur quoi repose exactement cette crise structurelle ? Quels sont les éléments d'analyse sociales et économiques permettant d'y répondre? Longtemps, et aujourd'hui encore les premières raisons mises en avant sont selon les idéologies et les discours alarmistes : la mondialisation, l'immigration, la tertiarisation, la dérégulation de l'économie. Mais comme souvent, ces responsables « tout désignés » sont loin d'être les véritables et uniques causes de la crise qui sévit en France depuis la fin des années 70.





    j'ai dit plus haut que la tertiarisation avait été un des éléments à prendre en compte dans la mesure des transformations de l'économie française. Mais elle n'est pas la seule. Souvent on accuse également la mondialisation de porter une grande part des responsabilités. Qu'en es-il exactement?













    • la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau. Depuis que le capitalisme existe, il a toujours cherché à se développer au-delà de l'Etat-Nation. Néanmoins, il est vrai qu'à partir des années 70, on assiste à une accélération de ce processus via la multinationalisation des firmes. De plus en plus d'entreprises se développent hors de leur sol d'origine. Elles égrennent partout dans le monde via le système des IDE (investissements directs à l'étranger). Cela signifie qu'elle amène des capitaux à l'étranger soit en délocalisant une partie de leur production afin de conquérir un nouveau marché directement sur place (et ainsi éviter les barrières protectionnistes), soit elles envoient sous forme d'équipements, de machines des capitaux à l'étranger. En résumé, les firmes se multinationalisent. En outre, parallèlement à l'augmentation des IDE, on assiste à une augmentation de la contrainte extérieure (la contrainte extérieure, c'est simplement l'influence qu'exerce l'économie étrangère (production/consommation) sur celle du pays). En effet, à partir des années 70, les économies mondiales s'ouvrent davantage. Chaque pays est plus permissif à l'entrée. Ce faisant, les consommateurs y gagnent en partie, puisque l'ouverture induit la concurrence qui induit elle-même une concurrence pour la baisse des coûts et donc du prix d'achat des biens. Néanmoins, le problème qui s'est posé à la fin des années 70, c'est que l'Etat, pour minimiser les dangers de la crise conjoncturelle liée à l'envolée des cours du pétrole a continué à mettre en place une politique de relance économique de la demande (augmentation des dépenses publiques et baisse des taux d'intérêts pour inciter à la consommation). Mais cette demande s'est en partie reportée sur des biens de consommations extérieurs, issus de l'importation des pays étrangers (Europe, Etats-Unis). Ce qui fait qu'au lieu de relancer la demande de produits intérieurs, et donc la production, et par suite l'emploi, cette politique a eu pour effet pervers de faire poursuivre l'inflation sans enrayer la progression du chômage. La contrainte extérieure a donc pesé sur la « stagflation » française.





      Mais elle n'est pas la seule variable à considérer : au même moment, la demande des ménages a commencer à diminuer. Les débouchés pour les biens d'équipement des ménages s'essouflent. Se substitue une production qualitative à la production de type quantitativiste. Il faut renouveler les produits, et donc il fut innover. Les années 70 marquent la fin du modèle standardisé. (la voiture doit s'individualiser) La société française développe des idéaux d'individualisme, d'épanouissement personnel. On assiste alors à un changement structurel de la demande (qualité>quantité). En outre, les exportations de produits manufacturés diminuent également : les nouveaux pays émergents produisent eux-mêmes leurs biens. Cependant la spécialisation internationale avec le Sud perdurent pour les biens technologiques. Mais l'avantage des pays du Nord commence à se limiter à ses seuls produits à haute valeur ajoutée.









    • On a donc une diminution globale de la demande. Ce faisant, celle-ci induit une diminution de l'offre. Les entreprises constatant l'essoufflement de la demande vont davantage hésiter à investir, et ce d'autant plus que l'inflation grimpe, tandis que l'emploi diminue. On entre dans la crise. La production diminue, les entreprises vont tenter de trouver des moyens pour baisser les coûts de production : les salaires vont commencer à stagner après la forte évolution qu'ils avaient connu tout au long des Trente Glorieuses.





      L'idée qui consiste à dire que les pays du Nord ont perdu ce qu'on gagné les pays du Sud est fausse et purement idéologique. La théorie du jeu à somme nulle n'est pas vérifiée par les faits. Les pays émergents sont aussi de grands importateurs. En se développant, ils créent de la richesse et des désirs de consommation plus importants. Ils vont augmenter leur importations des pays du Nord afin de satisfaire leur demande grandissante. « La mondialisation n'est pas coupable » ( pour reprendre le titre de l'ouvrage de P. Krugman) des problèmes de chômage structurel qui touche la France.









    • Qu'est-ce qui explique alors la crise qui touche la France à partir de 1974? On a vu que l'explication conjoncturelle ne suffisait pas, que l'ouverture vers une économie mondialisée non plus. En réalité, depuis le milieu des années 70, ce qui explique le mieux la « croissance molle » dans laquelle notre pays est entré ce sont les gains de productivité. En effet, alors qu'ils étaient très élevés durant la période desTrente Glorieuses (pour l'Europe entre 1950 et 1973, la productivité horaire du travail a été de 2,7, entre 1973-1998 elle n'était plus que de 1,2. Pour la France, la situation est a peu près identique, elle a été divisée par plus de deux points : de 5,2 entre 1950-1973, elle a chuté à 2,5 entre 1973-1998). C'est la productivité moindre des facteurs de production qui explique en grande partie la faiblesse de la croissance. Autant celle du travail, comme on vient de le voir que celle de la productivité globale (c'est-à-dire du progrès technique). Pour faire simple, la croissance se mesure via la productivité des facteurs de production : on en retient souvent deux : le capital et le travail. Mais à eux deux, ils ne suffisent pas à expliquer l'entièreté de la croissance des pays du Nord. Il faut en ajouter un troisième qui est le facteur résiduel (Solow) plus fréquemment appelé le progrès technique. Or, sur la période qui débute en 1973, on constate que la productivité globale a diminué (fin du fordisme, modification structurelle de l'offre et de la demande).









    • Or, si la productivité diminue, les entreprises ont plus de mal à rembourser leur endettement contracté, les salaires n'augmentent plus alors même que l'inflation gagne l'ensemble de l'économie. Ce qui est gagné par les entreprises sert essentiellement à rembourser la part du capital investi, laissant alors une part congrue au travail. Ce faisant, la demande ralentit (salaires moindres et inflation continue), on entre dans une situation de « croissance molle ». Pour les régulationnistes (keynésiens), l'origine des crises du capitalisme est à rechercher dans les désajustements entre l'offre et la demande globale. Les gains issus de la production ne se répartissent pas nécessairement de façon harmonieuse entre les différents agents économiques, contrairement à ce qu'avançait le concept de «main invisible » de Smith. En effet, les gains de productivité moins élevés ont été redistribués en grande partie au capitalistes (investisseurs) et non aux travailleurs.









    • Or, depuis quelques années, on assiste à un renforcement des inégalités dans la répartition des revenus de la production. En effet, ce qui est investi à la base du processus de production doit être redistribué à sa sortie (sous forme de salaire pour le travail, de profits (Excédent Brut d'Exploitation ou EBE ) pour le capital). Or, depuis le début des années 90, on constate que la part allouée au travail s'amoindrit au profit de celle allouée au capital. Les grandes entreprises sont de moins en moins propriétaires de leur capital : elle font appels à des anonymes pour leur prêter des fonds : pour cela elles vendent des actions sur le marché financier. Ces actions sont achetées par des fonds de pension, d'investissements composés de multitudes de petits épargnants qui y ont placés leurs « bas de laine ». Effet pervers de la chose : en entrant en bourse, les entreprises augmentent leur part de capital, mais elles sont sous l'emprise des actionnaires qui attendent que leurs investissements soient fructueux. Aussi, ils « contraignent » les entreprises à faire des profits à court terme. Plus l'entreprise fera de profit, plus elle a de chance que ses actions soient cotées à la hausse et donc que les actionnaires ne revendent pas leurs participation. Le problème c'est que les entreprises doivent tout faire pour réduire leurs coûts au maximum afin de satisfaire les actionnaires (ce qu'on appelle aussi le capitalisme financier). Ainsi, ils sont conduits à licencier pour réduire les coûts salariaux, ou/et à délocaliser pour les mêmes raisons. Tout est bon pourvu que les profits augmentent et donc le retour sur investissements (ROE) des actionnaires. L'autre problème c'est que ces profits à courts termes peuvent s'avérer paradoxalement néfastes pour l'entreprise, qui réduit également sa part d'investissement en R&D. Or, on sait très bien que la recherche est la base de l'innovation et le moteur de la croissance. Les actionnaires, en se comportant comme de véritables « gloutons » (selon le terme de J. Peyrelevade, ancien patron du Crédit Lyonnais et de Suez) prennent le risque d'appauvrir l'économie réelle.





      Cette redistribution est accaparée pour une grande part par les rentiers alors qu'autrefois tout était fait pour les salariés. Les actionnaires s'enrichissent et avec eux les managers des grandes entreprises (sous forme de stock-option c'est-à-dire une quantité d'actions offertes à prix cassés et dont le chef d'entreprise peut revendre au prix du marché en se faisant un joli profit au passage. Ce qui le conduit également à jouer pour les actionnaires afin de voir le cours de ses actions grimper!) tandis que le travail dispose de revenus de moins en moins élevé.





      La croissance dès lors devient un fin en soi : s'il y a création de richesses, il y a mécaniquement plus de richesses à redistribuer. Le problème, c'est que la croissance devrait être un moyen d'accroître le développement et de réduire les inégalités et non une fin en soi. La croissance ne sert à rien si elle ne sert pas la réduction des inégalités. Or, c'est bien ce à quoi nous assistons aujourd'hui. Une croissance molle, à laquelle se superpose une redistribution inégale de la richesse créée au profit des plus aisés et des rentiers, et au détriment des travailleurs eux-mêmes. Si bien que l'on assiste depuis le début des années 90 à une nouvelle bipolarisation croissante de la société salariale, entre d'un côté les « inclus » (CDI, sécurité de l'emploi, rémunération élevé), de l'autre les « exclus » (main d'oeuvre flexible, bon marché, précarisation des conditions de vie).





      Si le politique peut et doit intervenir, c'est donc au niveau de la redistribution des richesses qu'il doit le faire. Et c'est encore là qu'il a le pouvoir politique d'agir! A bon entendeur...


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