• la socialisation sexuelle en modèle patriarcal (1)

     La série de billets qui vont suivre s'intéressent à la constitution de l'identité sexuelle dans les systèmes sociaux de type patriarcal, c'est-à-dire dans le modèle dominant jusque dans les années 70-80 dans nos sociétés. sans m'intéresser aux fondements de la crise du patriarcat qui remonte au XIX siècle avec la substitution progresive de l'Etat en lieu et place du père pour se poursuivre jusque dans les années 60 avec le féminisme et le mouvement de reconnaissance de la liberté de la femme à disposer d'elle-même et de son propre corps, je vais essayer de dresser les différents contours sociologiques, anthropologiques et aujourd'hui psychologiques qui entretiennent la reproduction du clivage sexuel et avec lui des différences dans l'attribution des caractéristiques féminines et masculines tout au long du parcours de socialisation des individus sexués.
      1. L'origine psychologique de la reproduction du clivage1



    Nancy Chorodow, psychologue et psychanalyste américaine a développé une théorie de l'institution psychanalytique du système patriarcal.

    Dans les sociétés patriarcales, dès la naissance, les enfants sont sexuellement distingués dans le processus psychologique de constitution de la personnalité. Les femmes en tant que mères font des filles chez qui le désir d'être mère à leur tour s'inscrit dans la relation originelle mère-fille (mimétisme reproducteur). D'un autre côté, les femmes en tant que mère font des fils chez qui le désir d'être père est secondaire par rapport au désir érotique. Chez les hommes, le rôle nourricier et la capacité à être père a longtemps été réprimé. Les hommes sont avant tout préparé à leur rôle affectif ultérieur dans la famille et à leur participation à la sphère extrafamiliale du travail et de la vie publique.


    En effet, « la division sexuelle et familiale du travail, où les femmes maternent et sont plus impliquées dans les relations affectives interpersonnelles que les hommes, produisent chez les filles et les fils une division des aptitudes psychologiques, qui les conduit à reproduire cette division sexuelle et familiale du travail (...). La responsabilité de s'occuper des enfants incombe essentiellement aux femmes dans la famille et hors d'elle2»


    Cette division initiale des sexes va avoir des conséquences sur le développement de la sexualité et de la personnalité. Si on fait référence aux catégories freudiennes de l'Œdipe et de l'interdit de l'inceste, on assiste à des choix libidinaux différents selon hommes et femmes.

    Ainsi, nous dit Chodorow, du fait que les femmes maternent, le développement du choix d'objet hétérosexuel va différer selon les sexes.


    Relation exclusive contre relation triangulaire

    Pour les hommes, la mère apparaît comme un objet d'amour primaire qu'il faudra sublimer, dépasser au cours du processus de séparation/résolution de l'Œdipe. Si bien qu'à l'âge adulte, le conflit résolu, les hommes sont prêts à trouver quelqu'un comme leur mère.


    En revanche, chez les filles, le processus diffère. Si leur premier objet d'amour est également leur mère nourricière, elles vont opérer un transfert de choix d'objet sur la personne de leur père pour nourrir un choix hétérosexuel. A la suite, elles devront également résoudre leur conflit oedipien. Mais celui-ci s'inscrit dans une relation triangulaire beaucoup plus importante que chez l'homme.

    Le désir d'homme chez la femme résulte du transfert d'objet (du père vers les hommes, via l'interdit de l'inceste), mais à la différence des garçons, ces transferts d'objets ne sont pas des objets exclusifs d'amour pour elles, car elles conservent une force d'attraction/d'affection puissante envers leur propre mère, et par suite envers les autres femmes.


    En conclusion, Chodorow insiste sur le fait que « si les femmes vont probablement devenir et rester, sur le plan érotique, hétérosexuelle, elles sont incitées, à la fois par les difficultés des hommes à aimer et par leur propre histoire relationnelle avec leurs mères à chercher ailleurs l'amour et la gratification affective. » chose qui n'arrive pas aux hommes, leur désir d'objet étant exclusivement tournée sur la personne de leur mère à l'origine, en direction des autres femmes ensuite. Pas de relation affective triangulaire.


    A ce titre, Chodorow souligne les deux alternatives auxquelles les femmes se trouvent confrontées pour satisfaire leur besoin d'amour et d'affection. « Une des façons qu'elles ont de satisfaire ces besoins passe par la création et le maintien des relations personnelles fortes avec d'autres femmes. » Ou deuxième alternative : « Etant donné la situation triangulaire et l'asymétrie émotionnelle de ses propres relations avec ses parents, la relation d'une femme avec un homme exige, au niveau de sa structure psychique, une troisième personne, puisqu'elle a été initialement établie au sein d'un triangle [...]. Donc pour une femme, un enfant complète le triangle relationnel.3»


    Ainsi, les femmes cherchent à développer leur affectivité et leur amour dans la compagnie d'autres femmes avec le développement de réseaux de solidarités féminins beaucoup plus marqués, ou/et par le désir d'enfant, ce dernier permettant de reformer le triangle relationnel originel.


    Chez les hommes, l'attachement initial à la mère, puis aux autres femmes suffit à reproduire la relation primordiale rompue. La relation hétérosexuelle recrée seule le lien originel, tandis que la venue d'un enfant vient l'interrompre. A ce titre, l'homme est un désireur de femme, mais pas un père.

    De la même manière, l'homme a moins la nécessité d'entretenir de relations, celles-ci ayant été réprimées davantage dans l'enfance, contrairement aux femmes.

    De ce fait, les femmes ressentent un manque affectif plus grand (elles se sont constituées comme objets relationnels) de la part des hommes (qui se sont constitués comme simples désireurs de femmes) et leur engagement est moins hétérosexuel. Ce qui en définitive contribue pour l'auteure à reproduire le processus psychologique de division des sexes.


    Les femmes auront besoin d'affection que les hommes ne leur donneront pas : elles feront alors des enfants pour combler ce manque relationnel qui reproduiront ce clivage sexuel psychologiquement constitué.

    « Parce que les femmes sont elles-mêmes maternées par des femmes, elles grandissent avec des aptitudes et des besoins relationnels, qui les incitent à materner. Pas les hommes – parce qu'ils sont maternés par des femmes. Les femmes maternent des filles, qui, quand elles deviennent femmes, maternent4»

    En conséquence, la structuration psychologique différenciée des individus sexués, par mimétisme, conduit à une reproduction sociale de la division sexuelle des rôles.

    Ce processus n'est pas inné, ni irréversible, il est le produit d'une histoire particulière des relations hommes/femmes, qui agit comme un facteur de naturalisation des différences de genre. Ce n'est pas un fondement essentialiste, mais bien le produit d'un mécanisme fondamental de différenciation sexuelle instaurée par un régime particulier d'organisation familiale : le système patriarcal dominant. C'est le patriarcat dans son organisation qui institue un clivage identitaire, statutaire et sexuel des individus.

    A l'exclusivité relationnelle des hommes envers les femmes répond la non-exclusivité relationnelle des femmes vis-à-vis des hommes, via la maternité et les réseaux de solidarités féminins.

    La remise en cause du patriarcat, en transformant les rôles et les positions des pères et mères au sein de la famille, peut donc avoir pour conséquence de sortir de ce cercle vicieux de la reproduction psychologique de la division sexuelle (à condition que les pères acceptent de « paterner » notamment !) et de rompre l'accès des hommes à l'exclusivité de leur désir.



    1 Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering: Psychoanalysis and the Sociology of Gender, University of California Press, 1999 (1979).


    2 Chodorow, p. 7.

    3 Ibid, p. 201.

    4 Ibid, p. 209.


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 18 Mai 2008 à 15:25
    héhé
    Je suis passé par là.
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