• rugby forever

    Je viens livrer ici une courte nouvelle  pour laquelle je portais beaucoup d'espoir de gains... et surtout l'occasion de me voir offrir une éventuelle place pour cette coupe du monde en France. En vain.  

    j'espère au moins que les quelques lignes qui suivent seront plaisantes

    Bonne lecture.

     

     

    La nuit s'assombrissait, des chants de victoire soudain emplirent les rues tandis qu'il s'élevait haut dans le ciel, au-dessus de la mêlée des hommes, ignorant de leur sort. Une concorde subite jaillissait du stade, de la ville, bientôt du pays tout entier. Il poursuivait sa course, seul, au-devant des étoiles. Il adorait ces rares instants où il flottait, aérien, au gré des desseins d'Eole et de la providence. Il contemplait le monde, il englobait le stade, il sentait la multitude des regards posés sur lui, comme un seul homme. Les passions et les désirs chahutés du quotidien des hommes s'évaporaient le temps d'un soir, le temps d'un instant, tous concentrés qu'ils étaient vers le même objectif, portés par le même espoir. Il se savait être le centre d'attention du monde, lui, si petit, si chétif, si banal ; il tenait sa revanche. Chahuté, bousculé, frappé, cogné, balancé, dégagé, contré, il subissait en silence depuis quatre-vingt minutes, sans rien laisser paraître, sans rien dire de sa souffrance, des coups, des larmes, du sang et de la sueur qui maculaient son cuir. Muet au sort du monde et aux guerriers du stade, il encaissait depuis plus d'une heure maintenant, stoïque. Son mutisme n'était pas un aveu de faiblesse, il nourrissait sa grandeur. Il ne craignait pas les coups, il n'avait pas peur en fait. Il attendait, c'est tout.  Il patientait dans l'ombre de ces guerriers robustes aux corps endurcis, épais, coriaces, à la volonté farouche, intrépide, presque sauvage. Il les voyait ces forteresses de muscles jouer leur partition, sur une symphonie longuement répétée. Droite, gauche, intervalle, mêlée, touche, portée, mêlée, vers l'avant, à droite, à gauche, etc. Une litanie de gestes, de pas, de coups, de mouvements, de passes abondamment travaillée depuis des mois, des années et qui devaient s'exprimer dans toute leur plus parfaite harmonie en cette nuit historique. L'armée jouait à l'unisson, aucune fausse note dans ce bataillon céruléen, les hommes ne faisaient qu'un. On aurait cru un mur d'eau marchant, courrant, cavalant sur le monde, déferlant sur son adversaire, charriant tout sur son passage, herbes, terres, barbes, cheveux, bras, jambes, maillots, shorts, espoirs, doutes, faiblesses, forces. Un mur étanche, imperméable, invincible se dressait fier et avançait vers l'ennemi du soir. Leurs corps aguerris offraient une partition aux accents de succès, les chœurs entonnaient leur opus, et le stade vibrait. L'univers semblait danser à l'unisson.

    Mais l'adversaire était vaillant, le combat devait se poursuivre longtemps encore. La beauté d'un match se mesurait à la grandeur de son adversaire, à sa farouche soif de victoire. Et celui-ci était véritablement affamé. Pendant plus d'une heure, il les observait, lui, spectateur privilégié au milieu du champ de bataille dans une véritable guerre des tranchées où celui qui avançait de trente mètres sur un assaut pouvait reculer d'autant la minute d'après. Des guerriers se faisaient face, murs impénétrables, à l'armure colorée et aux armoiries nationales. Il attendait le moment propice, où fuyant le champ de guerre, il viendrait caresser les étoiles.

    Il restait deux minutes. Il sentait sa gloire arriver. Le score était de parité. Le stade retenait sa respiration. L'air se faisait de plus en plus lourd, comme chargé d'électricité. Les combattants s'échinaient toujours, mais les coups faisaient plus mal, les souffles étaient plus rauques, les courses moins cinglantes, les mains plus tremblantes. Les regards disaient toute la hargne, la faim, l'indomptable des hommes, mais aux regards résolus se mêlait désormais une pointe d'angoisse.

    Des Dieux s'affrontaient ce soir, et l'Histoire déciderait bientôt des déchus et des glorifiés. Partout dans le stade, au-dehors dans les rues, du Trocadéro au Capitole, de Strasbourg à Bordeaux, dans toutes les villes du pays, partout sur les avenues, sur les trottoirs devant des terrasses improvisées, des millions d'yeux scrutaient la même lucarne, petite fenêtre luminescente qui livrerait bientôt sa vérité.

    C'était maintenant à lui de jouer. Recouvert de l'odeur suintante des corps épuisés par le combat, barbouillé du sang des heurts, écorché par les chocs, éreinté, abîmé, il lui fallait encore fournir sa bataille.

    Un dernier coup vint fondre sur lui, puissant, sec, bref et il décolla.

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    Les yeux se levèrent, les dizaines de caméras qui livraient leurs images au monde entier se dressèrent à leur tour, tendues vers lui, attentives à sa trajectoire, accrochées à ses plus infimes mouvements. Ignorant des destins qui se briseront ou se célébreront sur son passage, il s'enivrait du parfum de l'irréversible qui irradiait sur le stade. Il pouvait presque les sentir, tous, un par un, autant qu'ils étaient, ces trente guerriers posés sur le rectangle vert, ces quatre vingt mille spectateurs dressés sur leur places, et aussi ces millions d'hommes et de femmes, des plus jeunes aux plus âgés, anonymes parmi la foule infinie des téléspectateurs suspendus aux desseins de ce petit cuir qui s'élevait vers les cieux. La douleur disparut.  Il s'élevait. Il aurait voulu suspendre le vol du temps, arrêter son cours indéfectible, s'offrir à l'éternité dans l'instant de sa gloire éphémère. Mais la volonté ne peut rien contre les lois de la nature. Son heure de gloire serait brève, infime à la mesure de l'événement dans lequel il s'inscrivait. Son histoire s'ancrait désormais dans l'Histoire, il allait être avalé, dépassé, absorbé. Mais c'est dans cet infime étincelle d'existence, dans ces courtes secondes d'éternité arrachée au temps qu'il livrait sa vérité. Il frôla les étoiles, puis il plongea entre les poteaux. Des mondes s'effondrèrent, d'autres naquirent. Des clameurs par millions vinrent rompre le silence. Un coup de sifflet tonna au centre de l'univers. Des cœurs chavirent. Larmes, joies, cris, pleurs. Effervescence des sentiments. Communion.

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    Il restait là, sur ce petit pré vert qui venait de le faire roi, sans bouger, au milieu de la cohue des voix humaines qui montaient. Bientôt il le savait, on l'oublierait. Bientôt les lumières du stade se refermeraient sur lui. Il resterait là, seul, au milieu de ce petit rectangle de verdure, cuir moulu et épuisé apposé sur cette terre retournée, labourée par le souvenir des combats acharnés. Il pourrait alors mourir tranquille, dans la nuit noire qui l'envelopperait, celle-là même qu'il était allé toucher quelques heures auparavant, celle là même qui l'avait consacré.

    Dehors des sons de verres qu'on cogne, des cris de joie, des chants, des rires, beaucoup de rires.  Un petit cuir ovale mourrait en cette nuit historique. Il n'aurait pas souhaité meilleur sort. Les gladiateurs étaient partis, les Dieux du stade s'en étaient allés. Lui seul au milieu du stade, avec ses souvenirs, sa grandeur et sa chute. La tiédeur du match résonnait encore dans l'arène désertée. Les lumières crépitèrent, bientôt elles s'éteignirent. La nuit l'enveloppait maintenant. Un vent frais caressait son cuir légèrement terni. Sa mort l'offrait à l'éternité tandis qu'il se remémorait une dernière fois le combat acharné de ces monstres herculéens.


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