• Le ghetto français

     

    Je viens vous conseiller la lecture d'un ouvrage de sociologie (fait par un économiste) intitulé « Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social » publié en 2006 dans la Collection « La République des idées ». Essai très stimulant et très instructif sur la question du communautarisme et de la ségrégation sociale.

    L'auteur, Eric Maurin (économiste donc), commence par battre en brèche les idées reçues au sujet de la ségrégation sociale. L'idée selon laquelle la ségrégation correspondrait à la simple relégation de certains quartiers dits sensibles où se concentreraient l'essentiel des difficultés et des problèmes d'ordre sociaux (délinquance, violence, échec scolaire, pauvreté, chômage, précarité) n'est qu'une partie d'un problème beaucoup plus large.

    Il n'y a pas d'un côté – la grande majorité – des inclus, et de l'autre les exclus qui vivent en marge du système. Inclus et exclus appartiennent à une même structure sociale dans laquelle chacune des deux catégories interagissent l'une sur l'autre.

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    Le travail de recherche effectué par l'auteur repose sur deux constats essentiels et véritablement riches d'enseignement pour toute action politique qui voudrait agir sur la « mixité sociale » de manière efficace. Les deux idées maîtresse de l'ouvrage, empiriquement vérifiées consiste même à inverser les discours du sens commun (discours qui repose sur ce que Bourdieu appelait une « sociologie spontanée », c'est-à-dire une espèce de croyance sociale entretenue a priori sans vérification expérimentale et scientifique). En effet, l'idée répandue selon laquelle le repli sur soi serait la source première de la ségrégation est ici remise en question. Pour le dire simplement, ce n'est pas tant le communautarisme qui fait la ségrégation que le rejet et l'ostracisme qui induisent le repli communautaire.

    En outre, deuxième élément essentiel de l'analyse de l'auteur, qui encore une fois résonne comme un appel à la vigilance intellectuelle et aux raccourcis idéologiques trop rapides, celui-ci démontre, chiffre à l'appui que le communautarisme n'est pas tant l'affaire des plus démunis, de la France d'en bas, que celle des groupes sociaux les plus favorisés, de la France d'en haut.

    Pour l'auteur, le ghetto français comme il le nomme « n'est pas tant le lieu d'un affrontement entre inclus et exclus que le théâtre sur lequel chaque groupe s'évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés. » (p. 6.)

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    Sa thèse principale est la suivante: Pour lui, la ghettoïsation est avant tout le fruit d'une ghettoïsation élective par le haut de la société qui entraîne par effet report, une ghettoïsation subie par le bas. Ce qui explique entre autres l'inefficacité des politiques de la ville depuis le début des années 80 qui se concentrent sur une vision réductrice et faussée de la ségrégation, considérant celle-ci comme le résultat d'un appariement des pauvres entre eux. Or, casser les zones, reloger les gens ne fait que déplacer le problème qui est beaucoup plus général et qui renvoie à la morphologie sociale des territoires.

    Le diagnostic qui repose sur une lecture inclus/exclus est erroné. C'est l'ensemble du territoire qui est sclérosé, compartimenté.

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    Méthodologie 

    L'auteur pour répondre à sa thèse, va s'appuyer sur une méthodologie particulière. Il va reprendre les enquêtes Emploi de l'Insee. En effet, celles-ci mesure l'activité professionnelle des individus sur un recensement de 4000 lieux géographiques, auxquels s'adjoint un recensement du voisinage proche. (30 à 40 alentours). En disposant d'un échantillon représentatif de petits voisinages de 30 à 40 logements, l'auteur bénéficie d'un outil important de mesure de la répartition sociale de la population et de l'effet de mixité sociale.

    Pour calculer cette mixité/ségrégation, l'auteur observe la situation de voisinage étudiée qu'il compare à ne situation de mixité sociale idéale. L'écart constaté révèle la part de sélectivité, d' «entre-soi » de l'espace urbain, et donc plus généralement les formes de ségrégation sociale.

    <o:p> </o:p>Il en ressort que la société de l' « entre-soi » qui se développe tend à renforcer les inégalités sociales et les injustices sociales plutôt que les réduire. Pour l'auteur, cette recherche de l'entre-soi résidentiel est à comprendre comme une recherche de sécurité, une forme de « rassurance » sociale contre l'effritement du lien social, la fragilisation des relations sociales d'emplois notamment. On le constate avec les taux d'emménagement. Si ceux-ci restent élevés, si la mobilité continue d'être importante contrairement aux idées reçues (même si elle est en baisse), elle demeure enclavée. C'est une mobilité limitée. Ceux qui arrivent sont les mêmes que ceux qui sont installés, aussi bien dans les quartiers riches ou pauvres. (Ex de l'arrivée du TGV Est et la concentration des plus aisés dans les centres-villes, relégation des classes moyennes aux banlieues périphériques (pavillons, résidences).

    Ce communautarisme d'éviction de la part des groupes favorisés vis-à-vis des groupes les plus démunis, répond à la relégation sociale et professionnelle d'une frange de plus en plus importante de la population, qui en se liant ensemble, retrouve une forme de lien social plus horizontal lorsque le lien vertical semble faire défaut.

    Le communautarisme tel qu'il se développe en France est un communautarisme de protection en réaction à une situation de précarisation généralisée du marché du travail notamment. <o:p> </o:p>En conclusion, il s'agit de souligner que la ghettoïsation est davantage une conséquence, une réponse à la stigmatisation des élites, une forme de communautarisme d'attente de la part des plus démunis qu'une construction volontaire d'un espace sécessionniste, de mise à l'écart, d'exclusion. C'est davantage en réaction à la stigmatisation des « inclus » que les plus démunis se regroupent entre eux, sachant toutefois que si cette forme de ségrégation reste la plus visible (socialement la moins admissible, car elle est porteuse de toutes les inégalités), elle est aussi plus diffuse. La concentration des pauvres est davantage a appréhendé comme une conséquence de la ghettoïsation des riches que le contraire.

    Contrairement aux idées reçues encore une fois, ce sont dans les couches populaires que l'on constate que la mixité est la plus forte. L'entre-soi est beaucoup plus prégnant chez les riches que chez les pauvres. Les réseaux d'information, de communication, de solidarité sont aussi plus faibles, les liens de sociabilité plus restreint.

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    Ainsi, ce petit livre d'une centaine de pages, bien construit, solidement étayé, très bien écrit dans un style et une syntaxe accessibles est un véritable stimulant pour la réflexion et la compréhension plus générale des modalités de fonctionnement de nos sociétés contemporaines et des injustices sociales grandissantes.

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