• En quoi Keynes en ayant tort a eu raison...

       Selon l’approche keynésienne, si le salaire est un coût il est également un revenu. Pour les libéraux, il n’est qu’un coût supplémentaire supporté par les entreprises et il s’agit alors de le réduire au minimum afin de satisfaire les exigences patronales ; pour Keynes, il est aussi une source de revenu qui permet de consommer, et partant de là, assurer un certain niveau de production.

    Pour simplifier, l’approche classique (néo-classique ou libérale) pense que l’offre crée sa propre demande. Si les salaires baissent, l’offre d’emploi augmentera et les coûts de production diminueront, créant les conditions favorables à une diminution des prix et au retour du plein-emploi. Ce dernier conduisant à son tour à une revalorisation salariale pour faire face à la pénurie de main d’œuvre. Ainsi, le jeu de l’offre et de la demande permet de maintenir l’équilibre en permanence, sans intervention extérieure.

    Pour Keynes, c’est la demande qui crée les conditions de l’offre. Si les salaires baissent, la demande de consommation diminuera d’autant et c’est le volume de production qui sera amené à se réduire. Ce faisant, le niveau de l’emploi diminuera, créant les conditions d’une situation de chômage, donc de déséquilibre sur le marché du travail. Pour y remédier, il faut donc augmenter les salaires, ce qui entraînera une reprise sur le marché des biens et des services, propices à accélérer la reprise de l’activité économique et du retour du plein-emploi.

    Comme on le voit, les deux analyses diffèrent sensiblement. Pour les premiers, nulle intervention est nécessaire, puisque le marché se régulera de lui-même et retrouvera son équilibre.

    Pour les keynésiens, le marché est susceptible de dysfonctionner et d’entraîner une augmentation du chômage car celui-ci est fortement lié au marché des biens et des services. Ce faisant, il faut intervenir sur le marché par un politique d’augmentation des salaires pour relancer l’activité de consommation, donc de production, donc l’emploi.

     

    A la lecture de la crise actuelle que pouvons-nous en conclure ?

    Que Keynes a eu tort. Effectivement, le taux de sous-emploi endémique qui touche la France depuis les années 80 n’a pour autant pas enrayé l’inflation consumériste de la population. De même aux Etats-Unis où la compression salariale a été beaucoup plus marquée, la croissance s’est maintenue, grâce à la consommation des ménages essentiellement. A priori, les salaires sont certes un revenu, mais avant tout un coût. Puisque les pays anglo-saxons ont réduit le coût du travail et permis ainsi un taux de chômage beaucoup plus faible que la France où le coût du travail est resté plus élevé, avec un niveau de chômage également plus marqué. Mas pour l’ensemble de ces pays, la consommation des ménages n’a pas faibli.

    On en arrive ainsi à la conclusion qu’il semble préférable d’adopter le point du vue libéral qui considère que la réduction du coût du travail est un moteur pour l’emploi et la croissance, car le niveau de chômage y est plus faible que chez nous sans que la consommation des ménages n’ait diminué.

    Donc Keynes a eu tort…fin de discussion !

     

    Mais est-ce aussi simple ? Regardons y de plus près à l’aide de la crise qui sévit actuellement. D’où provient la crise actuelle ? De la crise des subprimes, elle-même provenant de la crise de l’endettement massif des ménages américains. En réalité, ce qui s’est passé ces vingt dernières années, c’est le maintien artificiel du pouvoir d’achat des ménages américains via le recours à l’endettement.

    Les libéraux ont tout compris : le salaire est un coût, certes, mais il est aussi un revenu. Il s’agissait de trouver un moyen efficace de maintenir le salaire-revenu tout en diminuant le salaire-coût. La solution miracle adoptée fut simple et vieille comme le monde (déjà Aristote en parlait en terme négatif sous la forme de la chrématistique) : le crédit. C’est-à-dire le prêt d’argent en échange d’une promesse de remboursement avec intérêt. La solution était triplement bénéfique :

    • pour les entreprises, qui voyait le coût du travail diminué

    • pour les ménages qui pouvait maintenir leur niveau de consommation

    • pour les institutions financières (banques) qui créaient ainsi de la richesse avec la promesse de voir leur fonds propres croître

     

    En facilitant l’accès au crédit, les banques ont permis aux ménages de continuer à consommer au même rythme qu’avant, voire même davantage, pendant que les entreprises diminuaient le coût du travail. Si les ménages ne s’en sont pas émus plus que cela au départ, c’est parce qu’ils ont été incités à s’endetter. Et il existe toujours un laps de temps plus ou moins important entre le moment où l’argent est disponible et celui où l’on vous demande de rembourser, qui plus est, avec intérêt !

     

    Keynes avait raison, mais il n’avait pas prévu que son modèle pourrait être détourné en remplaçant le salaire par le crédit. Précisons que le crédit n’est pas une mauvaise chose en soi : il permet d’acheter des biens immobiliers, d’accéder à la propriété, etc. il devient dangereux à partir du moment où il se substitue au salaire, c’est-à-dire lorsqu’il devient le garant du pouvoir d’achat.

    En revanche, ce que ce nouveau modèle de société, basé sur l’endettement soigneusement entretenu n’a pas prévu, ou n’a pas voulu voir, c’est son incongruité à long terme, son impossibilité même de succès. A terme, s’il y a plus de monnaie virtuellement créée en circulation qu’il n’y en a effectivement, il arrive un moment où le trou doit être comblé. Et plus le temps passe, plus le trou se creuse.

     

    En effet, qu’est-ce qu’un crédit sinon le prêt d’argent. Encore que le mot prêt peut être trompeur, tant il laisse penser que les deux parties sont en situation d’égalité réciproque. Si un ami me prête un DVD, j’accepte de le rendre ensuite, sans qu’il m’en coûte rien. En revanche, dans le cadre du prêt d’argent, celui-ci est toujours prêté avec intérêt, autrement dit c’est un prêt marchand, plus précisément une location d’argent.

    Le crédit, c’est l’achat différé dans le temps d’une somme d’argent disponible immédiatement. Et contre cette généreuse et nécessaire offre d’argent, il convient de fixer un prix pour le service rendu : c’est l’intérêt. Les intérêts correspondent au prix de l’argent avancé et au service rendu par la banque. Ce service s’apparente à un risque. La banque crédite votre compte d’une certaine somme sans avoir la certitude absolue que vous puissiez lui rendre, c’est pourquoi elle ne le prête que sous certaines conditions (normalement !).

    Ce risque est évalué sous forme monétaire et contribue à définir le taux d’intérêt du prêt accordé. En réalité, l’intérêt est le prix du risque.

     

    Or, à la différence d’un salaire qui est la propriété du salarié, le crédit est la propriété de la banque. Faciliter l’endettement des ménages tandis qu’on réduit la progression des salaires, c’est donc contribuer à exproprier l’individu ! Le développement du crédit est une forme d’expropriation moderne de l’individu ; chose que la crise des subprimes a tristement soulignée.

    En outre, augmenter l’endettement, c’est également augmenter les traites et les sommes à rembourser. C’est donc exproprier une partie même de la propriété de l’individu : c’est prendre sur son salaire pour le remboursement du risque pris par la banque. Le crédit est une forme de création de plus-value au sens marxiste du terme, plus-value sur la propriété. La banque prête une partie de ses fonds propres, pour à terme récupérer ces fonds et s’approprier une part supplémentaire sous forme d’intérêts. Notre salarié s’appauvrit à long terme en croyant s’enrichir à court terme. Puis la crise économique suit et la consommation en pâtit.

    Où l’on démontre bien comment Keynes en ayant eu tort a eu raison.


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  • Commentaires

    1
    Samedi 9 Mai 2009 à 14:44
    Endettez-vous qu'ils disaient !
    Endettez-vous qu'ils disaient !
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