• les deux grandes théories du chômage

    Il existe deux grandes approches au sujet de l'explication du phénomène du chômage. La première approche (celle qui domine depuis le début des années 80) d'orientation libérale consiste à dire que le chômage résulte des défaillances du marché du travail. En d'autres termes, s'il y a chômage, c'est parce que l'offre et la demande de travail ne sont pas équilibrées. Et pourquoi ne sont-elles pas équilibrées ? Parce que le marché est régulé de l'extérieur par tout un ensemble d'acteurs et d'institutions qui empêchent au marché du travail de fonctionner convenablement, c'est-à-dire sans entrave.


    Ces « empêcheurs de marché en rond » sont plus exactement au nombre de trois :


    -        l'Etat qui institue un salaire minimum (SMIC) et ce faisant qui élimine du monde du travail des salariés dont la productivité serait inférieure à leur coût salarial pour les entreprises. L'Etat encore une fois qui fait peser des charges patronales et sociales trop lourdes sur l'emploi, ce qui a pour effet de réduire le niveau de l'emploi.


    -        Les syndicats qui empêchent les patrons de flexibiliser la main d'œuvre lorsque la conjoncture est néfaste ou qui refuse toute diminution de leur quantité de travail, et/ou de leur salaire.


    -        Enfin, les systèmes d'indemnisation du chômage qui seraient trop élevés et qui inciteraient les agents à privilégier le chômage au travail (Pour preuve s'il l'en est besoin : il y a environ 300 000 emplois qui ne sont pas pourvus en France alors que le niveau de chômage est particulièrement élevé).

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    Cette approche part donc de l'idée selon laquelle le chômage résulterait des dysfonctionnements du marché du travail ; dysfonctionnements qui seraient de la responsabilité de l'Etat et des salariés eux-mêmes. Ce faisant, s'il y a chômage, ce chômage est « volontaire » (on parle aussi de chômage classique en référence à la théorie classique et néoclassique de l'autorégulation des marchés). En effet, si on laissait le marché du travail libre d'entrave, l'offre et la demande s'équilibreraient à court terme en faisant jouer les prix  à la baisse ou à la hausse, de telle sorte que le chômage résiduel serait un simple « chômage frictionnel » (c'est-à-dire un chômage qui correspond au temps nécessaire de réallocation d'emploi suite à sa perte). L'hypothèse néoclassique repose donc sur l'autorégulation des marchés et sur la flexibilité des prix qui permet le retour rapide à l'équilibre.


    En outre, cette théorie s'appuie donc sur le postulat d'efficience du marché du travail. Ainsi sans intervention extérieure, le marché s'autorégulerait de lui-même. En période de croissance, la demande de travail serait plus forte (celle qui émane de l'entreprise) et donc l'offre de travail serait plus satisfaite. Ce faisant, l'offre allant en se réduisant (tous les actifs ayant un emploi), la demande serait  excédentaire (manque de main d'œuvre sur le marché de l'emploi). Dès lors, la production diminuerait, et avec elle diminuerait progressivement les profits. La demande de travail ralentirait, l'offre et la demande s'équilibreraient alors (à moins de débouchés extérieurs et de main d'œuvre étrangère).


    A l'inverse, en situation de récession, l'offre de travail est excédentaire. La demande de travail est alors faible. Les employeurs sont donc amenés à diminuer les salaires (coût du travail) afin de relancer leur production et leur profit. Ce faisant, en diminuant le coût du travail, ils pourront plus aisément embaucher davantage de travailleurs. L'offre de travail viendrait alors égaliser la demande via une baisse des salaires. On retrouverait un équilibre walrassien (de Léon Walras, théoricien de l'équilibre néoclassique) à la baisse.

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    Mais le marché est-il véritablement autorégulé ? En dehors de tout interventionnisme, aurait-on un niveau de plein-emploi de l'économie ? Rien est moins sûr. En effet, le travail contrairement à d'autres biens n'est pas une marchandise comme les autres. Il ne s'échange pas aussi simplement sur un marché du travail séparé des autres sphères de l'activité économique (marché des biens et des services et marché des capitaux). C'est ici qu'apparaît la seconde approche. Cette dernière, d'orientation interventionniste ou keynésienne (du nom de John Maynard Keynes, qui l'a théorisée) montre comment le marché du travail est lié aux autres marchés. Il va montrer que la loi de l'offre et de la demande (dite aussi « loi des débouchés » théorisée par Jean-Baptiste Say, néoclassique) ne conduit pas à un équilibre de plein-emploi des facteurs de production.


    En effet, la fonction d'offre de travail pour Keynes est en partie insensible au prix. Les agents ont nécessité de travailler (économiquement, socialement, culturellement). Mais surtout, ce qui fait la spécificité de Keynes, c'est qu'il montre que le travail n'est pas qu'un coût (pour l'entreprise) mais aussi un revenu. Ainsi, si l'offre de travail est excédentaire par rapport à la demande, une diminution des salaires réels (coût réel du travail) des travailleurs permettrait de rétablir l'équilibre offre/demande sur le marché du travail pour les néoclassiques. Le travail étant moins cher, l'employeur pourrait en employer davantage et améliorer ses profits, donc sa production. Or, nous dit Keynes, le salaire est aussi un revenu, c'est-à-dire qu'il permet aussi de consommer. Or, le niveau de consommation dépend du pouvoir d'achat des agents, autrement dit de leur revenu, c'est-à-dire pour une grande partie d'entre eux, de leur salaires. Si celui-ci diminue, l'excédent de production créé par les entreprises ne trouverait pas à s'écouler faute de débouchés, à moins d'ouvrir aux débouchés extérieurs (comme cela semble être le cas de l'économie allemande depuis quelques années, mais c'est un autre problème). Si l'excédent de production ne trouve pas à se vendre, faute de consommation suffisante, les entreprises vont devoir diminuer leur prix de vente. Or, à court terme on sait que les prix sont relativement rigides (peu de variation) contrairement à l'hypothèse néoclassique (qui reste vraie à long terme). On fait plutôt jouer les quantités. On réduit alors la production, et ce faisant on réduit le nombre de travailleurs. On a alors une production qui s'écoule « correctement » avec un équilibre de sous-emploi. L'hypothèse néoclassique de l'équilibre de plein- emploi ne tient plus la route.


    Pour le dire plus simplement, la demande de travail n'est pas insensible au niveau des salaires (ce qui rejoint l'hypothèse néoclassique) mais elle est avant tout et fondamentalement déterminée par le niveau de ce que Keynes appelle la « demande effective », c'est-à-dire la demande anticipée par les entreprises. Celle-ci  est elle-même déterminée par la demande des ménages en biens de consommation et la demande des entreprises en investissement.


    Selon cette approche, il est donc possible d'avoir des équilibres de sous-emploi, puisque le niveau de l'emploi ne découle pas du seul marché du travail et de la confrontation entre l'offre et la demande de travail, mais des équilibres qui existent également sur le marché des biens et des services (offre : quantité produite / demande : consommation effective) et sur celui des capitaux (offre : taux d'intérêts /demande : investissement). Une baisse des salaires peut même avoir pour effet d'aggraver le sous-mploi selon les keynésiens. La baisse des salaires va déprimer la consommation des ménages, et par suite elle risque d'induire une spirale déflationniste. Moins d'emplois et moins de consommation, donc moins de profit, moins d'investissement, moins de production et moins d'emplois : cercle vicieux.


      Dans ce cas, seule l'intervention de l'Etat peut remédier au problème par une politique de relance de la demande (soit en facilitant l'investissement des entreprises, donc en agissant directement sur le niveau de production et le niveau de l'emploi, soit en augmentant les capacités de consommation des ménages, ce qui va faire augmenter par suite la production, donc l'emploi). On est donc loin de la vision idéalisée d'un marché autorégulé qui tendrait de lui-même vers un équilibre optimal (au sens de Vilfredo Pareto).  Dans cette vision, les problèmes du chômage ne sont donc pas directement liés aux dysfonctionnements du marché du travail, mais ils proviennent avant tout du niveau de la demande globale. A ce titre, le chômage n'est pas lié à une confrontation faussée entre offre et demande de travail, il n'est donc pas « volontaire ». On parle donc de « chômage involontaire » ou de chômage keynésien pour définir ce type de situation de sous-emploi.


    La question que l'on peut raisonnablement se poser est de savoir laquelle de ces deux approches est la plus proche de la réalité économique ? Laquelle s'avère être empiriquement démontrée ? En fait, les deux approches doivent être prises en compte dans une analyse transversale.  Chômages volontaire et involontaire coexistent aujourd'hui au sein des économies occidentales.

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    (La suite dans ma prochaine contribution : j'analyserai les différentes propositions soulevées par l'analyse libérale pour réduire le chômage et qui sont celles qui font l'enjeu de la future présidentielle : suppression du salaire minimum, flexibilisation plus grande du travail, diminution des charges patronales, diminution de l'imposition sur le travail, diminution des allocations chômage, etc. en les confrontant à des situations empiriques et aux conclusions tirées de ces expériences)


  • Commentaires

    6
    sydney
    Samedi 2 Octobre 2010 à 17:51
    theorie du chomage
    merveilleux ce texte. mais j'aimerais avoir le plus vite possible toutes les analyses des grandes theorie du chomage.
    5
    idriss
    Jeudi 10 Septembre 2009 à 18:42
    question
    quelle theorie pour expliquer le chomage des femmes
    4
    moi
    Mercredi 15 Avril 2009 à 22:15
    merci
    Cela m'interesse beaucoup, sans savoir si c'est vrai ou non, c'est en tout cas mon cours de bts sur le chomage. Moi qui n'avais pas bien compris, voila que ça deviens plus clair, donc merci beaucoup.
    3
    Mardi 6 Février 2007 à 18:37
    mouaip
    Ces théories libérales reposent sur un paquet d'hypothèses délirantes. La concurrence maximiserait les profits (Elle minimise au mieux les pertes, voir Nash and co). L'information serait disponible à tous et partout en même temps. Il y aurait une égalité (et une liberté égale) lors d'un contrat de travail entre un employeur et un employé. Et j'en passe... Ca ne tient pas la route et ça ne reflète pas la vraie vie où les les entreprises recherchent sans cesse les situations monopolistiques ou de rente, où l'information et le plus précieux des biens et le moins partagé. Les économistes libéraux (je dis bien économistes et pas politiciens ou autre lobby) ne défendent plus leurs théories parfaites démentes. Mais c'est vrai qu'à écouter nos divers candidats parler de leurs programmes économiques, l'impression est grande qu'ils n'ont pas dépassé les théories classiques et néo-classiques. Idem pour le FMI, la banque mondiale ou la commission européenne.
    2
    Mardi 6 Février 2007 à 12:29
    Euh...
    sans être un spécialiste de l'économie, je pense que ces deux théories sont dépassées et ne font même plus partie du débat: il y a un large consensus, déjà ancien, parmi les économistes les plus en vue, pour dire que le marché du travail ne s'auto-régule pas naturellement, alors que par ailleurs l'action régulatrice de l'Etat n'a pas les vertues qu'on lui prête et amplifie parfois les effets pervers qu'elle était censée corriger. Donc, d'après ce que j'ai compris, les débats actuels portent sur les types d'intervention ou de régulation de ces marchés, dont celui du travail, qui sont aujourd'hui perçus comme complexes. Il n'y a plus guère d'opposition de principe entre les tenants de l'interventionnisme et ceux du non interventionnisme. De ce point de vue, le débat est moderne. Enfin, s'est modernisé. Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre dans ce que j'ai entendu ou lu. Non?
    1
    Samedi 3 Février 2007 à 12:29
    first comment
    Bien, bien. Je vais lire tout ça. Je n'ai pas encore eu le temps de m'intéresser à ta prose. Ceci étant, je suis intéressé. Je viens de refaire le tour des classiques de Say et Ricardo à Hayek et Friedman. Autant dire que je n'ai jamais été autant au courant des théories que je ne soutiens pas. A+, nico
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