• le socialisme de A. Gorz

    Andre Gorz, décédé il y a quelques mois, était un philosophe français, intellectuel résolument engagé, socialiste, fondateur du mouvement d'écologie politique, qui s'est efforcé de décrire dans ses nombreux ouvrages le mode de fonctionnement du système capitaliste et ses évolutions contemporaines qui tendent à circonscrire l'ensemble des rapports sociaux et des institutions sociales (Ecole, Etat, Entreprise, mais aussi Famille, loisirs, etc.) en rapports de type économistes, c'est-à-dire axés sur la recherche de la maximisation de  l'intérêt particulier et sur la rentabilité.

    La thèse centrale qu'il développe dans son œuvre Capitalisme, Socialisme, Ecologie[1], recueils de textes et de conférences sur la fin du socialisme bureaucratique, centralisé, autocratique et répressif, est celle des mutations nécessaires pour le passage vers une autre forme de socialisme qu'il appelle de ses voeux et qu'il essaie de formuler autour de la question du respect de l'autonomie individuelle. Un nouveau socialisme est possible aujourd'hui, non pas un socialisme traditionnel considéré comme collectivisation des moyens de production et des forces productives, et planification des besoins et des désirs collectifs, mais un socialisme libertaire, réformateur, qui réfute toute idée d'unification des sphères sociales (industrie, culture, presse, loisirs, etc.) mais laisse à chacune d'elle sa propre sphère d'activités autonomes, et qui par conséquent reconnaît le droit d'exister au capital, et donc à la propriété privée des moyens de production.  Il définit les contours d'un nouveau type de socialisme, qui n'ait ni les moyens de contrôler ni ceux de définir l'activité productive (il démontre par ailleurs très bien les défauts d'un tel système et son penchant autocratique et répressif) mais qui soit une construction politique et sociale d'orientation, de guide pour l'activité économique. Ce que défend l'auteur en réalité, c'est une inversion radicale du modèle économique capitaliste. Critique vis-à-vis du capitalisme, il reconnaît néanmoins que celui-ci a apporté un mieux-être même s'il ne doit pas constituer une fin en soi.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>De la production des besoins...
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    En effet, aujourd'hui, le capitalisme fonctionne selon un schéma d'apparence libertaire et émancipateur mais qui est en réalité profondément aliénant et uniformisant. Fonctionnant selon un mécanisme de marché, le capitalisme a besoin pour survivre et perdurer (donc grossir) de toujours innover et de renouveler son offre ; en cela il est consubstantiel à l'idée de mouvement, d'instabilité, de mobilité. Mais il ne peut exister sans une création permanente de nouveauté. A ce titre, le système social capitaliste fonctionne comme une machine à produire des besoins afin de pouvoir écouler ses « besoins » produits auprès de consommateurs demandeurs de ces besoins.

    Ainsi, tel qu'il fonctionne, le capitalisme économique crée des besoins et des désirs auxquels souscrivent inconsciemment (pas toujours) les hommes. La satisfaction narcissique n'est alors jamais acquise, car la machine produit en permanence de nouvelles sources de frustration, donc de nouveaux désirs, et par conséquent de nouveaux plaisirs de consommation. A peine un besoin est satisfait qu'un autre est crée, et ainsi de suite.  Ce que Gorz critique fermement c'est cette création négative, cette illimitation factice des besoins mise au service de l'économie. Or, c'est un cercle vicieux, à la manière de Sisyphe contraint à pousser indéfiniment son rocher sur la montagne, et qui, pensant être arrivé au terme de son supplice, doit recommencer encore et encore.

    L'image n'est pas de trop : c'est exactement le même schéma qui gouverne aux sociétés capitalistes : créés de toutes pièces par la sphère de production, les nouveaux produits deviennent de nouveaux besoins, qui doivent être libidinalement satisfaits par la consommation et qui retournent donc dans la chaîne de production qui peut alors en fournir de nouveaux, etc.

    Ainsi, en économie capitaliste, on a en amont la production, en aval la consommation, mais en réalité consommation et production participent de la même stratégie capitaliste globale : la création fictive de besoins par une entreprise délibérée de contrôle des désirs et des émotions, tendant à l'uniformisation des comportements individuels.  Pour le dire plus simplement, si le capitalisme émancipe l'individu de la nécessité, c'est pour mieux l'enchaîner au besoin.
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    Comment en-est on arrivé là s'interroge l'auteur ? Pour lui, la réponse est simple : c'est l'autonomisation progressive de l'économie des autres sphères (politiques, sociales, culturelles, etc.) qui a conduit à cette inflation des besoins. L'autonomie du capital a conduit à différé les besoins : au petit paysan qui assurait sa propre récolte pour sustenter à ses besoins succède au XIX l'ouvrier prolétaire de l'industrie qui produit afin de pouvoir acheter sur le marché des biens et des services ce dont il a besoin pour vivre. Les besoins et leurs satisfactions sont déconnectés, ils sont déliés avec l'autonomisation du capital. C'est lui qui fournit (produit) les biens de l'extérieur. L'autoproduction assurait la satisfaction des besoins essentiels. Une fois cette production des besoins émancipés des individus, le système capitaliste a alors pu mettre en place de nouveaux besoins. Une fois autonomisée de la sphère sociale, la création des besoins a pu dépasser celle des seuls besoins réellement ressentis pour ouvrir tout un espace de besoins fictifs, superflus. Mais c'est justement aujourd'hui ce superflu qui fait l'essentiel. Quel intérêt « vital » ai-je à posséder un 16/9 ? J'ai beau le savoir, la possession d'un 16/9 m'emplit de satisfaction. Mais à peine ai-je le temps de contempler mon produit (de sustenter mon besoin, de complaire à ma satisfaction narcissique) qu'un autre besoin/désir m'appelle, etc.

    Ainsi, il constate que le capitalisme privilégie un développement selon un modèle de rationalisation unique de type instrumental qui s'étend bien au-delà de la seule sphère économique et de l'Etat mais qui se diffuse également au cœur de la famille et de nos vies privées (toutes nos actions, nos comportements doivent servir un intérêt particulier, doivent remplir une utilité fonctionnelle, donc être « rentable »), au détriment dit-il de la rationalité « morale-pratique » et « esthétique-pratique » (l'agir par conviction, par principes, par sensibilité).

    <o:p> </o:p>...aux besoins à produire.
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    André Gorz milite pour un socialisme nouveau, véritablement émancipateur (donc bien loin du socialisme réel tel qu'il s'est historiquement constitué), dans lequel les besoins et les désirs seraient premiers, et où l'économie serait au service de leurs satisfactions. On assiste à  inversion du processus productif, où ce n'est plus l'économie qui fixe et oriente les désirs, mais où ce sont les désirs et les besoins individuels qui fondent et orientent l'activité productive. Pour lui, « il s'agit de rattacher les finalités de l'économie à la libre expression publique des besoins ressentis, au lieu de créer des besoin à la seule fin de permettre au capital de s'accroître et au commerce de se développer[2]. »  Sur cette approche consumériste de la sphère de production, on peut se référer aux célèbres et magistraux ouvrages de Jean Baudrillard sur Le système des objets et La société de consommation.

    Dans le nouveau socialisme que Gorz appelle de ses voeux, l'homme gagne en liberté,  son autonomisation n'est plus alors instrumentalisée dans le sens d'un utilitarisme économique, elle est davantage axée sur des considérations morales, humanistes, loin de tout utilitarisme institué.

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    Il pose en définitive la question de savoir si un nouveau monde est possible, un monde où l'action sociale engagée ne le serait pas dans un souci exclusif de rentabilité marchande, mais dans le sens d'une « qualité de vie optimale ». Cela nécessite bien évidemment une transformation en profondeur de nos modes de production et des rapports sociaux. A cette question, Gorz essaie d'y répondre en trouvant paradoxalement dans le système capitaliste lui-même les sources éventuelles de cette transformation sociétale et économique.

     On le voit, Gorz ne milite pas pour la disparition du capital, mais pour celle du capitalisme, véritable dogme, pierre angulaire de notre système idéologico-politico-économico-social. Oui à la conservation de la sphère économique, autonome, distincte, séparée de la sphère étatique, mais tout en orientant celle-ci vers une finalité anti-utilitariste et anti-productiviste. Mais une finalité humaniste, tournée vers l'épanouissement véritable de l'homme.

    <o:p> </o:p>Les bases du socialisme nouveau
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    Pour cela, il expose rapidement quelques uns des points essentiels qui permettraient de fonder les bases de ce socialisme du XXIème siècle :

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    1.      subordination de la rationalité économique à la rationalité écologique et sociale, car la maximisation du profit personnel et le renouvellement incessant de produits/besoins/désirs sont incompatibles avec les formes nouvelles du socialisme libérateur.

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    2. Nécessité d'autolimitation des besoins avec le développement de l'auto-production et du « temps choisi » (contrairement au temps libre qui est en réalité qu'un temps de cerveau disponible pour Coca-Cola, donc pour l'entreprise de subversion des besoins)

    Cette autolimitation des besoins est considérée par l'auteur comme la reconquête de l'autonomie par et pour l'individu, qui nécessite par ailleurs une diminution progressive du temps de travail et une augmentation parallèle des activités autodéterminées, qu'elles soient collectives, communautaires, ou individuelles. Il prône notamment la mise en place d'unités de production sous forme de coopératives.

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    3.  Le socialisme qu'il défend n'est pas seulement un socialisme de « captivité » de l'économie aux besoins et aux valeurs de la société, mais il est aussi la création d'une sphère de « mise en commun communautaire, de coopération volontaire auto-organisée, d'activités auto-déterminées de plus en plus étendues » rendus possible avec la baisse du temps de travail. L'engagement associatif, militant, auprès d'ONG, de mouvements écolo, etc. reposent sur cet aspect : engagement libre et volontaire, auto-organisé, collectifs, etc.

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    4. Enfin, pour rendre tout cela possible, il faut arrêter de fixer le revenu sur le seul temps de travail productif, et même d'une manière plus large sur la durée de travail quel qu'il soit (productif, domestique, intellectuel, etc.)  L'auteur est pour l'instauration d'un revenu social garanti qui puisse permettre à l'individu de s'engager dans des actions associatives, de ne plus être stigmatisés par l'absence d'emplois, que le chômage ne soit plus synonyme d'identité en creux, etc. le revenu serait lié au travail productif certes, mais également aux activités annexes. A ce titre, F. Bayrou avait il me semble en son temps, proposé un système de rémunération pour l'engagement associatif notamment afin d'éviter la stigmatisation des publics précaires et des chômeurs entre autres. Et bien montrer que l'utilité sociale d'un individu ne se limite pas à son utilité économique et productive, mais prend en compte aussi son activité morale.

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    [1] André Gorz, Capitalisme, Socialisme, Ecologie, Désorientations/Orientations, Paris, Galilée, débats, 2001.

    [2] A. Gorz, p.31.



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  • Commentaires

    1
    Mercredi 5 Mars 2008 à 10:39
    L'immatériel
    Tu devrais aussi lire "L'immatériel" qui étudie le capitalisme cognitif est ses conséquences sur le capitalisme réel. C'est très intéressant.
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