• le racisme moderne

    D'un racisme à l'autre
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    Les médias, relais de l'opinion politique (populiste ?) de ce pays, nous laissent penser que l'immigration serait un frein pour l'emploi. Plus exactement, ils se font l'écho de discours et d'idées politiciennes selon lesquels la France ne serait plus en mesure d'accueillir des migrants en nombre important à cause de son taux de chômage relativement élevé, ce qui l'empêcherait de fournir un emploi et des revenus suffisants à ces populations. Qu'à défaut de travail, ils seraient pris en charge par l'assistance publique et la protection sociale, sans contrepartie positive pour l'Etat, et a fortiori pour la collectivité.


    Ce discours n'est pas nouveau. Relayé par le Front national depuis sa création, il semble néanmoins gagner du terrain sur l'ensemble de l'échiquier politique, de droite comme de gauche, ce qui est plus inquiétant. Car derrière ce discours de façade, c'est à une nouvelle forme de racisme latent qu'on assiste : aux thèses biologistes et évolutionnistes aujourd'hui dépassées, se substituerait un racisme nouveau. A l'image des délinquants, ces jeunes des quartiers « issus de l'immigration » (mais quid de la délinquance en cols blancs ?), l'immigré concentrerait à lui seul l'ensemble des maux dont souffrent nos sociétés : perte de l'autorité, insécurité, pauvreté, exclusion, mal-logement, délinquance. Bouc- émissaire idéal (parce que « autre »), il constituerait le bourreau de nos difficultés présentes. Je sais la thèse appartenir au Front national ( mais qu'attendre d'autre d'un parti d'extrême droite, il est là dans sa logique électorale et idéologique), mais l'inquiétude se propage quand elle est reprise par des partis démocratiques au pouvoir.


    Un racisme latent fait son apparition dans le champ social et politique, un racisme qui tente de faire de l'étranger un opportuniste en puissance, attiré par le seul appât du gain. Sorte de passager clandestin du navire Europe.


    D'ailleurs cette idée de « passager clandestin » a été développée par un auteur resté célèbre à ce sujet. Pour M. Olson, tout porte les individus à ne pas s'engager dans une mobilisation collective, s'ils savent que celle-ci leur apportera des bénéfices qu'ils y participent ou pas. Ils montrent comment une action collective peut ne pas aboutir pour cette raison. En effet, si une mobilisation syndicale se déclare dans une entreprise pour une revalorisation des salaires, cette revalorisation vise à toucher l'ensemble des salariés. Pourquoi alors aller risquer de faire grève et donc de perdre une partie de son salaire, si on sait que les autres en faisant grève vont me permettre d'obtenir un meilleur salaire ? En fait, tout se passe comme si l'individu faisait un calcul rationnel visant à maximiser son profit (augmentation du salaire) en minimisant son coût (grève). Appliqué à un individu, cette situation n'est pas préjudiciable au mouvement de mobilisation. Mais appliqué à un grand nombre d'individu, l'agrégation des conduites individuelles risque de faire en sorte que la mobilisation collective n'ait pas lieu, ou alors soit de faible ampleur, insuffisante pour faire accepter leurs revendications salariales[1]. Cette situation particulière que Mancur Olson a mis en lumière dans les cas d'action collective, il lui donne le nom de « passager clandestin ». En effet, celui-ci tire les profits de l'action sans en avoir à payer le coût, un peu comme le passager d'un train qui n'aurait pas payer son billet (qui prend le risque de se faire prendre, certes et donc de perdre l'avantage de sa situation, ce qui n'est pas le cas au niveau des mobilisations collectives) mais qui tire profit du transport pour se rendre à destination.


    Ainsi, de la même manière que l'individu peut agir comme un « passager clandestin » dans le cadre d'action collective, l'étranger se conduirait toujours ainsi. Il chercherait à maximiser ses profits sans avoir à payer le moindre coût ? Cette vision réductrice de l'immigré comme homo oeconomicus (rationnel et opportuniste) est dangereuse : elle laisserait penser que l'immigré n'est qu'un « passager clandestin » qui vient tirer profit des richesses du Nord sans contrepartie. En outre, la sémantique accolée à cette théorie assigne encore un peu plus la rhétorique à la figure de l'étranger. L'image du clandestin renvoie presque toujours dans nos imaginaires occidentaux à la figure de l'autre, à celle de l'étranger. Ce sont les coupables qui se cachent et qui se murent, jamais les innocents. A ce titre, ne dit-on pas qu'un innocent n'a aucune raison de s'enfuir, à moins qu'il ait de bonnes raisons de le faire ? Et quelles sont ces bonnes raisons, sinon celles qui consistent à avoir quelque chose à cacher, donc d'être en partie coupable ? Un innocent qui se cache devient donc un coupable.  De la même manière, un clandestin est toujours plus ou moins considéré d'un œil suspect.

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    Un clandestin dans l'inconscient collectif, c'est donc à la fois un opportuniste et un coupable. Opportuniste dans le sens où il vient profiter d'un système qui le protège, qui lui confère des droits, une protection et une garantie sociales. Et un coupable dans le sens où il vient appauvrir la Nation, « voler » le travail des autochtones, où il vit caché. D'ailleurs encore une fois, la sémantique trahit la bonne conscience de façade. L'immigré vient « voler » le travail des français entend-on. Immédiatement, il est étiqueté « délinquant ». Non content d'être clandestin, coupable et calculateur, le voilà en plus de cela un délinquant en puissance, à l'image de ce que le regard de l'opinion se fait des quartiers, où les délinquants, les « racailles » sont tous des « noirs et des arabes [2]».


    Quel est son délit à cet immigré ?  Son larcin, c'est d'avoir piqué le boulot d'un autre. Encore faudrait-il que la chose soit avérée. Que ces propos soient vérifiés et légitimés. Or, l réalité est loin d'être aussi « simple », comme si le travail se partageait. A ce sujet, les économistes sont tous d'accord pour dire que l'immigration ne fait pas augmenter le chômage. Le travail n'est pas un stock fixe d'emplois. Lorsque la main d'œuvre augmente, celle-ci est toujours absorbée par le tissu économique local. Par exemple, lorsque 900 000 algériens ont migré en France suite aux accords d'Evian en 1962, l'essentiel d'entre eux s'est concentré sur le sud de la France. Les prédictions catastrophistes quant aux conséquences de cette arrivée massive d'étrangers sur le niveau de l'emploi furent vite évacuées par la réalité empirique. Dans les faits, l'économie française absorba rapidement cet excès de main d'œuvre et sans préjudice majeur sur le niveau d'emplois et de salaires des métropolitains[3]. Une chercheuse canadienne a tenté de mesurer l'impact de cette nouvelle force de travail sur l'évolution du chômage entre 1962 et 1967 en France[4]. Son étude a permis de constater que les départements ayant accueilli le plus grand nombre d'immigrés avaient des taux de chômage très peu différents de ceux des autres. Pour 10 travailleurs rapatriés en 1962, elle constate qu'il y a 2 chômeurs de plus en 1967 parmi les résidents. Elle constate également que le niveau de salaire moyen est 1,3% plus faible en 1967 que ce qu'il aurait été sans l'arrivée de cette main d'œuvre en grand nombre. L'impact des rapatriés d'Algérie sur le niveau de l'emploi et des salaires des résidents a donc été très faibles, même s'il n'a pas été nuls. En outre, cette population supplémentaire a également permis à l'Etat de s'enrichir. Des emplois ont été créés, des revenus supplémentaires ont été distribués et la consommation s'en est trouvée accrue. Si l'effet a été très minime sur l'emploi et les salaires des résidents, il a en revanche permis à l'Etat de s'enrichir, et par conséquent d'enrichir la collectivité. En outre, cette vague d'immigration massive qu'a connu la France à cette époque est de loin supérieure à celle qu'elle connaît aujourd'hui, tant au niveau du nombre que de sa concentration sur une période courte.


    Les idées reçues qui font de l'immigré un « voleur » d'emplois sont entièrement fausses et totalement non fondées. L'économie ne dispose pas d'un stock fixe d'emplois mais au contraire d'une capacité d'absorption importante lorsque de nouvelles forces vives apparaissent sur le marché. Pour faire simple, augmenter le nombre de travailleurs ou à l'inverse le diminuer n'induit pas une perte ou un gain d'emplois. Certes, il y a un temps d'adaptation du capital, lié aux logiques de transformation dans l'organisation du travail, de restructuration, mais très vite, l'économie absorbe cette différence quantitative par une transformation qualitative (ou structurelle). Ainsi les 35h ont permis de transformer les organisations du travail dans certaines entreprises, elles ont permis de mieux utiliser la combinaison productive (lien entre facteur travail et facteur capital), bref elles ont permis de réallouer de manière plus efficace les facteurs de production en augmentant la productivité à la fois du capital, à la fois du travail (ce qui pour certains s'est avéré être une source de stress et de pression supplémentaire). Ce qui a sans doute contribuer à favoriser l'emploi, ce n'est pas la réduction du temps de travail en soi, mais les diminutions des charges sociales qui allaient avec, notamment sur les bas salaires. Ce qui explique aussi aujourd'hui que se pose la question du pouvoir d'achat. Effet pervers du système, la réduction des cotisations patronales sur les bas salaires (afin de rendre leur travail à faible qualification plus productif, donc plus compétitif) aura eu pour conséquence de développer ce qu'on appelle une « trappe à bas salaires », afin de pouvoir bénéficier au maximum des réductions de cotisations sur le travail.

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    Par conséquent, penser que la réduction du temps de travail crée de l'emploi revient au même que l'idée qui consiste à penser - ou à laisser penser (ce qui est plus dangereux et pervers) -,  que les immigrés prennent le travail des français. Cela renvoie à une conception du marché du travail qui fixerait à l'avance les besoins, le nombre d'heures et de travailleurs nécessaires pour la création de richesse. Disons le tout net : cette conception est fausse. Et à ce titre, il est tout aussi déraisonnable de vouloir faire de l'immigration une « immigration choisie » en fonction des besoins de l'activité économique. Certes, on sait qu'il y a des secteurs de l'économie qui sont à la recherche de travailleurs et ce même avec un taux de chômage élevé (puisque environ 300 000 emplois sont à pourvoir en France en permanence), qu'il y en a d'autres qui sont en expansion, mais rien ne permet de dénombrer le stock d'emplois nécessaires. Un dernier chiffre permettra de bien mesurer l'ampleur de la difficulté à définir la chose : chaque jour en France, il disparaît environ 10 000 emplois ! Mais chaque jour en France, il se crée environ 10 000 emplois. Ce processus avait été mis à jour dès les années 30 par un économiste hétérodoxe, Joseph Aloïs Schumpeter[5], auquel il a donné le nom de « processus de destruction créatrice ». Or, ces destructions créatrices ne sont pas identifiables par avance, elles sont le fruit de l'évolution économique, des modifications de la demande, de la production, de l'investissement, des innovations des entreprises. A moins d'une économie planifiée, il est impossible de définir à l'avance les besoins en quantité de travail, de main d'œuvre et de consommation de la population sur chaque secteur de l'activité économique.

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    Pour terminer, on peut donc dire que les immigrés ne volent pas davantage l'emploi des autochtones qu'ils ne sont des passagers clandestins. Ils paient parfois (souvent) très chers le prix de leur liberté. Migrer vers le Nord, venir en Europe, s'installer en France n'est pas un jeu à somme exclusivement positive pour eux : c'est une nécessité pour certains, nécessité de survie (réfugiés), nécessité de subsistance, nécessité du Nord également qu'on a trop tendance à occulter (volontairement ?) pour occuper les emplois difficiles, à faibles salaires et à forte pénibilité. Mais c'est aussi une douleur : douleur de quitter les siens, douleur des passeurs, douleurs de l'accueil, douleurs de l'attente de l'obtention de statut, etc. Certes, comme l'a dit M. Rocard il y a quelques années, « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et je ne me galvauderais pas d'une vision optimiste et naïve.


    Mais toujours est-il que le discours ambiant qui règne depuis quelques années dans le paysage médiatique, politique et social me paraît dangereux. C'est un discours qui joue sur les peurs. Un discours passionnel, propre à réveiller un racisme latent. Certes, l' « autre », cette « inquiétante étrangeté », à la fois si proche et si lointain, n'est plus considéré comme un humain de seconde zone, biologiquement et cognitivement inférieur (sauf pour quelques dégénérés xénophobes et apeurés d'eux-mêmes). Au racisme évolutionniste se substitue pourtant une nouvelle forme de racisme tout autant dévastateur, sinon plus, parce qu'elle est latente. Au racisme biologique succède désormais un racisme social et économique qui se base sur les mêmes arguments que par le passé.  Simplement, l'argumentaire contemporain s'est vidé de la forme propre, pour la remplacer par la forme figurée, mais la substance dure résiste, le noyau inextinguible du racisme demeure toujours opérant. Peu de choses suffisent à le réveiller. D'ailleurs, un grand quotidien français ne titrait-il pas encore récemment à propos de l'OPA de Mittal Steel sur Arcelor : « Mittal : le prédateur indien ». On nous rétorquera qu'il n'y a là rien de mal. Mais la sémantique encore une fois n'est pas discutable : derrière l'étranger se superpose l'image d'un cannibalisme désormais édulcoré.

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    [1] R. Boudon, La logique du social, PUF, 1994.



    [2] Propos rapportés par Lilian Thuram au sujet des dires de M. Sarkozy lors de sa discussion au Ministère de l'Intérieur suite aux émeutes des banlieues de novembre 2005.



    [3] Cf P. Cahuc et A. Zylberberg, Le chômage, fatalité ou nécessité, Champs Flammarion, 2005.


    [4] J. Hunt, “The impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market”, Industrial and Labour Relations Review, vol. 45, 1992, p. 556-572.


    [5] J. A. Schumpeter, Théorie de l'évolution économique, 1934.



  • Commentaires

    2
    Mardi 6 Février 2007 à 18:53
    les immigrés sont africains...
    8% de chômage... C'est un peu comme le chômage aux US ou en Angleterre. On ne tient pas compte de beaucoup de monde. Le chiffre double facilement quand seulement on additionne toutes les catégories (et pas seulement la catégorie 1). Enfin, il faut songer que l'immigration se fait essentiellement entre les pays occidentaux et relativement peu entre le Sud et le Nord (moins de 30%). Pourquoi donc l'immigré (qu'il soit clandestin ou non) est-il donc Africain ? Et souvent ces immigrés ne sont pas les pauvres et les indigents. Alors pourquoi se focalise-t'on sur eux ? Comment l'arbre peut-il cacher la forêt ?
    1
    Mardi 6 Février 2007 à 12:15
    J'ai trois remarques
    Primo le taux de chômage en France est passé sous la barre des 10% et se dirige vers les 8%. Contrairement aux idées reçues, le taux de chômage est donc relativement faible en France actuellement. Sur ce point, il y a des discussion qui porte sur le point de savoir si ce chiffre est une bonne nouvelle en soi, ou s'il masque une situation qui serait alarmante. Secondo: une économie locale n'absorbe pas automatiquement un surplus de main d'oeuvre. Il faut des conditions favorables pour cela. Elles tiennent en un mot: croissance. Tertio: gare aux raisonnements transversaux! Ils sont créatifs mais confusants. Les 135 heure, la théorie du passager clandestin, c'est astucieux, mais est ce que ça a vraiment à voir avec l'immigration et le racisme?
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