• la société de consommation

    Voici quelques extraits de l'ouvrage, sans doute le plus célèbre, de Jean Baudrillard, sur La société de consommation[1] où il démontre comment le système généralisé de production sert avant tout à générer des modes de consommation inégalitaires, où l'objet consommé joue davantage comme signe, signe distinctif d'appartenance de classe, ou de caste, qu'il ne sert en tant qu'objet purement utilitaire. La production reproduit un système de hiérarchisation sociale et de différenciation de classe. Elle n'a pas pour but exclusif de servir l'utilité du consommateur, sinon comment comprendre « rationnellement » par ailleurs la consommation de biens ostentatoires que l'on retrouve parfois chez les plus démunis, sinon comme volonté de montrer sa capacité de participation à la consommation, et plus particulièrement sa capacité intégrative à la sphère de la consommation « superficielle », celle qui reste considérée comme la plus importante et la plus significative, car c'est elle qui nous éloigne de la simple nécessité (biens primaires). La consommation est un mode de communication significatif (au sens de consommation de « signes ») avant d'être un mode de participation instrumental et rationnel (au sens de consommation « utile »).

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Croissance versus Abondance

    En fait, il n'y a pas et il n'y a jamais eu de société d'abondance, ni de « société de pénurie », puisque toute société, quelle qu'elle soit et quel que soit le volume des biens produits ou de la richesse disponible, s'articule à la fois sur un excédent structurel et sur une pénurie structurelle. L'excédent peut être la part de Dieu, la part de sacrifice somptuaire, la plus-value, le profit économique ou les budgets de prestige. De toute façon, c'est ce prélèvement de luxe qui définit la richesse d'une société en même temps que sa structure sociale, puisqu'il est toujours l'apanage d'une minorité privilégiée et qu'il a pour fonction précisément de reproduire le privilège de classe ou de caste. Sur le plan sociologique, il n'y a pas d'équilibre. L'équilibre est le fantasme idéal des économistes, qui contredit sinon la logique même de l'état de société, du moins l'organisation sociale partout repérable. Toute société produit de la différenciation, de la discrimination sociale, et cette organisation structurelle se fonde (entre autres) sur l'utilisation et la distribution des richesses. Le fait qu'une société entre dans une phase de croissance, comme nos sociétés industrielles ne change rien à ce processus, au contraire : d'une certaine façon le système capitaliste (et productiviste en général) a mis le comble à cette « dénivellation » fonctionnelle, à ce déséquilibre, en le rationalisant et en le généralisant à tous les niveaux. Les spirales de la croissance s'ordonnent autour du même axe structurel. A partir du moment où l'on abandonne la fiction du PNB comme critère de l'abondance, il faut constater que la croissance ne nous éloigne ni ne nous rapproche de l'abondance. Elle en est logiquement séparée par toute la structure sociale qui est ici l'instance déterminante. Un certain type de rapports sociaux et de contradictions sociales, un certain type d' « inégalité » qui se perpétuait jadis dans l'immobilisme se reproduit aujourd'hui dans et à travers la croissance.[2]

    <o:p> </o:p>Logique de distinction et fausse liberté

    La liberté et la souveraineté du consommateur ne sont que mystification. Cette mystique bien entretenue (et en tout premier lieu par les économistes) de la satisfaction et du choix individuels, où vient culminer toute une civilisation de la « liberté », est l'idéologie même du système industriel, en justifie l'arbitraire et toutes les nuisances collectives : crasse, pollution, déculturation – en fait le consommateur est souverain dans une jungle de laideur, où on lui a imposé la liberté de choix (...).

    Ce que les économistes ne voient pas, c'est toute la logique sociale de la différenciation, ce sont les processus distinctifs de classe ou de caste, fondamentaux dans la structure sociale, et qui jouent à plein en société « démocratique ». Bref, c'est toute une sociologie de la différence, du statut, etc., qui manque ici en fonction de laquelle tous les besoins se réorganisent selon une demande sociale objective de signes et de différences, et qui fonde la consommation non plus comme une demande de satisfaction individuelle « harmonieuse », mais comme une activité sociale illimitée[3].

    <o:p> </o:p>Sur la fonction non-utilitaire de l'objet

    Cette mythologie rationaliste[4] sur les besoins et les satisfactions est aussi naïve et désarmée que la médecine traditionnelle devant les symptômes hystériques ou psychosomatiques. Expliquons-nous : hors du champ de sa fonction objective, où il est irremplaçable, hors du champ de sa détonation, l'objet devient substituable de façon plus ou moins illimitée dans le champ des connotations, où il prend valeur de signe. Ainsi la machine à laver sert comme ustensile et joue comme élément de confort, de prestige, etc. C'est proprement ce dernier champ qui est celui de la consommation. Ici toutes sortes d'autres objets peuvent se substituer à la machine à laver comme élément significatif. Dans la logique des signes comme dans celle des symboles, les objets ne sont plus du tout lié à une fonction ou à un besoin défini. Précisément parce qu'ils répondent à tout autre chose, qui est soit la logique sociale, soit la logique du désir, auxquels ils servent de champ mouvant et inconscient de signification.[5]

    <o:p> </o:p>Sur la hiérarchie des signes

    Depuis la banque de luxe avec coffres-forts Louis XVI réservée à 800 clients de choix jusqu'au bureau de P.-D. G., qui sera antique ou Premier Empire, alors que le fonctionnel cossu suffit aux cadres supérieurs, du prestige arrogant des villas néo-riches jusqu'à la nonchalance des vêtements de classe (seules quelques personnalités suffisamment riches peuvent se permettre d'entrer en jean au casino monégasque), toutes ces différences marginales scandent, selon une loi générale de distribution du matériel distinctif ( loi que nul n'est censé ignorer, bien moins encore que celle du code pénal), la discrimination sociale la plus rigoureuse. Tout n'est pas permis et les infractions à ce code des différences, qui, pour être mouvant, n'en est pas moins un rituel, sont réprimées. Témoin cet épisode amusant d'un représentant de commerce qui, s'étant acheté la même Mercedes que son patron, e vit licencié par celui-ci. Ayant fait appel, il fut indemnisé par les Prud'hommes, mais non réintégré dans son emploi. Tous sont égaux devant les objets en tant que valeur d'usage, mais pas du tout devant les objets en tant que signes et différences, lesquels sont profondément hiérarchisés[6].

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>Sur la logique de différenciation

    Il faut voir que la consommation ne s'ordonne pas autour d'un individu avec ses besoins personnels indexés ensuite, selon une logique de prestige ou de conformité, sur un contexte de groupe. Il y a d'abord une logique structurelle de la différenciation, qui produit les individus comme « personnalisés », c'est-à-dire comme différents les uns des autres, mais selon des modèles généraux et selon un code auxquels, dans l'acte même de se singulariser, ils se conforment.[7] Le schéma singularité/conformité, placé sous le signe de l'individu, n'est pas essentiel : c'est le niveau vécu. La logique fondamentale, c'est celle de la différenciation/personnalisation, placée sous le signe du code.

    Autrement dit, la conformité n'est pas l'égalisation des statuts, l'homogénéisation consciente du groupe (chaque individu s'alignant sur les autres), c'est le fait d'avoir en commun le même code, de partager les mêmes signes qui vous font différents tous ensemble, de tel autre groupe[8].                                                   



    [1] Faisant suite d'ailleurs à un autre passage précédemment publié sur ce blog.

    [2] J. Baudrillard, La société de consommation, Poche, Gallimard, pp. 65-66.

    [3] Ibid, pp. 99-102.

    [4]  L'auteur veut parler des théories économiques de l'homo oeconomicus faisant de l'homme un animal purement rationnel qui chercherait à satisfaire son intérêt personnel dans l'acte de consommation. Consommateur rationnel, libre et autonome dans ses choix, l'économie considère l'acte de consommation dans son unique dimension utilitariste.

    [5] Ibid, pp. 106-107

    [6] Ibid, p. 129.

    [7] On retrouve là toute la sociologie classique de Simmel (phénomène de mode : singularisation/conformisme),  et Durkheim (solidarité organique : différenciation/solidarité) aux théories dynamiques de la socialisation (H.G. Mead et la construction du Soi, équilibrage permanent entre conformité aux impératifs du groupe, le « moi », et expression de sa propre singularité, construction de son individualité, le « je »).

    [8] Ibid, pp. 133-134.



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  • Commentaires

    3
    Samedi 17 Mai 2008 à 14:46
    géographie
    salut j\'ai un sujet de brevet a faire il me demande de designer les 14article sur un dessin dotn la présence dans chaque maison est caracteritique de la societe de consommation or je ne trouve pas sur internet ce que c\'est exactement et sur le web non plus pouriez-vous m\'aider s\'il vous plait!!!merci d\'avance
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    2
    Samedi 17 Mai 2008 à 14:43
    géographie
    salut j'ai un sujet de brevet a faire il me demande de designer les 14article sur un dessin dotn la présence dans chaque maison est caracteritique de la societe de consommation or je ne trouve pas sur internet ce que c'est exactement et sur le web non plus pouriez-vous m'aider s'il vous plait!!!merci d'avance
    1
    Mercredi 6 Février 2008 à 16:27
    Quelle production !
    Quelle production ! J'ai à peine le temps de lire un article que le suivant est déjà là. Continue.
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