• La France d'en bas

    Dans son dernier ouvrage, le géographe social Christophe Guilluy explore l'espace des délaissés, des « invisibles » sociaux, loin des cités urbaines, quartiers populaires, ou ZUS comme on les appelle parfois.

     

    Non, ce que l'auteur met en avant, c'est le repli et l'enfermement identitaire d'une partie de la population française, essentiellement composée de classes populaires (qui regroupent donc la traditionnelle classe ouvrière à laquelle il convient désormais d'ajouter une partie des employés) et moyennes inférieures (au sens où l'entend le sociologue Louis Chauvel notamment), éloignées des centres de décisions, des pôles urbains, économiques, culturels et idéologiques.

    Cette France invisible, longtemps silencieuse (mais sans doute de moins en moins selon son analyse), vit au gré des pertes d'emplois, des fermetures d'usine, de la baisse du foncier lié au départ des classes favorisées, du vieillissement démographique de sa population, de l'érosion des lieux culturels et des services publics. L'auteur la nomme la « France périphérique ».

     

    En tant que géographe social, il dresse une typologie de la territorialisation sociale à l'oeuvre depuis les années 80. On connaissait la gentrification des centres et la relégation des quartiers populaires aux abords des villes, mais on savait peu de choses de cette France des petites villes et des campagnes de province. Or, pour l'auteur, ce sont sur ces territoires oubliés de la République que les problèmes social, économique et politique majeurs se portent désormais.

     

    En réalité, C. Guilluy oppose deux France : une France métropolitaine, modelé par les grandes villes, qui concentrent plus de 60% de la création de richesse (dont un tiers pour la seule région parisienne !), qui jouit des avantages de la mondialisation (libre-échange, diversité de produits, mobilité des capitaux et des hommes, emplois, accélération sociale) et une France périphérique, dans une situation d'appauvrissement généralisé (perte sèche d'emploi, augmentation du chômage, désindustrialisation, vieillissement démographique, précarité sociale et économique) qui de son côté, ne subit que les aspects les plus sombres de la mondialisation à l'oeuvre.

     

    Pour preuve s'il en faut, l'auteur s'appuie sur l'évolution du taux de chômage. Alors que les données de l'Insee tombent froidement tous les mois, indiquant le nombre de demandeurs d'emplois inscrits à Pôle Emploi, les chiffres semblent dresser un portrait homogénéisant des territoires. Le chômage augmente sans interruption depuis 2008 en France, pour atteindre les 10,4 selon les derniers chiffres du BIT (novembre 2014).

    Pourtant, derrière ce chiffre se cache une réalité particulièrement éclairante : alors que le chômage ne cesse de croître depuis 2008, l'emploi, dans le même temps, a progressé dans certains territoires ; Paris, Grenoble, Nantes, Montpellier, Toulouse, Lille, Lyon, Rennes, etc. autrement dit, les grandes villes n'ont en rien perdu de leur attractivité économique, ni de leur pouvoir d'achat. Certaines, comme Montpellier ont même connu une augmentation de plus de 10% de leur emploi sur la période 2006-2011 (données Insee).

    En revanche, il en va tout autrement de la France des petites villes de province (Bourges, Guéret, Limoges, Amiens, Quimper, etc.) qui ont subi de plein fouet les ravages de la crise financière et économique de 2008. Ce sont ces territoires périphériques qui ont porté et continuent de porter l'essentiel de l'aggravation du chômage en France.

    Pire, les grandes métropoles voient même l'emploi industriel se maintenir alors que l'on assiste par ailleurs à un mouvement d'accélération de la désindustrialisation du pays. Ce sont surtout les petites villes industrielles qui font les frais de cette recomposition du paysage économique.

     

    Ce phénomène porte un nom bien connu des géographes : c'est celui de la métropolisation, définie par l'Insee comme une forme de spécialisation des villes dans des secteurs d'activités à « fort potentiel de développement économique et à contenu décisionnel élevé ». On retrouve ici tous les secteurs attachés à l'innovation, la R&D, la finance, les activités de conseil aux entreprises, la gestion, les activités de culture et loisirs notamment.

    Cette métropolisation s'apparente à ce que Fernand Braudel appelait la constitution de « ville-monde » qui concentrent à elles tous les secteurs d'activités potentiellement prospères, comme un trou noir attire la matière à lui en avalant tout ce qui passe dans sa zone d'influence. De la même façon, ces villes-monde semblent attirer les capitaux, les hommes, la connaissance, les idées, et partant de là, les richesses et les entreprises au détriment des zones périphériques vouées à la désertification économique et à la paupérisation sociale.

    Fuite des entreprises, fuite des classes aisées et augmentation des classes populaires : voilà le portrait rapide de cette France de la périphérie. La stabilité relative des catégories populaires depuis les années 80 est un exemple probant de cette nouvelle géographie sociale à l'oeuvre. Si l'on observe l'ensemble des effectifs qui composent ce qu'on appelle les catégories populaires (ouvriers et employés), on constate que si la part des ouvriers a fortement diminué, l'essentiel des emplois s'est déversé dans les métiers de service, augmentant significativement la part des employés.

    Tant et si bien que les catégories populaires sont en 2014 quantitativement presque aussi importante que dans les années 80. Or, si ces catégories populaires disparaissent des grandes métropoles, avec le phénomène de gentrification et de hausse du foncier (voir parmi les billets précédents), cela ne signifie pas leur disparition sociologique mais leur éviction et leur relégation hors des villes. Ces ménages populaires sont désormais contraints à vivre en zone péri-urbaine, voire en zone rurale, à plusieurs dizaines de kilomètres des villes.

     

    À partir de ce constat rapidement exposé, l'auteur en vient à poser la problématique suivante : ce phénomène de métropolisation peut-il faire société ? Autrement dit, peut-il être un modèle de répartition socio-spatiale légitime socialement et efficace économiquement ? Dessine t'il les contours d'une France d'en bas, celle des petites villes intégrées dans des territoires ruraux, concentrant les difficultés sociales et économiques, réléguée, dépassée, « désynchronicisée », face à une France d'en haut, celles des grandes métropoles mondialisées, globalisées, dynamiques, créatrices de richesse, qualifiées, culturellement et économiquement attractives ?

     

    Rien est moins sûr selon l'auteur qui pointe les risques politiques d'un tel clivage territorial (mais cela, ce sera pour une prochaine fois)...

     

     

     


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