• la crise du lien social (3) : le déclin du politique

     

    Comme nous l'avons vu précédemment pour la pratique religieuse, le même constat opère pour la participation politique. Depuis l'avènement des sociétés démocratiques et du principe d'égalité « un homme = une voix », la participation électorale n'a cessé de chuter dans l'ensemble des sociétés démocratiques occidentales (à quelques exceptions près).

    Tocqueville déjà l'annonçait dès 1858 : l'individualisme, en resserrant les liens autour de la sphère privée porte le risque de voir la sphère publique se déliter, plus exactement l'intérêt porté pour l'agora péricliter. Et ainsi menacer le lien politique et citoyen. Chacun se repliant sur la sphère intime, c'est le lien social qui est menacé. Or, les chiffres de la participation politique (toutes élections confondues) semblent donner raison à Tocqueville. La participation politique ne cesse de s'étioler quantitativement depuis le début du siècle.


      Plusieurs phénomènes peuvent en partie l'expliquer :

    - déclin quantitatif : à chaque grande élection, les taux de participation diminuent sur le long terme. Cela est vrai pour les législatives, les cantonales, les présidentielles (dans une moindre mesure en France), mais aussi et surtout au niveau des élections syndicales et prudhommales où le dernier scrutin n'a réuni que 30% environ de votants.

    - intermittence participative : les politologues constatent tous une désaffection partielle de la participation au scrutin. Les individus ne se rendent pas aux urnes pour toutes les élections, mais uniquement lors de certains scrutins. En fait l'abstention permanente reste assez faible, mais c'est surtout l'abstention partielle qui est importante. Autrement dit, les citoyens restent encore globalement mobilisés, mais différemment selon les types d'élection. Par exemple, pour l'année 2007, sur les trois élections successives (présidentielles, législatives et cantonales),

    « Lors des élections présidentielles et législatives du printemps 2002, près de neuf électeurs métropolitains inscrits sur les listes électorales sur dix ont participé à au moins un scrutin. Toutefois, moins d'un sur deux a voté à tous les tours possibles. Par rapport à 1995, le taux moyen de participation aux scrutins a diminué de 5 points. Entre ces deux dates, c'est surtout le comportement de vote régulier qui a diminué, au profit du vote intermittent et, dans une moindre mesure, de l'abstention systématique » nous dit l'enquête Insee1.

    Ainsi, loin de statuer au désengagement des citoyens, il convient mieux de parler d'un lien de citoyenneté choisi. L'abstention systématique, si elle se développe, reste limitée. Ce qui est en revanche très significatif, c'est cette intermittence du vote, selon des critères personnels, selon l'intérêt que chacun se fait de l'élection.

    Si on affine la recherche sur des critères sociologiques, on constate que les plus âgés votent plus régulièrement et son plus assidus aux scrutins. Tandis que l'intermittence élective est plus marquée chez les jeunes. Au total, seul 1 électeur sur 2 vote régulièrement à chaque scrutin (1995-2002).

    de son côté, l'abstention est plus marquée chez les individus faiblement diplômés que chez les autres. Ce que les études constatent également, c'est que la stabilité professionnelle, résidentielle et familiale favorisent le comportement citoyen. Plus les individus ont d'attaches ancrées, plus leurs comportements civiques s'affichent.

    La précarisation des liens familiaux et professionnels entraînent donc également une mise à distance du lien politique.


    - versatilité des votes (refus de se voir assimilé à une idée, un dogme, un parti) : autre élément intéressant de modification de la participation politique, la mouvance des électeurs dans leur choix politique est révélatrice de ces nouvelles formes de liens sociaux, moins assignés et plus choisis. De plus en plus d'électeurs font évoluer leur vote en fonction des élections. Certains votants traditionnels de la gauche se retrouvent désormais à voter à droite (classe ouvrière notamment). La division droite/gauche est de moins en moins pertinente (ce qui ne veut pas dire qu'elle a disparu) dans le choix de vote des électeurs. Cette instabilité dans le vote permet de souligner cette volonté de la part des individus modernes de ne pas se voir assignés des places et des rôles préalablement fixés. Ils veulent être maîtres de leur destin,et de leurs engagements. Ils décident par eux-mêmes, détachés de toute forme d'obligation. Le sympathisant communiste peut se convertir à l'économie de marché ; le chantre du libéralisme peut se convertir à la régulation de l'Etat, etc. Désormais, les clivages, aux yeux des citoyens sont moins marqués qu'auparavant, comme d'ailleurs nous pouvons le voir au niveau des représentants politiques eux-mêmes qui oscillent plus aisément d'un parti à l'autre. L'appartenance n'est plus définitive et limitative : l'individu peut et veut « désappartenir » pour mieux être libre de ses choix et de ses engagements politiques.

    En réalité, encore une fois, loin de l'image qu'on tend à en donner, les individus n'ont pas perdu tout sens civique. Le lien politique reste un lien essentiel de la vie démocratique. Mais qui dit société démocratique, dit liberté de choix. Le danger relevé par Tocqueville au XIX de la désaffection du politique avec l'individualisme n'est que partiel. Ce qui est en déclin encore une fois, c'est une certaine forme de lien au politique. Un lien impersonnel, froid et lointain, qui fait de l'électeur un simple bulletin de vote et qui fait de moins en moins « sens pour l'individu.

    Quand l'on regarde le succès des blogs et des sites politiques, on constate que le lien citoyen ne s'affaiblit pas : au contraire. Simplement, il s'exprime de plus en plus sous de nouvelles formes, moins instituées, plus personnalisées et plus directes.

    - Les citoyens restent très engagés : la participation associative n'a cessé de croître en France jusqu'au début des années 90, où elle reste stable depuis. Aujourd'hui, on compte près de 22 millions d'adhérents associatifs. Mais ce sont des engagement nouveaux, temporaires, multiples, plus individuels, et participatifs :

    « En 1996, 20 millions de personnes ayant plus de 14 ans sont membres d'une association. C'est autant qu'en 1983, mais le développement individuel, à travers une activité collective (sport, culture...), a pris le pas sur la défense d'intérêts communs (syndicats, parents d'élèves...). Ce phénomène s'accompagne d'une ouverture du monde associatif à un public plus large que par le passé. Par ailleurs, les adhérents se contentent moins souvent de juste payer leur cotisation mais participent plus activement à la vie de l'association.2 »

    Sur le type d'association, là encore, on constate une augmentation nette des associations tournées vers l'intérêt individuel (sport, culture), mais les associations de défense des intérêts communs se portent bien également.

    Une autre étude plus récente de l'Insee confirme bien cette évolution du mouvement associatif : «  En 2002, 21 millions de personnes de 15 ans et plus sont membres d'une association. Trois grandes catégories d'associations se dessinent selon que l'adhésion est principalement motivée par la pratique d'une activité, par un désir de rencontres ou bien pour la défense d'une cause ou d'intérêts communs. Les associations de loisirs, au sens large, continuent d'attirer le plus grand nombre d'adhérents. Elles devancent les associations tournées vers la défense d'intérêts communs. 3 » La participation à une association est de moins en moins une simple participation passive (simple cotisant), mais active.


    - La proximité est de plus en plus recherchée également : régie de quartier, référendum municipal, démocratie participative correspondent davantage aux nouvelles formes de citoyenneté contemporaine qui donnent davantage de sens à l'action citoyenne individuelle.

    D'un côté une citoyenneté locale, de l'autre une citoyenneté supra-nationale avec les associations qui militent dans le monde. mais citoyenneté nouvelle, engagement nouveaux : associatifs, citoyenneté de proximité, démocratie participative, etc. (P. Rosanvallon4) les individus sont donc plus libres dans leurs choix : le lien citoyen doit faire sens : il doivent se sentir concernés, ils veulent être consultés, participer aux décisions politiques. Il faut que leur engagement fasse sens (engagement associatif, citoyen sur certaines questions, etc.)


    1F. Clanché, « la participation électorale au printemps 2002 », in Insee première, n° 877, janvier 2003

    2E. Crenner, « Le milieu associatif en France de 1983 à 1996 », in Insee première, n° 547, septembre 1997.

    3M. Febvre et L. Muller, « une personne sur deux est membre d'une association en 2002 » in Insee première, n°950, septembre 2003.

    4P. Ronsavallon, La légitimité démocratique, Seuil, Paris, 2008.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Janvier 2009 à 15:19
    Les girouettes
    Enfin, faire la girouette à chaque élection, ce n'est pas seulement ne pas suivre un dogme, c'est aussi et surtout de pas avoir de grille de lecture conséquente qui permette une compréhension globale de son environnement.
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