• L'école est elle juste? I

    Les sociétés démocratiques se caractérisent selon Tocqueville (1805-1849) par l'égalisation des conditions, par l'égalité sociale qui supplante l'héritage héréditaire et biologique (notion de contrat social). A ce titre, l'école apparaît comme un instrument concret de réalisation de cet idéal démocratique, notamment depuis la massification de l'accès à l'enseignement secondaire et universitaire. Mais la généralisation de l'accès contribue t-elle véritablement à une démocratisation de la réussite? c'est la thèse que je développerai au travers de ce premier billet avant de compléter l'approche par un futur post.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p></o:p> I.                  La généralisation de l'accès
    <o:p> </o:p>

    La massification de l'enseignement qui s'est développé dans les années 60-70 s'est-elle accompagnée d'une plus grande égalité des chances ? Démocratisation et égalité des chances sont-elles corrélatives ?

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    L'idée développée consiste à penser deux choses :

    -  l'enseignement permet la réduction des inégalités (émancipation, socle commun de savoirs qui "libère" l'individu et socialise à l'identique tous les élèves )

    - plus l'enseignement croît, plus grande sera la mobilité sociale.

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    C'est suivant cette idée que s'est forgée le système d'enseignement en France. Dès le départ, on a deux systèmes : l'école primaire pour tous (Jules Ferry en 1881) et l'enseignement supérieur pour l'élite (Louis Liard). Respectant le précepte d'Aristote selon lequel une égalité réelle doit traiter inégalement les inégaux et également les égaux. Ainsi, deux systèmes voient le jour : un pour le peuple, un pour l'élite correspondant à l'enseignement secondaire classique.

    Soucieux de l'ouverture de l'enseignement supérieur, ils mettent en place un système de bourses dès 1880.  Entre 1880 et 1914, la France est encore rurale et paysanne à plus de 50%. Ce système de bourses a ainsi permis à certains enfants issus de milieux populaires d'accéder à l'enseignement supérieur.

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    Mais c'est au sortir de la seconde guerre mondiale qu'un véritable système de démocratisation de l'enseignement se met en place (partout en Europe). Au début des années 60, on assiste à la généralisation progressive de l'enseignement secondaire Le secondaire s'ouvre aux classes populaires, puis le supérieur suit. Néanmoins, en 1960, on a encore 80% d'enfants de cadres supérieurs dans l'enseignement supérieur contre 5% d'enfants d'ouvriers et de paysans.

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    En France jusque dans les années 60, on distingue deux systèmes séparés :

    -         système primaire (généralisé et donc ouvert aux milieux populaires)

    -         système secondaire (milieu bourgeois)

    Les deux ont longtemps été radicalement séparés. Puis l'enseignement secondaire va se généraliser à toutes les catégories sociales. On va supprimer le concours d'entrée en 6ème. Au début des années 70, on constate dans les faits la généralisation de l'accès au collège. Le rythme est variable et dépend des lieux et des milieux sociaux, mais il est prégnant.

    Il y a deux étapes dans cette généralisation de l'accès au secondaire :

    -         la première : vague collégienne (années 60-70)

    -         la seconde : vague lycéenne (années 70)

    On assiste alors à un mouvement global de démocratisation de l'accès au secondaire. Pour ne prendre que deux exemples, le taux de scolarisation des enfants de 16 ans était de 7,5% chez les agriculteurs exploitants en 1954 contre 98% en 1982. Chez les ouvriers, ce chiffre passe de 16% en 1954 à plus de 95% en 1982.

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    ° Le taux de scolarisation augmente pour toutes les classes sociales. La durée de vie des jeunes dans l'enseignement croît avec le temps. L'école est donc de plus en plus une instance socialisante pour l'ensemble de la population juvénile.

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    ° Si le taux de scolarisation reflète le degré d'inégalité des chances scolaires, on peut raisonnablement penser que celui-ci a fortement  diminué depuis 1954. En 1982, presque 100% des enfants sont scolarisés à 16 ans, toutes classes sociales confondues. La reproduction des inégalités aurait été confirmée si les taux d'arrivée, même en augmentant étaient restés proportionnels au départ. Mais il n'y a pas de translation de l'ordre sur les classes sociales. Au contraire on observe une déformation de la structure.

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    A la lecture du tableau, on constate qu'il y a bien eu une démocratisation de l'accès à l'école et au secondaire depuis la 2WW. Certes l'école rendue obligatoire jusqu'à 16 ans a fortement contribué au renforcement des classes dominées dans l'enseignement. L'accession massive et démocratique à l'école permet aussi un meilleur contrôle social des populations. L'Ecole supplantant la famille dans l'apprentissage des savoirs, du savoir-faire et dans les connaissances.

    Néanmoins, derrière ce constat partagé d'une généralisation de l'accès, des études tendent à montrer qu'au sein du système d'enseignement, des inégalités persistent.  Au milieu des années 60, Bourdieu fait sensation avec son ouvrage Les héritiers dans lequel il montre comment la culture scolaire s'est appropriée arbitrairement la culture bourgeoise, créant un fossé de difficulté pour les enfants issus de milieux populaires afin d'acquérir le savoir et les connaissances légitimés par l'institution scolaire (violence symbolique, et domination inconsciente).

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>II.      L'Ecole : un instrument de reproduction sociale
    <o:p> </o:p>

    Ses études vont permettre de montrer que l'école reproduit les inégalités sociales. Ce qui importe c'est donc de savoir par quels processus l'école va reproduire ces inégalités.  L'école va offrir ce que la culture bourgeoise dominante propose. L'école va donc se révéler être un instrument de domination inconsciente des classes populaires.

    <o:p> </o:p>A.                             Un instrument de domination latent
    <o:p> </o:p>1.                              la culture scolaire ou la culture des classes dominantes
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu va mettre à jour les mécanismes de domination qui opèrent au sein de l'école. Il  va constater que le système scolaire adopte les mêmes schémas de pensée que la classe dominante dans l'évaluation des élèves. Ses études vont permettre de dégager des homologies (des manières de penser semblables) entre la classe dominante et le système scolaire. En effet, il va montrer que les représentations et les pratiques des classes dominantes sont semblables au mode de fonctionnement de l'école.

    Par exemple, l'école va privilégier et donc légitimer une certaine forme de « culture », axée sur la littérature classique, Zola, Flaubert, etc. Au détriment d'une autre forme de « culture » comme les BD, les romans de science-fiction, qui vont être considérés comme obsolète, comme des biens non « culturellement » légitimes. De ce fait, l'école s'empare des mêmes critères d'évaluation que la classe dominante qui elle-même privilégie la lecture de littérature classique, des grands auteurs plutôt que la « sous-culture » qu'est la BD par exemple.

    A ce titre, l'école va renforcer l'inégalité sociale en légitimant une certaine forme de culture, celle homologue aux classes dominantes. Si bien que des enfants de classe populaire devront faire un double apprentissage en rapport aux enfants des classes dominantes. D'une part, la remise en cause de leur « culture » de classe au profit de celles des dominants, d'autre part l'inculcation de nouvelles valeurs culturelles.

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    Le phénomène d'acculturation

    Le rapport entre les différentes cultures provoque une acculturation aux conséquences inégalitaires. L'absence d'homologie entre classes dominées et classes dominantes s'engage dans un processus d'acculturation des dominés.

    Dans un premier temps, il y a « déculturation » de leur culture d'origine, de leur habitus incorporé, afin dans un deuxième temps, lorsque cela se fait, ils parviennent à accéder à la culture scolaire (culture bourgeoise) ce qui conduit à l'acculturation.

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    La culture des classes dominantes va être transformée par l'institution scolaire en culture de référence, en culture légitime, objectivable et indiscutable. En réalité, cette culture scolaire n'a rien d'arbitraire dans ces choix. Mais ce qui se passe, c'est que l'école va destituer la culture populaire en la décrédibilisant aux yeux des élèves, au profit d'une culture plus propice aux classes supérieures. Ainsi, la domination perdure.

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    On décrète ce qui est bon : ce qui est bon est ce qui est arbitrairement décidé par l'école : cet arbitraire correspond au même arbitraire que les classes dominantes ; la culture scolaire est une culture de classe dominante ; les élèves des classes dominées acceptent et intègrent les bonnes manières de penser, de se « cultiver » ; ils légitiment la culture scolaire ; la domination inconsciente, latente opère, ce que Bourdieu nomme la « violence symbolique ».

    <o:p> </o:p>

    De la même manière, la sélection des disciplines enseignées et jugées les plus méritantes comme le latin, le grec sont le produit de rapports de force entre classes sociales. A l'époque où Bourdieu fait son constat (années 60), les filières littéraires sont les plus honorables et privilégiées. Pour lui, cela montre bien la domination qui s'exerce au sein de l'école des classes dominantes sur les dominés, puisque la littérature est le bien culturel par excellence des classes supérieures. On pourrait critiquer son approche aujourd'hui, au vu de la filière scientifique qui est privilégiée sur la filière littéraire. Celle-ci se rapportant davantage à des aptitudes cognitives, non agrémentées de connaissances culturelles spécifiques, donc apparemment  socialement plus égalitaires (mais en revanche sexuellement différenciée).

    Mais l'accès au secondaire et aux études supérieures s'est grandement démocratisé depuis la fin des années 60, début des années 70. Aujourd'hui, beaucoup d'enfants de milieux populaires accèdent au bac et au niveau supérieur.

    De plus, il y a eu un élargissement des filières et des carrières scolaires possibles. Depuis le début des années 80, nous n'avons plus un modèle unique d'enseignement « collège unique », mais la création de filières plus individualisantes en fonction des publics. Il y a donc bien eu prise de conscience.

    Mais a contrario, pour aller dans le sens de Bourdieu, c'est le diplôme du bac lui-même qui a perdu de sa valeur, puisque s'offrant au plus grand nombre, il n'est plus l'instrument latent de domination des classes dominantes. Cependant, il existe d'autres effets de domination tout aussi important que la domination de classe sociale ; il y a la domination sexuelle. On note une différence très nette entre les filières « molles », réservées aux femmes en majorité et les filières « nobles », davantage empruntée par les hommes. Même si cet écart tend à s'amenuiser d'années en années. La multiplication des filières a également contribué à un émiettement de la domination : pour le dire simplement, les filières générales (plus « nobles » sont valorisés, tandis que les filières professionnelles sont davantage disqualifiées aux yeux de l'institution scolaire elle-même et ses élèves également. Or, ces filières sont majoritairement empruntées par les milieux populaires.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>□ Etude de C. Baudelot et R. Establet[1]
    <o:p> </o:p>Ils essaient de montrer comment les structures de pensée inconsciente orientent les filles et les garçons différemment. Ils partent du postulat selon lequel la société et les comportements évoluent vers une plus grande égalité dans les rapports de sexe, mais que les structures externes aux individus eux-mêmes tendent à renforcer ses différences sexuées. C'est le cas de la famille qui va plus ou moins consciemment éduquer et opter pour des stratégies de carrières différemment selon le sexe de leur enfant.
    De là, l'école, pour eux, loin de réduire ces différences, va contribuer à les renforcer, involontairement la plupart du temps. Les qualités mises en avant, les attentes du corps enseignant vont différer selon le sexe. Les options et les conseils d'étude également, etc.
    <o:p> </o:p>Pourquoi, alors que les filles du CP à la terminale réussissent mieux et plus vite que les garçons sont-elles sur le marché du travail en seconde place ? Pourquoi les études les plus payantes (économiquement, socialement, professionnellement) sont davantage les choix des hommes que des femmes ?
    <o:p> </o:p>Conclusion de ce billet
    <o:p> </o:p>

    On peut donc dire  que la culture scolaire n'est pas une culture neutre, mais une culture de classe. Et que malgré la massification de l'entrée dans le secondaire et dans le supérieur, cela reste toujours vrai. Cependant, il faut aussi relativiser cette donnée. Puisque celle-ci étant apparue au grand jour depuis l'époque où Bourdieu écrit, l'institution a depuis perdu de sa légitimité. Elle intègre de plus en plus de nouvelles manières d'apprendre, centrant davantage son enseignement vers une culture « juvénile », vers une culture médiatique qui prend le relais de la culture des classes dominantes. On parle de culture de masse, de moyennisation de la culture.

    En outre, on a aussi crée des établissements et des filières différenciées, mais c'est vrai qu'il demeure une certaine conception de la réussite scolaire et de la culture qui correspond à une culture de la classe dominante.

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    Cela n'est pas sans conséquence sur le comportement et la réussite des élèves. En effet, plus la distance sera faible entre le contenu de la culture scolaire et celle de la culture familiale, plus la réussite au sein de l'institution sera élevée. Ce qui explique pourquoi ce sont les classes dominantes qui réussissent le mieux.

    -         Elles disposent d'un capital culturel plus important

    -         Les interactions familiales sont plus riches

    -         Elles possèdent davantage de biens culturels objectifs (livres, voyages, etc)

    -  Leur niveau de développement opératoire est plus important (cette thèse va contre la thèse piagétienne qui prône un universalisme essentialiste du développement cognitif de l'enfant, c'est-à-dire un développement identique, naturel, hors de tout contexte social, culturel, ethnique, etc.)

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    Toutes ces acquisitions propres à une classe sociale, à un milieu d'appartenance, constitue ce que Bourdieu appelle un habitus. Et ces acquisitions scolaires, renforcées par l'habitus de classe, vont produire leur effet à long terme. D'u côté, nous aurons ce qu'il appelle les « héritiers » (étudiants issus de la bourgeoisie) qui seront en nombre beaucoup plus important dans les études supérieures, de l'autre nous aurons les « boursiers » (étudiants issus des classes populaires) qui seront beaucoup moins nombreux à poursuivre leur scolarité.



    [1] Allez les filles, Points, Seuil, 1998.



  • Commentaires

    1
    Mardi 22 Janvier 2008 à 11:56
    WW2
    En anglais, on écrit WW2 (ou WWII). Voilà, c'était ma contribution que j'espère constructive.
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