• L'argent : un élément de la modernité

      

    Dans son ouvrage La philosophie de l'argent, Georg Simmel conceptualise son approche d'une sociologie formelle par la truchement de l'argent. Cela signifie que pour appréhender une réalité insaisissable, parce que irrémédiablement trop complexe, résultante d'une infinité d'actions individuelles, le sociologue va devoir s'appuyer sur des modèles, sur des constructions mentales (Kant) de compréhension du social. La réalité, pour être accessible, doit être simplifiée au travers de modèles particuliers. Et ces modèles représentent ce que Simmel appelle des « formes » à l'image de l' « idéal-type » de Weber, d'où la notion de sociologie formelle.

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    Cette approche théorique du social condamne les approches déterministes, visant à dégager des lois sociologiques universelles comme celles de Durkheim par exemple. Le but de cette approche consiste à rendre compréhensible une situation sociale, mais pas la totalité du social comme veulent le faire les lois sociologiques universelles. Pour Simmel, il est impossible de dégager des régularités sociales macroscopiques universelles du fait de la complexité du réel, de son état plus ou moins aléatoire et instable qui est le fait d'un fourmillement incessant d'actions individuelles. Comme tout part des individus, et comme l'action possible des individus est quasi-infinie, il est donc impossible d'en dégager des lois générales valables pour toutes les situations sociales.

    Non seulement il est inutile d'essayer de dégager des lois universelles, de s'orienter dans une approche déterministe du social, mais cela est même impossible, au risque de se tromper et d'avoir une approche erronée.

    C'est dans cette démarche intellectuelle et théorique qu'il faut comprendre et analyser sa philosophie de l'argent.

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    Dans cet ouvrage, Simmel se penche sur la question du lien social et de sa transformation dans le cadre de l'analyse de la donnée monétaire. Cette transformation du lien social va être éclairée par le rôle de la monnaie dans les échanges humains, monnaie qui va se retrouver au centre de l'articulation entre l'individuel et le collectif. La monnaie va être comprise comme une forme d'interaction sociale particulière, révélatrice de nos sociétés modernes individualistes.

    Il faut considérer l'argent comme une forme sociale. C'est-à-dire comme le produit des actions réciproques, partant des individus, mais qui va aller en s'émancipant jusqu'à acquérir sa propre autonomie, séparée des contenus individuels et sociaux qui l'ont conditionnés. A la fois forme liante qui permet l'échange, la réciprocité, à la fois forme séparante qui renferme l'individu sur lui-même.

    Et aussi forme sociale dans le sens où l'argent va être considéré comme un modèle – une forme – privilégiée de compréhension et d'analyse du social.

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    L'argent, comme toutes les formes sociales, a pris son autonomie par rapport aux individus et a développé ses propres lois et son propre domaine : l'économie. C'est à partir du XVIème siècle qu'en effet la monnaie s'affranchit progressivement de la tutelle des autorités politiques pour devenir l'affaire des banques qui la créent et des commerçants ou/et des industriels qui l'utilisent. Devenue une fin en soi, la monnaie exerce une influence grandissante sur les contenus de la société, et notamment les façons de penser, de voir et de considérer le monde. Le calcul rationnel, le chiffrage, le prix des choses, la rationalisation du monde, son morcellement sont quelques unes des conséquences de ce changement. L'individu prend l'habitude de tout mesurer et il s'efforce de tout calculer, coûts et profits, c'est-à-dire à rechercher l'objectivité.

    Crée au départ par les individus pour satisfaire leur besoin de sociabilité (la notion d'échange est la base même du lien social nous dit Lévi-Strauss), concourrant aux interactions, l'argent s'est petit à petit émancipé de ses créateurs pour s'autonomiser et s'institutionnaliser dans des organisations particulières, et au bout du compte, il a radicalement transformé les individus et leur relations. L'économie exerce une influence considérable sur le comportement des individus (mais à la différence de Marx pour qui l'économie est l'infrastructure qui fonde les comportements sociaux, Simmel dit que l'économie résulte de la psychologie individuelle, des actions réciproques).

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    L'argent est un révélateur de la situation sociologique de nos sociétés modernes et des individus qui les composent. Crée par les individus, il s'émancipe d'eux et en retour influent sur leur comportement, opère à l'objectivité, la rationalité, la quantification, l'intérêt individuel, etc.

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    De plus, au travers de l'argent, Simmel établit la relation entre échange monétaire et atomisation de la société dont l'individualisme est l'exemple phare. Mais parallèlement, il nous dit que l'argent accentue les interdépendances entre individus. On retrouve ici le pivot central de sa conception ontologique, où l'individu est à la fois force liante et déchirante, lié au monde et séparé du monde, individuel et collectif.

    Effectivement, l'argent est à la fois « force centrifuge » qui pousse les individus à se dissocier des autres et à se valoriser au travers de leur capital économique, et « force centripète », qui les pousse à se lier, à se rapprocher les uns des autres pour échanger.

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    La monnaie est devenue le moyen d'échange incontournable et l'instrument de prédilection de nos sociétés modernes. L'argent est le moyen le plus rationnel, le plus efficace car le moins coûteux par sa capacité à se convertir en marchandise (c'est-à-dire en bien). L'argent devient une fin en soi, non plus un moyen de paiement, d'échange. Car si les marchandises permettent aux individus de se rapprocher (logique de l'échange, interactions), la monnaie proprement dite les sépare (contentement narcissique). On se rapproche pour échanger un bien, pour l'acheter, on se sépare quand la monnaie a changé de mains.

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    Ainsi l'argent de par le développement des échanges monétaires a eu pour conséquence de renforcer l'autonomisation des individus par rapport à la société. L'individu dépend davantage de son argent que de la société. La société n'est là que pour l'assister ou l'accompagner s'il n'en a plus assez, ou pour lui en réclamer s'il en gagne suffisamment. L'argent travaille à l'autonomie de chacun. Car si auparavant, l'individu se confondait avec les fonctions que lui assignait la société (sociétés traditionnelles), il est aujourd'hui beaucoup moins dépendant d'elle et il les accepte d'autant mieux qu'il est plus libre de ses choix.

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    L'argent est donc pour Simmel un modèle d'analyse des transformations sociales, et plus particulièrement des transformations du lien social. Chez Durkheim, c'est la division du travail par exemple. Ce qui est important, c'est de voir que l'argent est considéré comme une forme sociale, c'est-à-dire une relation particulière d'individus à individus, qui permet de comprendre, de manière générale et non universelle et définie, la transformation du lien social dans nos sociétés. Et encore une fois, c'est au départ de l'individu que tout se situe.

    De plus, l'argent s'avère être en tant que forme sociale d'interactions, donc produit de l'action humaine, à la fois liant (l'échange, l'interdépendance) et déchirant (la thésaurisation, l'être par l'avoir, l'individualisme). En outre, il se trouve être réifié, autonomisé de son créateur. On retrouve bien toutes les caractéristiques des formes de socialisation – de la société – conceptualisés par Georg Simmel.

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 28 Février 2007 à 00:31
    en même temps
    Je venais justement de lire un truc là -dessus qui citait "La Philosophie de l'Argent" de Georg Simmel. C'est marrant. Et puis il y avait aussi la théorie freudo-keynésienne de l'argent et la chrématistique d'Aristote. De la bonne lecture. A+, nico. PS: Alors que je pourrais lire des ouvrages très intéressants sur les covariances d'erreur en assimilation de données...
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