• Bonjour,

    après plusieurs semaines de silence, me voici de retour.  La difficulté à tenir un blog à jour me fait préférer les billets succincts et j'espère incisifs (quand le sujet s'y prête) à la litanie du quotidien, cette fameuse et fabuleuse "aventure de la grisaille" comme aimait à l'appeler Roger Caillois, anthropologue dont je conseille par ailleurs vivement la lecture, notamment sur les notions de sacré et de profane (titre de l'un de ses ouvrages), ainsi que sur la théorie de la fête entendue comme effervescence collective et transgressive.

    Mes cours reprennent prochainement. Mes vacances se sont achevées après deux semaines magiques au Maroc. Me voilà de retour devant mon écran et mon clavier à glaner de nouvelles infos, à plonger dans la lecture d'ouvrages sociologiques afin de préparer mes cours pour la rentrée et tenter de vous faire part à nouveau de mes réflexions sur l'actualité ou sur des lectures effectuées.

    A bientôt. 

     


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    Aura lieu ? Aura pas lieu ? De quoi ? Le débat ! Quel débat ? Mais le débat du deuxième tour ? Evidemment qu'il aura lieu, le 2 mai au soir même, c'est prévu ! Non ! L'autre débat, celui dont tout le monde parle depuis trois jours ! Bayrou/Royal ! Le Débat, le Vrai ! Celui qu'on nous interdit ! Alors, il aura lieu ?

    Depuis trois jours, le microcosme politique, médiatique et l'ensemble des citoyens (une fois n'est pas coutume) sont tous frénétiquement agités par ce duel incroyable, parce qu'impossible. Une finale à trois, c'est du jamais vu ! C'est un scandale éhonté, hurlent les sirènes sarkozyennes depuis Paris. C'est une des vertus de la République de respecter la parole et la liberté de chacun rétorque la cohorte bayrouiste. Rien ne doit être interdit au nom d'un quelconque principe coutumier non inscrit invectivent les ségoliens.

    Non décidemment, cette campagne n'aura rien à voir avec les précédentes, et ce jusqu'au dernier jour ! Une finale à trois, avec un éliminé qui sort triomphant et un vainqueur glorieux du premier tour qui cherche à exister au second.

    Incroyable nous dit-on ! Supercherie, vandalisme, terrorisme intellectuel se pourfendent certains. On en est presque à oublier ce fameux débat des « vrais » finalistes.

    La démocratie a tranché, elle a choisi Mme Royal et M. Sarkozy. Point barre. Après cela, circulez ! Y' a rien à voir !

    Sauf que justement si ! Il y a quelque chose à voir !

    Ces deux finalistes sont tiraillés par leur dauphin commun, puisqu'ils savent que c'est au goal average qu'ils gagneront la finale, et donc tout dépend de la place du troisième. Tous deux se savent finalistes, mais la place de vainqueur et de second se décidera en fonction du match improbable qu'il leur reste à livrer. Celui du centre.

    Un partout, la balle au centre pourrait-on ironiser !

    Car l'affaire est bien là ! Nicolas a beau se gausser de réclamer une finale aux finalistes, qu'une finale de coupe du monde « ça se joue entre les deux premiers, jamais avec le troisième », il oublie aussi que parfois, c'est le troisième qui peut faire chuter le vainqueur.

    Deux sprinteurs et un rouleur. Le rouleur sait très bien qu'il ne gagnera pas à la « régulière » contre les deux sprinteurs. Mais il peut profiter de leurs positions. L'un des deux sprinteurs essayera de prendre sa roue pour assurer sa victoire. M. Sarkozy le sait, lui qui fait du vélo ! Le meilleur au final est celui qui a su prendre la bonne roue.

    Il y a quelque chose de sain à vouloir écouter la parole de 8 millions de français au moment de choisir son futur président. Il y a quelque chose de fondamentalement démocratique à ne pas vouloir éliminer les petits. Il y a en revanche quelque chose de parfaitement inadmissible à ne pas vouloir discuter avec autrui. Sous prétexte que l'on soit sorti de la course, on deviendrait un paria, un simple rejeton avec lequel il serait indigne de discuter, d'échanger. Une chiquenaude à balayer d'un revers de main ?

    Mai quel danger porte donc M. Bayrou pour inquiéter à ce point M. Sarkozy ? 8 millions d'électeurs potentiels peut-être ? Il faudrait donc les faire taire ? Les laisser dans l'expectative, ne pas les consulter ? Il suffirait de les contraindre à opérer un choix sans discussion préalable, sans échange d'idées. 

    Il n'y a rien de choquant à discuter avec le coureur éculé. Tant qu'on laisse la gloire au vainqueur et la finale aux finalistes. Ils auront bien le temps de s'expliquer le 2 mai. Pourquoi interdire le dialogue, pourquoi refuser l'ouverture, le débat, l'échange d'idées avec les autres entre temps ?

    Non, il est indigne de ne pas écouter près de 8 millions d'électeurs. La démocratie, ce n'est pas la dictature du plus fort, du plus grand nombre contrairement à une idée reçue. La démocratie, si elle se veut idéale, doit laisser s'exprimer les voix de tous. La démocratie, c'est aussi la possibilité d'écoute des petits, la liberté de ton des perdants, et pas seulement l'apanage des vainqueurs. Ne reste alors de démocratie que le nom, car le peuple est déjà ailleurs. Mais l'honneur est sauf, la République et la démocratie en sortent grandie : le débat aura bien lieu. D'ailleurs il a déjà eu lieu à l'heure qu'il est. Vive la démocratie ! Vive la République ! Mais pour combien de temps encore...

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    En ce jour d'élection, j'ai pris le parti de poster un court billet sur l'analyse du paupérisme faite par Tocqueville en 1835 et qui conserve une incroyable actualité.

    En 1833, après un voyage en Angleterre, Alexis de Tocqueville (1805-1859) se lance dans une réflexion sur les causes du paupérisme qui touche les pays en phase d'industrialisation. De cette réflexion sortira un essai, intitulé Le mémoire sur le paupérisme publié en 1835.

    Avant tout, il fait une distinction entre misérabilisme et paupérisme. Quand le premier touche les pays pauvres, non encore industrieux (Europe du Sud par exemple), le second est la spécificité des pays industriels, Angleterre et Nord de la France notamment à l'époque où il écrit. Le terme de paupérisme apparaît d'ailleurs en Angleterre en 1822.

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    ■ Tocqueville part du constat suivant, poser comme paradoxal, auquel il va tenter d'apporter une réponse. Comment expliquer ce phénomène en apparence contradictoire qui veut que ce soit dans les pays les plus riches que l'on observe la plus grande pauvreté ?

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    A partir du XIXème en Angleterre et dans une moindre mesure en France, on assiste à un mouvement sans précédent d'exode rural et paysan. La situation misérable du monde agricole et rural entraîne ces derniers à quitter les provinces pour gagner les zones urbaines et trouver un travail en usine. De fait, dans les grandes villes naissantes, le brassage est dense, les migrations internes et externes importantes et la ville s'édifie cahin-caha dans une sorte de brouhaha généralisé, où les solidarités anciennes, familiales, communautaires et religieuses se délitent au profit de liens plus superficiels et informels. Les individus urbains se retrouvent plus isolés. En outre, l'arrivée massive de main d'œuvre des villages et campagnes constitue un vivier exceptionnel de forces productives pour l'employeur. Celui-ci dispose d'une « armée de réserve » conséquente, pour reprendre une terminologie marxiste, sur laquelle il peut faire jouer la concurrence et réduire de manière drastique le salaire. Si bien que l'ouvrier du XIX se retrouve dans une situation de pauvreté et d'indigence souvent plus grande que celle qu'il pouvait connaître dans les campagnes. Son salaire est un « salaire de subsistance », mais vient à lui manquer le travail, il lui manque aussi de quoi survivre. Le paysan, mal loti avait au moins la chance de subvenir à ses besoins.

    Voilà pour le constat. Mais Tocqueville va développer une analyse prospective d'une grande pertinence, à partir de la lecture de la situation historique, sociale et économique de l'époque, que l'on pourrait résumer à travers son propos suivant :

    « Plus une société est riche, industrieuse, prospère, plus les jouissances du plus grand nombre deviennent variées et permanentes. »

    Ainsi, plus un pays s'enrichit, plus de nouveaux besoins apparaissent pour contenter l'enrichissement de la société. Par exemple, des habits propres, de biens superficiels, deviennent une nécessité. Si bien que celui qui n'en dispose pas, faute de moyen, est considéré comme pauvre et nécessiteux. Il réclame son dû comme il réclamait autrefois de quoi se nourrir. L'habit devient produit de nécessité, au même titre que la nourriture. En revanche, Tocqueville constate qu'en Espagne, au Portugal, nulle nécessité de porter l'habit propre. La population vit misérablement, mais elle ne vit pas pauvrement. Le vêtement ne constitue pas un besoin impérieux. « Dans un pays où la majorité est mal vêtue, mal logée, mal nourrie, qui penserait à donner au pauvre un vêtement propre, une nourriture saine, une commode demeure ? » En revanche, dans une société industrieuse, qui s'enrichit (on parlerait de croissance économique et de développement aujourd'hui), des jouissances nouvelles apparaissent qui deviennent bientôt des besoins. « L'homme naît avec des besoins et il se fait des besoins » nous dit Tocqueville. De ses besoins nouveaux, il se fait un devoir de les combler, sans quoi il sera considéré et se considérera lui-même comme pauvre. Ainsi, plus une société s'enrichit, plus la pauvreté doit également aller en s'accroissant, sauf à y trouver un remède, un moyen efficace d'enrichir le plus grand nombre sans appauvrir le reste de la population. Ce constat est partagé par l'auteur. « Si toutes ces réflexions sont justes, on concevra sans peine que plus les nations sont riches, plus le nombre de ceux qui ont recours à la charité publique doit e multiplier, puisque deux causes très puissantes tendent à ce résultat : chez ces nations, la classe la plus naturellement exposée aux besoins augmente sans cesse et, d'un autre côté les besoins s'augmentent et se diversifient eux-mêmes à l'infini. » L'auteur fait preuve ici d'une incroyable perspicacité théorique et empirique qui se vérifie toujours près de deux siècles après (même si les Trente Glorieuses ont laissé croire à l'égalitarisme social, à tel point que certains sociologues ont pu parlé à cette époque de l' « embourgeoisement de la classe ouvrière »).

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    Ainsi, plus un peuple, une société, un pays s'industrialise et s'enrichit, plus croît avec lui la part de sa population pauvre. Plus ces pauvres accèdent à des besoins, plus se créent de nouveaux besoins inaccessibles à eux-mêmes. Si bien que la richesse d'un pays peut se mesurer à l'ensemble des biens et services jugés comme « nécessaires » pour les individus qui y vivent. Plus un pays s'enrichit, plus ses « pauvres » s'appauvrissent puisque parallèlement à leur incapacité à subvenir à leurs besoins, s'ajoute de nouveaux besoins toujours indisponibles à leur situation.

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    ► Mais alors, comment faire pour éviter ce creusement économique et social entre riches et pauvres ? Comment faire pour éviter le mouvement de révolte sociale qui risque de se diffuser dans ces classes laborieuses, exploitées et indigentes qui constituent la manne principale de la société industrielle naissante ? C'est déjà le souhait que formulera Tocqueville bien conscient du danger social potentiel que représentent ces inégalités, et de l'inacceptabilité morale de la chose, en ces termes :

    «  A mesure que le mouvement actuel de civilisation se continuera, on verra croître les jouissances du plus grand nombre ; la société deviendra plus perfectionnée, plus savante ; l'existence sera plus aisée, plus douce, plus ornée, plus longue ; mais en même temps sachons le prévoir, le nombre de ceux qui auront besoin de recevoir l'appui de leur semblable pour recueillir une faible part de tous ces biens, le nombre de ceux-là s'accroîtra sans cesse. On pourra ralentir ce double mouvement ; les circonstances particulières dans lesquels les différents peuples sont placés précipiteront ou suspendront son cours ; mais il n'est donné à personne de l'arrêter. Hâtons nous donc de chercher les moyens d'atténuer les maux inévitables qu'il est déjà facile de prévoir. »

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    Une vision fataliste en guise de conclusion, loin d'être rassurante quant à l'avenir des sociétés industrielles. Pour autant, Tocqueville souligne bien la nécessité de ne pas tomber dans une vision  manichéenne. « Fixons sur l'avenir des sociétés modernes un regard calme et tranquille. » Mais succèdera à cet appel à demi-masqué à l'intervention de l'Etat dans la régulation de l'économie moderne de la part de Tocqueville, la théorie libérale qui deviendra la théorie économique dominante, formalisé autour la thèse de la « main invisible » du marché d'Adam Smith, jusqu'à la fameuse crise de 1929. Pourtant, cette approche tocquevilienne de la paupérisation semble se réactualiser depuis une vingtaine d'années, avec l'apparition de la précarisation des parcours professionnels, de la désaffiliation sociale (R. Castel), des « working poor », invitant nos deux futurs prétendants à se décider sur les mesures politiques sociales et économiques à prendre pour enrayer, ou tout au moins, infléchir le renouveau des situations de paupérisation de nos sociétés hypermodernes.


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  • Dans deux jours maintenant les présidentielles. Impossible de l'oublier, ou de passer à côté, tant la blogosphère, la médiasphère et tout autre « trucosphère » nous assaille de sujet, de débats, de discours, de petites phrases, de rumeurs, de vidéos, de réflexion, autour de nos candidats et de leurs campagnes respectives. Oh! Je ne m'en offusque pas, je suis le premier à suivre toute nouvelle information, à la recherche du moindre scoop disponible en temps réel sur la toile! Simplement, force est de constater que grâce (ou à cause?) de l'imminence de l'élection peu de bruit a été fait autour du procès de P. Bodein, de la mort de la jeune nantaise, du meurtre de la jeune fille par un chauffard ivre dans le Nord ou encore du procès des deux criminels incendiaires de Nohrane. Ces événements tragiques sont passés sous silence, ou pour le moins sont restés relativement secondaires, tant la campagne métastasait l'ensemble de la sphère médiatico-politique. Pas davantage de place pour le forcené de Virginia Tech, ce jeune sud coréen psychotique. Si! Tout juste en a t-on parler plus de deux jours car il avait eu la brillante idée de se filmer auparavant et de déposer la cassette de ses délires parono-schizophréno-déjantés dans un paquet direction NBC. Il avait tout prévu le bougre! Une vidéo, et quelques heures après une renommée internationale à coup de "youtube" et de "dailymotion". Sans doute était-il informé de la campagne présidentielle qui agitait le microcosme français. Quelques lignes sur son acte rien de plus, s'il n'y avait eu cette effarante vidéo, montrant un jeune homme agité, aux propos décousus, par moments christiques, par d'autres ultra-violents, ou encore à relents lénino-marxistes. Cette vidéo lui a permis d'exister un peu plus longtemps, quelques heures, voire quelques jours. Mais quelle existence! Une existence planétaire, universelle, mondialisée! Et les autres, ceux qu'il a tués? Rien! Niet! Wallouh! Pas un mot. Juste le récit de sa folle journée, les images en boucle de sa haine au monde. Les morts eux ne parlent pas nous dit-on. Certes, mais lui pourtant, n'a jamais été aussi vivant que maintenant. Jeune garçon réservé, enfermé, anti-social, isolé, aux propos et aux idées étranges, l'archétype même du timide compulsif, incapable de se lier aux autres, de s'ouvrir au monde. Tout portait à faire de lui un homme quelconque, dont personne n'aurait jamais entendu parler. Mais non! Il en a décidé autrement. Refusant le monde, se refusant lui-même tel qu'il était il a décidé de plier le monde à ses exigences, de s'asseoir sur la loi, sur la raison et sur l'idéal même de la vie en société. Il est sorti de chez lui et a semé la mort avant de se la donner, comme s'il savait qu'en récusant le monde, il sonnait son propre arrêt de mort. Oui mais voilà. Il a réussi son pari! L'espace d'une heure, d'un jour, il a mis le monde à ses bottes. Tout le monde connaît maintenant son visage. Le monde entier écrit sur lui, sur sa biographie, ses idées, son quotidien. Il va même avoir des supporters, des fans, sans doute un comité d'aficionados aussi timbrés que lui. Il a tué, l'image a fait le reste. L'ultra-violence comme gage de célébrité, l'image comme moyen et comme fin en soi. Passer à la télé!

    La campagne présidentielle aurait pu l'absorber comme toute autre actualité sordide, mais l'image l'a sauvé de la noyade. Il est resté accroché à nos TV quelques heures, cela a suffi à sa gloire. La campagne a repris, ou plutôt elle se poursuit, impassible. Rien a changé, sauf 32 morts de plus, 32 morts de trop. Mais après tout, pourquoi s'en offusquer? Tout cela était peut-être déjà écrit? Tout cela était peut-être génétique!


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    Dans son ouvrage La philosophie de l'argent, Georg Simmel conceptualise son approche d'une sociologie formelle par la truchement de l'argent. Cela signifie que pour appréhender une réalité insaisissable, parce que irrémédiablement trop complexe, résultante d'une infinité d'actions individuelles, le sociologue va devoir s'appuyer sur des modèles, sur des constructions mentales (Kant) de compréhension du social. La réalité, pour être accessible, doit être simplifiée au travers de modèles particuliers. Et ces modèles représentent ce que Simmel appelle des « formes » à l'image de l' « idéal-type » de Weber, d'où la notion de sociologie formelle.

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    Cette approche théorique du social condamne les approches déterministes, visant à dégager des lois sociologiques universelles comme celles de Durkheim par exemple. Le but de cette approche consiste à rendre compréhensible une situation sociale, mais pas la totalité du social comme veulent le faire les lois sociologiques universelles. Pour Simmel, il est impossible de dégager des régularités sociales macroscopiques universelles du fait de la complexité du réel, de son état plus ou moins aléatoire et instable qui est le fait d'un fourmillement incessant d'actions individuelles. Comme tout part des individus, et comme l'action possible des individus est quasi-infinie, il est donc impossible d'en dégager des lois générales valables pour toutes les situations sociales.

    Non seulement il est inutile d'essayer de dégager des lois universelles, de s'orienter dans une approche déterministe du social, mais cela est même impossible, au risque de se tromper et d'avoir une approche erronée.

    C'est dans cette démarche intellectuelle et théorique qu'il faut comprendre et analyser sa philosophie de l'argent.

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    Dans cet ouvrage, Simmel se penche sur la question du lien social et de sa transformation dans le cadre de l'analyse de la donnée monétaire. Cette transformation du lien social va être éclairée par le rôle de la monnaie dans les échanges humains, monnaie qui va se retrouver au centre de l'articulation entre l'individuel et le collectif. La monnaie va être comprise comme une forme d'interaction sociale particulière, révélatrice de nos sociétés modernes individualistes.

    Il faut considérer l'argent comme une forme sociale. C'est-à-dire comme le produit des actions réciproques, partant des individus, mais qui va aller en s'émancipant jusqu'à acquérir sa propre autonomie, séparée des contenus individuels et sociaux qui l'ont conditionnés. A la fois forme liante qui permet l'échange, la réciprocité, à la fois forme séparante qui renferme l'individu sur lui-même.

    Et aussi forme sociale dans le sens où l'argent va être considéré comme un modèle – une forme – privilégiée de compréhension et d'analyse du social.

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    L'argent, comme toutes les formes sociales, a pris son autonomie par rapport aux individus et a développé ses propres lois et son propre domaine : l'économie. C'est à partir du XVIème siècle qu'en effet la monnaie s'affranchit progressivement de la tutelle des autorités politiques pour devenir l'affaire des banques qui la créent et des commerçants ou/et des industriels qui l'utilisent. Devenue une fin en soi, la monnaie exerce une influence grandissante sur les contenus de la société, et notamment les façons de penser, de voir et de considérer le monde. Le calcul rationnel, le chiffrage, le prix des choses, la rationalisation du monde, son morcellement sont quelques unes des conséquences de ce changement. L'individu prend l'habitude de tout mesurer et il s'efforce de tout calculer, coûts et profits, c'est-à-dire à rechercher l'objectivité.

    Crée au départ par les individus pour satisfaire leur besoin de sociabilité (la notion d'échange est la base même du lien social nous dit Lévi-Strauss), concourrant aux interactions, l'argent s'est petit à petit émancipé de ses créateurs pour s'autonomiser et s'institutionnaliser dans des organisations particulières, et au bout du compte, il a radicalement transformé les individus et leur relations. L'économie exerce une influence considérable sur le comportement des individus (mais à la différence de Marx pour qui l'économie est l'infrastructure qui fonde les comportements sociaux, Simmel dit que l'économie résulte de la psychologie individuelle, des actions réciproques).

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    L'argent est un révélateur de la situation sociologique de nos sociétés modernes et des individus qui les composent. Crée par les individus, il s'émancipe d'eux et en retour influent sur leur comportement, opère à l'objectivité, la rationalité, la quantification, l'intérêt individuel, etc.

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    De plus, au travers de l'argent, Simmel établit la relation entre échange monétaire et atomisation de la société dont l'individualisme est l'exemple phare. Mais parallèlement, il nous dit que l'argent accentue les interdépendances entre individus. On retrouve ici le pivot central de sa conception ontologique, où l'individu est à la fois force liante et déchirante, lié au monde et séparé du monde, individuel et collectif.

    Effectivement, l'argent est à la fois « force centrifuge » qui pousse les individus à se dissocier des autres et à se valoriser au travers de leur capital économique, et « force centripète », qui les pousse à se lier, à se rapprocher les uns des autres pour échanger.

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    La monnaie est devenue le moyen d'échange incontournable et l'instrument de prédilection de nos sociétés modernes. L'argent est le moyen le plus rationnel, le plus efficace car le moins coûteux par sa capacité à se convertir en marchandise (c'est-à-dire en bien). L'argent devient une fin en soi, non plus un moyen de paiement, d'échange. Car si les marchandises permettent aux individus de se rapprocher (logique de l'échange, interactions), la monnaie proprement dite les sépare (contentement narcissique). On se rapproche pour échanger un bien, pour l'acheter, on se sépare quand la monnaie a changé de mains.

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    Ainsi l'argent de par le développement des échanges monétaires a eu pour conséquence de renforcer l'autonomisation des individus par rapport à la société. L'individu dépend davantage de son argent que de la société. La société n'est là que pour l'assister ou l'accompagner s'il n'en a plus assez, ou pour lui en réclamer s'il en gagne suffisamment. L'argent travaille à l'autonomie de chacun. Car si auparavant, l'individu se confondait avec les fonctions que lui assignait la société (sociétés traditionnelles), il est aujourd'hui beaucoup moins dépendant d'elle et il les accepte d'autant mieux qu'il est plus libre de ses choix.

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    L'argent est donc pour Simmel un modèle d'analyse des transformations sociales, et plus particulièrement des transformations du lien social. Chez Durkheim, c'est la division du travail par exemple. Ce qui est important, c'est de voir que l'argent est considéré comme une forme sociale, c'est-à-dire une relation particulière d'individus à individus, qui permet de comprendre, de manière générale et non universelle et définie, la transformation du lien social dans nos sociétés. Et encore une fois, c'est au départ de l'individu que tout se situe.

    De plus, l'argent s'avère être en tant que forme sociale d'interactions, donc produit de l'action humaine, à la fois liant (l'échange, l'interdépendance) et déchirant (la thésaurisation, l'être par l'avoir, l'individualisme). En outre, il se trouve être réifié, autonomisé de son créateur. On retrouve bien toutes les caractéristiques des formes de socialisation – de la société – conceptualisés par Georg Simmel.

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