• Digression autour du droit de propriété intellectuelle

     

    Après trois mois de silence, faute d'accès à internet, je reviens publier quelques réflexions avec force et entrain.

    Je vais aujourd'hui me livrer à un exercice périlleux. Mon objectif est de vous démontrer l'inévitable travail collectif qui préside à la conception d'une oeuvre individuelle, et donc bine sûr, partant de là, la nécessité de reconnaître comme non légitime le droit de propriété individuelle d'une oeuvre. Autrement dit, d'interdire le brevet ou la licence commerciale des idées. Certes, le propos peut paraître brutal ; d'aucuns penseront que ma thèse a des relents nauséabonds d'extrêmisme gauchisant. Mais prenons bien soin de détailler notre idée pour mieux la faire partager

    Pour cela procédons en plusieurs étapes : tout d'abord empruntons à Smith l'idée de division du travail et de l'intérêt qu'elle comporte.

    1. Si la division du travail est un effet du penchant des hommes au troc et à l'échange, elle a contribué à la spécialisation des tâches et des activités sociales. Ainsi, si des hommes se sont progressivement et lentement spécialisés, c'est davantage pour satisfaire aux exigences économiques et aux intérêts individuels qu'ils en ont tirés que par une quelconque vertu générale. Si l'échange est le support de la spécialisation, l'intérêt individuel en est donc la fin ultime. Jusque là, nous ne faisons que répéter ce qu'Adam Smith disait il y a plus de deux siècles de cela.

    Maintenant, essayons d'étudier les conséquences sur l'activité sociale de cette division du travail.

    2. La spécialisation est une forme interactive de relation sociale. Ainsi, la spécialisation des uns nécessite directement la spécialisation des autres. Disant cela, nous disons que si les uns capitalisent, d'autres travaillent. Et plus le premier pourra parfaire sa capitalisation, plus il faudra de travailleurs pour parfaire la capitalisation du premier, c'est-à-dire des producteurs.

    Ainsi, l'ultra-spécialisation s'entretient d'elle-même en permanence et s'auto-produit. L'ouvrier magasinier est d'autant plus performant et compétitif dans son secteur d'activités qu'il dispose d'un ouvrier et d'un chef d'atelier spécialisés dans leur domaines respectifs (principe du taylorisme).

    Conclusion : plus le travail est divisé, plus les tâches se perfectionnent.


    À partir de là, que voulons nous démontrer?

    Que le travail est toujours une relation sociale, qui lie les hommes entre eux, et les met dans une situation d'interdépendance permanente. Et que la condition de la réalisation du travail d'un seul dépend pour beaucoup de la condition du travail d'autrui.


    3. Ainsi en est-il de l'intellectuel qui ne l'est que dans la mesure où il a dévolu une partie de son travail à d'autres, pour mieux se consacrer à l'unique travail d'écriture et de théorisation. Si sa force de travail et son ouvrage sont de son esprit, il produira d'autant mieux et d'autant plus qu'il sera dégager des autres formes de travail qui encombreraient celui-ci.

    Par suite, la source première du progrès intellectuel, c'est donc le travail social. C'est parce que d'autres travaillent avec/pour lui que l'intellectuel peut s'affairer à réfléchir sans se laisser distraire par d'autres activités contingentes. Plus il a de temps pour penser et écrire, plus il est à même de produire. Mais plus il a de temps pour « produire », plus dans l'ombre, derrière la vitrine apparente de sa qualité, il y a d'hommes qui travaillent pour lui, afin de lui libérer ce temps nécessaire à son propre travail de production intellectuelle.


    Nous arrivons alors au terme de notre démonstration, qui, bien que succincte, mérite notre attention.

    4. En effet, suivant notre raisonnement, la production individuelle d'une oeuvre n'est en réalité que la somme des productions multiples et différenciées qui ont du s'accomplir en amont et dans le même temps pour mieux libérer du temps de création intellectuelle. Dès lors, nous constatons que la production d'une oeuvre intellectuelle, aussi singulière soit-elle, se fait toujours avec le travail d'autrui ; elle n'est pas isolée, mais entre dans un système complexe d'interdépendances multiples. Produit d'une singularité certes, mais production collective. L'idée d'un homme est le résultat du travail de plusieurs.

    L'artiste, l'intellectuel, l'inventeur sont des produits de la spécialisation du travail, comme les autres. Leur production est le fait d'un travail social. A ce titre, ils ne sont pas les seuls propriétaires de ce produit.

    Les droits de propriété intellectuelle d'une oeuvre sont alors une forme moderne de spoliation du travail. Certes, atténuée, mais ils relèvent de la même mécanique à l'œuvre que celle du profit du capital sur le travail de l'ouvrier.


    Au terme de notre démonstration, nous pouvons donc, en l'état actuel de la législation, en conclure la chose suivante :

    Créer, en définitive, c'est exploiter. En cela que le propriétaire de l'œuvre bénéficie des droits de propriété individuels sur son oeuvre. Or, l'œuvre, comme nous avons tenté de le démontrer, est plurielle, elle est le fruit d'un travail collectif. A ce titre, toute oeuvre est sociale.


    Toute oeuvre est en effet sociale à double titre :

    • elle appartient en partie à la communauté politique du fait qu'elle s'est constituée sur les bancs de l'école, dans les laboratoires et les bibliothèques offerts à l'individu notamment ;

    • elle appartient aussi à la collectivité sociale car, comme nous venons de le démontrer, le temps spécialisé de création est un temps libéré d'autre chose, et cet autre chose a justement pu être libéré par le travail d'autrui


    L'œuvre intellectuelle est donc une oeuvre collective ou elle est un vol.



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  • Commentaires

    3
    R.Biron
    Dimanche 26 Mai 2013 à 16:57
    sico sico par ci sico sico par là
    La chanson de la pub des années 1970, ''Sico Sico par ci, Sico Sico par là'' n'est pas une idée de Jacques Bouchard où Marcel Lefèbvre mais bien d'un inconnu qui travaillait à l'époque dans une succursale de Val Royal de Boucherville, 100 rue Demuy coin De Montbrun. Agée d'environ 22 ans je travaillait dans la cour à bois, mais un jour j'ai dû aider un confrère à l'intérieur, pour le montage d'un présentoir d'échantillons de couleurs SICO qui venait de faire son entrée en magasin. Pendant que j'effectuais l'assemblage du présentoir, je fit le lien avec mon enfance, d'une chanson que ma mère chantait en faisant ses tâches ménagères. Cette chanson était tico tico d'Alyse Roby . Je remplaçai les mots tico tico par sico sico, tout en tentant d'agencer une suite possible. Le gérant de l'époque, G.Bellazzi, écoutait discrètement la chanson sans laisser transparaitre quoi-que-ce soit. Un jour ce gérant invita des gens intéressés, qu'il installa dans son bureau et ouvrit la fenêtre afin que ses invités entendent bien . Il sorti pour me demander de chanter la chanson que j'avait chanté quelques temps auparavant. Pour lui faire plaisir, je lui ai chanté la chansonnette. En levant les yeux je me rendit compte que la fenêtre de son bureau était grande ouverte . Il était clair que ce qui intéressait le gérant c'était la chanson et surtout les paroles pour en tirer un profit quelconque. Je me suis dirigé vers le sous-sol pour fuir l'arnaque, mais le gérant m'a suivi afin de me soutirer la suite des paroles. Jamais le gérant ou tout autres personnes ne m'a offert d'utiliser mes paroles et mon idée pour une pub SICO.
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    2
    Lundi 1er Décembre 2008 à 21:54
    Du droit d'auteur
    Je ne la retrouve pas, mais je viens de lire celle-ci : "On a renoncé à me demander l'autorisation de dire mes Oeuvres sur les théâtres. On les dit partout sans me demander la permission. On a raison. Ce que j'écris n'est pas à moi. Je suis une chose publique." (Victor Hugo)
    1
    Lundi 1er Décembre 2008 à 21:44
    Du droit d'auteur
    De retour parmi les électrons qui circulent dans les tuyaux de l'internet, je te salue. Si je ne m'abuse, le droit d'auteur est une rétrocession. Par défaut, tout œuvre appartient à la collectivité qui rétrocède un droit à l'auteur pour lui permette de vivre et de poursuivre son œuvre dans l'intérêt de la collectivité, non ? Alors, forcément, la situation actuelle a quelque chose d'ubuesque quand on tente d'interdire au plus grand nombre l'accès à des oeuvres (musicales) sous prétexte de droits d'auteurs (et/ou de droits voisins). Et n'est-ce pas Hugo qui disait qu'entre le peuple et l'auteur, ce sera toujours à l'auteur de céder ?
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