• des défaillances du système (2)

     



    La pauvreté des Nations (2)





    Sur quoi repose exactement cette crise structurelle ? Quels sont les éléments d'analyse sociales et économiques permettant d'y répondre? Longtemps, et aujourd'hui encore les premières raisons mises en avant sont selon les idéologies et les discours alarmistes : la mondialisation, l'immigration, la tertiarisation, la dérégulation de l'économie. Mais comme souvent, ces responsables « tout désignés » sont loin d'être les véritables et uniques causes de la crise qui sévit en France depuis la fin des années 70.





    j'ai dit plus haut que la tertiarisation avait été un des éléments à prendre en compte dans la mesure des transformations de l'économie française. Mais elle n'est pas la seule. Souvent on accuse également la mondialisation de porter une grande part des responsabilités. Qu'en es-il exactement?













    • la mondialisation n'est pas un phénomène nouveau. Depuis que le capitalisme existe, il a toujours cherché à se développer au-delà de l'Etat-Nation. Néanmoins, il est vrai qu'à partir des années 70, on assiste à une accélération de ce processus via la multinationalisation des firmes. De plus en plus d'entreprises se développent hors de leur sol d'origine. Elles égrennent partout dans le monde via le système des IDE (investissements directs à l'étranger). Cela signifie qu'elle amène des capitaux à l'étranger soit en délocalisant une partie de leur production afin de conquérir un nouveau marché directement sur place (et ainsi éviter les barrières protectionnistes), soit elles envoient sous forme d'équipements, de machines des capitaux à l'étranger. En résumé, les firmes se multinationalisent. En outre, parallèlement à l'augmentation des IDE, on assiste à une augmentation de la contrainte extérieure (la contrainte extérieure, c'est simplement l'influence qu'exerce l'économie étrangère (production/consommation) sur celle du pays). En effet, à partir des années 70, les économies mondiales s'ouvrent davantage. Chaque pays est plus permissif à l'entrée. Ce faisant, les consommateurs y gagnent en partie, puisque l'ouverture induit la concurrence qui induit elle-même une concurrence pour la baisse des coûts et donc du prix d'achat des biens. Néanmoins, le problème qui s'est posé à la fin des années 70, c'est que l'Etat, pour minimiser les dangers de la crise conjoncturelle liée à l'envolée des cours du pétrole a continué à mettre en place une politique de relance économique de la demande (augmentation des dépenses publiques et baisse des taux d'intérêts pour inciter à la consommation). Mais cette demande s'est en partie reportée sur des biens de consommations extérieurs, issus de l'importation des pays étrangers (Europe, Etats-Unis). Ce qui fait qu'au lieu de relancer la demande de produits intérieurs, et donc la production, et par suite l'emploi, cette politique a eu pour effet pervers de faire poursuivre l'inflation sans enrayer la progression du chômage. La contrainte extérieure a donc pesé sur la « stagflation » française.





      Mais elle n'est pas la seule variable à considérer : au même moment, la demande des ménages a commencer à diminuer. Les débouchés pour les biens d'équipement des ménages s'essouflent. Se substitue une production qualitative à la production de type quantitativiste. Il faut renouveler les produits, et donc il fut innover. Les années 70 marquent la fin du modèle standardisé. (la voiture doit s'individualiser) La société française développe des idéaux d'individualisme, d'épanouissement personnel. On assiste alors à un changement structurel de la demande (qualité>quantité). En outre, les exportations de produits manufacturés diminuent également : les nouveaux pays émergents produisent eux-mêmes leurs biens. Cependant la spécialisation internationale avec le Sud perdurent pour les biens technologiques. Mais l'avantage des pays du Nord commence à se limiter à ses seuls produits à haute valeur ajoutée.









    • On a donc une diminution globale de la demande. Ce faisant, celle-ci induit une diminution de l'offre. Les entreprises constatant l'essoufflement de la demande vont davantage hésiter à investir, et ce d'autant plus que l'inflation grimpe, tandis que l'emploi diminue. On entre dans la crise. La production diminue, les entreprises vont tenter de trouver des moyens pour baisser les coûts de production : les salaires vont commencer à stagner après la forte évolution qu'ils avaient connu tout au long des Trente Glorieuses.





      L'idée qui consiste à dire que les pays du Nord ont perdu ce qu'on gagné les pays du Sud est fausse et purement idéologique. La théorie du jeu à somme nulle n'est pas vérifiée par les faits. Les pays émergents sont aussi de grands importateurs. En se développant, ils créent de la richesse et des désirs de consommation plus importants. Ils vont augmenter leur importations des pays du Nord afin de satisfaire leur demande grandissante. « La mondialisation n'est pas coupable » ( pour reprendre le titre de l'ouvrage de P. Krugman) des problèmes de chômage structurel qui touche la France.









    • Qu'est-ce qui explique alors la crise qui touche la France à partir de 1974? On a vu que l'explication conjoncturelle ne suffisait pas, que l'ouverture vers une économie mondialisée non plus. En réalité, depuis le milieu des années 70, ce qui explique le mieux la « croissance molle » dans laquelle notre pays est entré ce sont les gains de productivité. En effet, alors qu'ils étaient très élevés durant la période desTrente Glorieuses (pour l'Europe entre 1950 et 1973, la productivité horaire du travail a été de 2,7, entre 1973-1998 elle n'était plus que de 1,2. Pour la France, la situation est a peu près identique, elle a été divisée par plus de deux points : de 5,2 entre 1950-1973, elle a chuté à 2,5 entre 1973-1998). C'est la productivité moindre des facteurs de production qui explique en grande partie la faiblesse de la croissance. Autant celle du travail, comme on vient de le voir que celle de la productivité globale (c'est-à-dire du progrès technique). Pour faire simple, la croissance se mesure via la productivité des facteurs de production : on en retient souvent deux : le capital et le travail. Mais à eux deux, ils ne suffisent pas à expliquer l'entièreté de la croissance des pays du Nord. Il faut en ajouter un troisième qui est le facteur résiduel (Solow) plus fréquemment appelé le progrès technique. Or, sur la période qui débute en 1973, on constate que la productivité globale a diminué (fin du fordisme, modification structurelle de l'offre et de la demande).









    • Or, si la productivité diminue, les entreprises ont plus de mal à rembourser leur endettement contracté, les salaires n'augmentent plus alors même que l'inflation gagne l'ensemble de l'économie. Ce qui est gagné par les entreprises sert essentiellement à rembourser la part du capital investi, laissant alors une part congrue au travail. Ce faisant, la demande ralentit (salaires moindres et inflation continue), on entre dans une situation de « croissance molle ». Pour les régulationnistes (keynésiens), l'origine des crises du capitalisme est à rechercher dans les désajustements entre l'offre et la demande globale. Les gains issus de la production ne se répartissent pas nécessairement de façon harmonieuse entre les différents agents économiques, contrairement à ce qu'avançait le concept de «main invisible » de Smith. En effet, les gains de productivité moins élevés ont été redistribués en grande partie au capitalistes (investisseurs) et non aux travailleurs.









    • Or, depuis quelques années, on assiste à un renforcement des inégalités dans la répartition des revenus de la production. En effet, ce qui est investi à la base du processus de production doit être redistribué à sa sortie (sous forme de salaire pour le travail, de profits (Excédent Brut d'Exploitation ou EBE ) pour le capital). Or, depuis le début des années 90, on constate que la part allouée au travail s'amoindrit au profit de celle allouée au capital. Les grandes entreprises sont de moins en moins propriétaires de leur capital : elle font appels à des anonymes pour leur prêter des fonds : pour cela elles vendent des actions sur le marché financier. Ces actions sont achetées par des fonds de pension, d'investissements composés de multitudes de petits épargnants qui y ont placés leurs « bas de laine ». Effet pervers de la chose : en entrant en bourse, les entreprises augmentent leur part de capital, mais elles sont sous l'emprise des actionnaires qui attendent que leurs investissements soient fructueux. Aussi, ils « contraignent » les entreprises à faire des profits à court terme. Plus l'entreprise fera de profit, plus elle a de chance que ses actions soient cotées à la hausse et donc que les actionnaires ne revendent pas leurs participation. Le problème c'est que les entreprises doivent tout faire pour réduire leurs coûts au maximum afin de satisfaire les actionnaires (ce qu'on appelle aussi le capitalisme financier). Ainsi, ils sont conduits à licencier pour réduire les coûts salariaux, ou/et à délocaliser pour les mêmes raisons. Tout est bon pourvu que les profits augmentent et donc le retour sur investissements (ROE) des actionnaires. L'autre problème c'est que ces profits à courts termes peuvent s'avérer paradoxalement néfastes pour l'entreprise, qui réduit également sa part d'investissement en R&D. Or, on sait très bien que la recherche est la base de l'innovation et le moteur de la croissance. Les actionnaires, en se comportant comme de véritables « gloutons » (selon le terme de J. Peyrelevade, ancien patron du Crédit Lyonnais et de Suez) prennent le risque d'appauvrir l'économie réelle.





      Cette redistribution est accaparée pour une grande part par les rentiers alors qu'autrefois tout était fait pour les salariés. Les actionnaires s'enrichissent et avec eux les managers des grandes entreprises (sous forme de stock-option c'est-à-dire une quantité d'actions offertes à prix cassés et dont le chef d'entreprise peut revendre au prix du marché en se faisant un joli profit au passage. Ce qui le conduit également à jouer pour les actionnaires afin de voir le cours de ses actions grimper!) tandis que le travail dispose de revenus de moins en moins élevé.





      La croissance dès lors devient un fin en soi : s'il y a création de richesses, il y a mécaniquement plus de richesses à redistribuer. Le problème, c'est que la croissance devrait être un moyen d'accroître le développement et de réduire les inégalités et non une fin en soi. La croissance ne sert à rien si elle ne sert pas la réduction des inégalités. Or, c'est bien ce à quoi nous assistons aujourd'hui. Une croissance molle, à laquelle se superpose une redistribution inégale de la richesse créée au profit des plus aisés et des rentiers, et au détriment des travailleurs eux-mêmes. Si bien que l'on assiste depuis le début des années 90 à une nouvelle bipolarisation croissante de la société salariale, entre d'un côté les « inclus » (CDI, sécurité de l'emploi, rémunération élevé), de l'autre les « exclus » (main d'oeuvre flexible, bon marché, précarisation des conditions de vie).





      Si le politique peut et doit intervenir, c'est donc au niveau de la redistribution des richesses qu'il doit le faire. Et c'est encore là qu'il a le pouvoir politique d'agir! A bon entendeur...


  • Commentaires

    1
    Mardi 6 Février 2007 à 17:33
    pas simple...
    Je suis assez d'accord avec ton analyse. En rajoutant que les capitaux ont été presque entièrement détruits par deux guerres mondiales, il a été plus facile, au sortir de la guerre, de reprendre l'économie en main. Mais depuis ils se sont refait une santé et nous revenons à une problématique du XIXème siècle. Les capitaux et les rentiers exigent de la rentabilité à cours terme. Avec les conséquences possibles sur la pérennité du système (investissement, R&D, etc). En rajoutant à ça le vieillissement de la population dans le Nord et donc l'afflux de rentiers à courte vue et l'on voit que le problème n'est pas simple. Qu'on se rappelle la fin du XIXème et le début du XXème où les gouvernements tombaient quand les banques refusaient le budget de l'Etat. La situation aujourd'hui s'en rapproche. La banque centrale est redevenue totalement indépendante de l'Etat (en Europe pas aux USA). L'absence d'inflation ne permet plus de détruire le capital. Le chômage de masse est revenu (encore le XIXème). Comment l'Etat peut-il reprendre la main ? Et que faire s'il y arrive ?
    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :