• L'homme contemporain est un homme multiple, fragmenté, qui a plusieurs vies dans sa vie, multipliant (volontairement ou non) les emplois, les métiers, mais aussi les conquêtes, les amitiés, les amours. L'individu contemporain a des identités multiples et fragmentées : il n'est plus défini par son seul statut social (identité statutaire de type sociétaire), ni par son appartenance sociale ou communautaire (identité communautaire), il est beaucoup plus libre de ses choix, de ses engagements. Il peut très bien décider de s'engager dans un mouvement associatif prônant les vertus de l'entraide et des valeurs collectives tout en se revendiquant zélateur du libéralisme économique et du libre-échange. L'homme moderne pourrait être comparé à une espèce de « schizophrène social », écartelé entre des idées, des motivations, des sphères d'action parfois contradictoires.
    Il n'existe plus comme autrefois de grandes institutions, de grands systèmes structurant des identités individuelles.  Le parti communiste, entre autres, avait ce rôle de référence, de modèle structurant, notamment dans les catégories populaires et les quartiers ouvriers, en véhiculant une idée, une utopie, un modèle de société derrière lequel les individus se regroupaient. De la même manière, l'Eglise ou la religion d'une manière plus globale, ont également perdu ce rôle intégrateur, structurant des identités. Aujourd'hui, les dogmes, qu'ils soient religieux, politiques, idéologiques ne s'imposent plus à l'individu du dehors comme des modèles de référence et d'actions qui vont influencer sur son comportement, sur sa vie, qui vont lui permettre de trouver sa place et se définir une identité sociale précise. Ce ne sont plus à ce titre des faits sociaux contraignants (Durkheim).
    Non, aujourd'hui les individus sont plus libres, leurs comportements, leurs motivations d'action plus multiples, la société est plus visqueuse plus fluide. Elle laisse l'acteur libre de ses choix, de ses engagements, de ses modèles d'identification.

    Mais le problème, c'est qu'à trop individualiser la société, celle-ci manque aujourd'hui de consistance, elle se liquéfie. Absences de repères stables, de références qui parlent à tous (même la nation perd de sa pertinence au contact d'une société globale mondialisée). Par conséquent les individus devenus plus libres sont aussi plus fragiles, leurs identités fragmentées. Ils manquent de repères structurants. De plus en plus, ces repères sont individualisés et non plus collectifs (exemples des rituels de passage à l'âge adulte personnalisés Cf. David le Breton) ; il revient désormais à chacun de construire sa vie et de se construire au gré de ses expériences, de ses actions, de ses désirs. Si l'individualisation a permis à l'individu de sortir du piège de l'holisme contraignant et coercitif, en lui rendant sa part de liberté, c'est-à-dire sa distance au groupe, à la communauté, aux rôles sociaux, etc. elle semble aujourd'hui poser des problèmes nouveaux. Durkheim avait souligné combien la différenciation sociale au cœur de l'activité de production avait contribué à développer l'individualisme en spécifiant les rôles et les tâches de chacun dans la chaîne tayloriste (intégration verticale). Mais il avait précisé que la société devait néanmoins continuer à fournir des valeurs, des modèles communs à tous afin que les individus désormais différenciés constatent leur interdépendance et conservent un lien social (solidarité organique). A partir du moment où ces grandes valeurs, ces grandes institutions d'intégration sociale (Nation, Eglise, syndicats, famille, etc.) perdaient de leur légitimité, ne permettaient plus d'être des éléments de repères stables pour les individus, alors la société courrait un risque d'anomie. C'est-à-dire un manque à être, un manque de repères, un manque de sources d'identification collective permettant aux individus de se sentir intégrés et unis les uns aux autres.

    A l'heure actuelle, nous vivons une période de profonds bouleversements sociaux, culturels, idéologiques où la solidarité entre les individus et la cohésion sociale semble être mise à mal. Les identités politiques se délitent et varient fréquemment ; le religieux a perdu de son poids, même s'il semble ressurgir mais sous une forme différente, beaucoup plus individualisée ; la Nation devient un concept aux contours flous, diluée dans une mondialisation qui manque d'identité. (ce qui n'empêche pas que ressurgissent par ailleurs le spectre du nationalisme xénophobe, comme réponse à cette peur de la dilution généralisée). D'une manière générale, ce sont toutes les grandes institutions sociales qui font autorité qui paraissent perdre de leur légitimité. On voit aujourd'hui que la Justice, la Police, la Médecine elle-même commence à être touchée par ce phénomène de « délégitimation » sociale.

    Or, tout pouvoir passe par un processus de légitimation pour se faire accepter. Si cette légitimité est entamée, c'est l'ensemble du système de régulation qui chancelle. Tout pouvoir disait M. Weber passe invariablement par l'acceptation de celui qui obéit vis-à-vis de celui qui lui dit d'obéir. Pour que cette reconnaissance/acceptation opère ajoutait-il, elle doit passer pour être irréprochable, égale pour tous et s'appliquant à tous dans une société démocratique (rationnelle-légale). Si l'individu commence à remettre en question cette autorité, quelle qu'elle soit, alors l'autorité disparaît. Faire face  une crise de légitimité de l'institution, c'est en définitive faire face à une crise de l'autorité et du pouvoir de celle-ci. Il me semble bien qu'au cœur des transformations de la société qui opèrent sous nos yeux depuis une trentaine d'années, c'est le problème plus global de l'autorité qui est posée et plus particulièrement des formes de sa légitimité. (d'ailleurs c'est un sujet qui m'est cher car j'hésite à faire ma thèse desus)

    Certains auteurs en viennent à parler de processus de déliaison sociale (Roger Sue), de la "dissociété" (Jacques Généreux) au cœur d'une société hypermoderne. Peut-être. C'est ce que nous essaierons de développer plus loin. Mais à côté de cela, le « localisme » semble faire son apparition : régie de quartier, démocratie locale, régionalisme, développement des langues régionales, collectif d'entraide, mouvement associatif de proximité, sont quelques exemples de ces nouvelles formes d'organisation sociale qui se dessinent (encore très minoritaires) dans le paysage social et qui semblent aller à l'encontre de l'idée d'une crise du lien social, mais apparaîtraient plutôt comme les soubresauts d'une nouvelle mutation profonde des formes de solidarité dans nos sociétés contemporaines qui restent encore à étudier et à comprendre.


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    5 milliards d'euros ! C'est la somme colossale, faramineuse, dithyrambique qu'un homme, Un Seul apparemment (les majuscules ne sont pas de trop), a réussi à faire disparaître des comptes de la Société générale. Disparus, liquéfiés, envolés, Pff !

    5 milliards. En chiffre, l'impression visuelle est plus frappante : 5 000 000 000 ! Que de zéros. Mais au fait, combien cela fait 5 milliards ?

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    5 000 000 000 d'euros, c'est par exemple, nous dit Libération dans son article du 24 janvier, de quoi financer 5 plans banlieues (autrement plus nécessaire au lien social) ; c'est également presque de quoi financer deux nouveaux porte-avions rutilants (pour assurer la défense européenne) ; mais c'est aussi l'équivalent de 50 ans de Téléthon (et quelques milliers de vie qui espèrent) ; de 21 000 salaires de Nicolas Sarkozy (qui pourtant s'est récemment augmenté). Bref, les chiffres fournis par Libé parlent d'eux-mêmes.

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    Mais 5 milliards, c'est aussi plus du tiers du trou de la Sécu (et l'assurance maladie qui est sauvée). 5 milliards, c'est largement plus qu'il n'en faut pour redonner du pouvoir d'achat aux fonctionnaires. A l'ensemble des citoyens français, même. Oui, si l'on décidait de distribuer harmonieusement ces cinq milliards à l'ensemble de la population française, chacun recevrait environ 83€ sur son compte ! C'est plus que l'augmentation du Smic, du Rmi et de l'allocation veuvage réunie et pourtant celle-ci ne concerne pas tout le monde.

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    Mais surtout 5 milliards, pour que chacun arrive à se représenter à peu près ce que cela fait, il faut le comparer à des grandeurs qui nous sont proches, qui sont celles de la plupart des travailleurs en France. Cela correspond à 5 millions de Smic !

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    Sans vouloir être démagogue (un peu quand même, parce qu'il est de ces situations où il ne suffit pas de réagir raisonnablement, mais où il est inenvisageable de ne pas réagir émotionnellement), 5 000 000 de Smic, cela même ne parle pas tant les chiffres sont exceptionnels.

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    Prenons un individu lambda qui est proche de la retraite et qui a commencé à travailler vers 14 ans, en ayant un salaire maintenu au niveau du Smic, comme beaucoup des ouvriers de l'âge de nos parents. Une vie de travail (professionnel, j'entends) correspond aujourd'hui à 41 annuités de cotisations sociales avant de pouvoir profiter de sa retraite. L'individu qui toute sa vie aura gagné le Smic (en valeur actuelle, soit 1005€ net/mois) aura en tout et pour tout reçu un salaire s'élevant à 494 860 € au bout de 41 ans de travail. (arrondissons à 500 000).

    Pour atteindre ces 5 milliards réduits à néant en quelques secondes, il aurait fallu qu'il travaille dix mille fois plus longtemps, autrement dit si Dieu (mais il n'a rien à faire là-dedans) lui donnait vie jusque là, ce pauvre homme pourrait espérer réussir à concevoir ce que font 5 milliards d'euros à condition d'avoir travaillé pendant 410 000 ans sans s'arrêter ! Ce qui ramène notre homme à une époque bien antérieure à l'écriture, au commerce et au travail ! La société agricole n'existait pas encore à ces époques lointaines.  410 000 ans de labeur au Smic envolé en un clic et cela n'est rien nous dit-on ! Mais de qui se moque-t-on ? financièrement rien, mais moralement tout !

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    On commence à mesurer un peu mieux l'ampleur du déficit, et avec lui l'ampleur du scandale. A défaut de vivre 410 000 ans, il conviendrait peut-être mieux de dire que ces 5 milliards sont l' équivalent de 10 000 vies de salariés passées au Smic à travailler dans des conditions parfois pénibles pour assurer un avenir meilleur à ses enfants !

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    Mais peut-être suis-je trop naïf, trop idéaliste. Après tout 5 milliards, pour la finance mondiale c'est bien peu. Pour des Etats comme la France, comme les USA, etc., c'est une somme ridicule (d'après nos ministres). Et puis, ces 5 milliards de toute façon, s'ils n'avaient pas été perdus, détruits, volatilisés, (dématérialisés en un clic de souris), ils n'auraient en aucune manière été affectés aux revenus des ménages français, n'auraient pas été généreusement offert aux 3 millions de chômeurs (chiffre large, mais plus réaliste qui auraient contribué à relever leur pouvoir d'achat respectif de plus de 1600€ chacun !), mais seraient restés au profit de la Société Générale.

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    Car le plus scandaleux dans cette histoire, ce n'est pas autant la perte de ces 5 000 000 d'euros (sur le plan moral, si !) que le fait que la Société Générale ose avouer que cette perte ne l'affectera pas outre mesure. Mais alors, dans ce cas, si 5 milliards de perte de profit ne fait pas le malheur de la SocGen, pourquoi ne pas taxer les profits des entreprises du Cac40 pour mieux les réinvestir dans l'emploi, dans des politiques publiques, sociales, pour financer les dépenses de protection sociale, pour réduire la pauvreté, faciliter l'accès au logement, etc.

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    Je ne prétends pas vouloir taxer 5 milliards (pas de « 100%, je prends tout »), juste quelques « misérables » millions afin que leur utilisation soit efficace, qu'elle serve véritablement les intérêts des particuliers, des ménages, des familles.

    Mais j'entends déjà fondre les sirènes hurlantes de l'atavisme révolutionnaire dont on me pourfendra. Le monde doit s'adapter à son époque, Marx est dépassé, Besancenot est utopiste. Peut-être, oui. Peut-être que l'idée est trop simple, voire simpliste même. Mais nous semblons oublier trop vite un détail essentiel de cette rhétorique libérale : si le monde doit s'adapter à son époque, celle-ci n'existe pas sans les hommes qui la font. Ce sont avant tout des choix politiques qui ont conduit à l'état actuel des choses et de l'avancée du monde.

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    Une dernière chose : un petit truc en fait. Un conseil que je vous donne. Quand les chiffres sont aussi élevés, j'use d'un petit subterfuge bien pratique : je passe de la monnaie à la grandeur temporelle. Chaque euro vaut une seconde. Et là, immédiatement on mesure mieux l'ampleur des chiffres.

    Si 5 milliards d'euros valaient 5 milliards de secondes, de l'heure où je vous parle et où je publie ce billet, c'est-à-dire depuis 17h, ce lundi 28 janvier 2008, et si je remontais le temps à hauteur de ce nombre, nous serions aujourd'hui un certain jour de février 1849, c'est-à-dire quelques mois seulement après la seconde révolution française et le soulèvement populaire qui a conduit à faire abdiquer le Roi et mettre fin à la Monarchie de Juillet pour instaurer la IIème République.

    Ironie de l'histoire, non ? En ces sarkomonarchismes modernes...
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    Je viens de terminer la lecture ce matin d'un grand classique de la littérature française, à savoir Le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo. Ce roman est un véritable plaidoyer contre la peine de mort alors en vigueur au moment où Hugo écrit, en 1829.

    Sur une petite centaine de pages, l'auteur nous raconte, par la plume du narrateur, qui n'est autre que le condamné lui-même – d'ailleurs dans sa première préface, Hugo laissait le doute planer quant à l'auteur de ces lignes, usant du subterfuge qui veut que l'éditeur ait trouvé quelques feuillets jaunis perdus dans un cachot, qu'il s'empressa de publier ou alors que l'histoire eut jailli de quelque poète bien informé sur les turpitudes de l'âme d'un condamné.

    Il faut préciser qu'à l'époque où l'auteur écrit, la peine de mort est un acte de justice sociale, qui vient punir et venger une action délictueuse, un crime impardonnable. Si la peine de mort est considérée juste, l'exécution de la sentence est une fête, qui regroupe badauds et curieux sur la place publique (en l'occurrence dans le présent ouvrage, il s'agit de la place de Grève à Paris).

    Ainsi, pour mieux comprendre et éprouver l'absolue modernité de l'œuvre et le progressisme profond de son auteur, il convient de bien mesurer le contexte social et historique dans lequel l'œuvre puise toute sa noblesse.

     

    A sa sortie, l'ouvrage fit grand bruit ! Hugo fut raillé comme un vulgaire poète illusionné, à la naïveté enfantine. Mais l'Histoire lui donna raison. Il avait juste eu le tort d'avoir raison trop tôt.

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    Avant de revenir sur quelques passages magnifiques de la préface de 1832 que l'auteur consacra à défendre l'abolition de la peine de mort avec une plume acerbe une prose magistrale à l'encontre de la justice, revenons rapidement sur l'œuvre proprement dite.

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    Hugo y relate les derniers jours d'un homme condamné à mourir. Pour donner corps et force à son récit, l'auteur ne situe ni le crime, ni l'histoire du personnage, afin de ne pas en faire un héros, un martyr, un personnage particulier, mais un individu quelconque, comme tout un chacun. Il ne fait que le récit bref (100 pages), multiple (49 chapitres) des pensées, sentiments, angoisse, espérances, doutes, peurs, désespoir de ce condamné à mort qui sait son sort fixé, la date et l'heure précises de sa mort programmée. Hugo décrit à travers la plume du narrateur les tourments qu agitent l'âme, les pensées contradictoires, la vanité des choses, bref la grisaille quotidienne des heures étranges qui vous séparent de la mort, où le personnel est étrangement aimable : curé, gendarmes, bourreaux. Ce qui fera dire à Hugo cette phrase devenue célèbre : « Ces bourreaux sont des gens doux », quand voulant couper les cheveux du condamné quelques minutes avant de l'amener à la potence, et croyant l'avoir écorché il lui demanda de bien vouloir l'excuser s'il lui avait fait mal.

    Mots simples, qui passeraient inaperçus dans un autre contexte, mais qui se chargent alors d'une ironie sordide, faisant ressortir la dimension tragique du lieu, de l'instant. Et de l'échafaud qui lui, sait que l'heure approche et que ce qui doit être fait là, sera fait là.

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    Le récit prend fin à quelques secondes du couperet fatal. Le condamné est sur l'échafaud, il lui reste quelques minutes de vie et il confie comme dernière volonté, vouloir un stylo et du papier afin de terminer son récit jusqu'au bout. Quatre heures sonne ; l'histoire prend fin.

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    Mais plus que le récit du condamné, ce qui m'a profondément marqué, c'est la seconde préface que fait l'auteur à son édition de 1832 (le premier ouvrage fut publié en 1829). C'est une véritable diatribe contre le système judiciaire, contre les juges et les politiciens. Hugo précise ici qu'il ne s'adresse pas aux intellectuels ou aux artistes mais aux hommes de lois, aux dialecticiens. « Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de lois, aux dialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment la peine de mort pour la peine de mort, pour sa beauté, pour sa bonté, pour sa grâce. » 

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    Pour donner corps à sa diatribe, Hugo fait ici le récit de trois ou quatre exécutions qui se sont « mal passées », notamment l'épisode suivant où le bourreau dut s'y reprendre à cinq fois, sans succès ... avant que son valet ne saute sur le supplicié pour achever de trancher avec un couteau la partie de la tête encore attachée au tronc tandis que l'homme était toujours en vie et hurlait de douleur.

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    Bref, la préface est d'une beauté tragique, où l'auteur critique l'hypocrisie des parlementaires, (à l'époque des illustres hommes furent condamnés : on décida alors de poser la question de la peine de mort ; on décida de l'abolir mollement, maladroitement, de manière vile afin de sauver ces quatre pauvres hommes, mais on enterra le dossier et tous les condamnés qui s'étaient cru sauvé de la mort eurent le plaisir de constater qu'il n'en était rien), la main ensanglantée de la justice, où il n'hésite pas à parler des juges comme des assassins.

    <o:p> </o:p>Ce passage où à propos du procureur royal voilà ce qu'il dit : « N'est-il pas vrai que tandis qu'il écrit, sous sa table, dans l'ombre, il a probablement le bourreau accroupi à ses pieds, et qu'il arrête de temps en temps sa plume pour lui dire, comme un maître à son chien : - Paix, là ! paix là ! tu vas avoir ton os ! »

    Une phrase mieux que tout autre résume le point de vue de l'auteur : « Sous la patte de velours du juge, on sent les ongles du bourreau. »

    <o:p> </o:p>

    Puis Hugo termine sa préface par une ouverture sur l'avenir, comme pour mieux prendre l'Histoire à témoin. Où il expose ce que devrait être la justice de son temps, sans aucun doute ce qu'elle sera demain. Où expose t-il, comme on peut regretter les rois, il demeure la patrie ; comme on peut regretter Dieu, il demeure la foi ; mais on ne pourra regretter le bourreau. S'y substituera une justice véritablement juste, qui ne prendra pas ce qu'elle n'a pas donnée. Qui ne vengera pas, ce n'est pas là son rôle, qui ne punira pas, ce n'est pas là sa seule fonction.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    Il est des moments où il fait bon relire certains classiques. Celui-ci en est un. Où l'on entend, plus ou moins sourdement résonner les pas sur l'échafaud. La peine de mort est une abomination. Non pas parce qu'elle tue (cela suffit déjà !) mais parce qu'elle est une insulte à la notion même de justice. Victor Hugo l'avait remarquablement bien repéré et décrit il y a plus d'un siècle et demi. Il est vivement conseillé de relire cet ouvrage (ou de le lire) et notamment cette magistrale préface.

    Lire Le dernier jour d'un condamné, c'est presque faire œuvre de salubrité publique.

    <o:p> </o:p>

    Cela m'a fait repenser à une situation récemment apparue. Si le père du petit Enis (je crois que c'était son nom) avait raison quand il disait vouloir que la peine de mort s'applique pour les tueurs d'enfants, il réagissait en tant que père, en tant que victime. Il était dans son « bon » droit. En revanche, le Président de la République, garant des institutions et du bon fonctionnement de la  Justice se devait de s'y opposer. A travers sa voix, c'est la Justice qui doit parler, pas l'homme.

    Je terminerai juste par cette dernière phrase empruntée à V. Hugo qui résume bien ce qu'est la justice et ce qu'elle doit continuer à être.

     « Mais reprend-on, il faut que la société se venge, que la société punisse. Ni l'un ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas « punir pour se venger » ; elle doit corriger pour améliorer »


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  • Les sociétés démocratiques se caractérisent selon Tocqueville (1805-1849) par l'égalisation des conditions, par l'égalité sociale qui supplante l'héritage héréditaire et biologique (notion de contrat social). A ce titre, l'école apparaît comme un instrument concret de réalisation de cet idéal démocratique, notamment depuis la massification de l'accès à l'enseignement secondaire et universitaire. Mais la généralisation de l'accès contribue t-elle véritablement à une démocratisation de la réussite? c'est la thèse que je développerai au travers de ce premier billet avant de compléter l'approche par un futur post.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p></o:p> I.                  La généralisation de l'accès
    <o:p> </o:p>

    La massification de l'enseignement qui s'est développé dans les années 60-70 s'est-elle accompagnée d'une plus grande égalité des chances ? Démocratisation et égalité des chances sont-elles corrélatives ?

    <o:p> </o:p>

    L'idée développée consiste à penser deux choses :

    -  l'enseignement permet la réduction des inégalités (émancipation, socle commun de savoirs qui "libère" l'individu et socialise à l'identique tous les élèves )

    - plus l'enseignement croît, plus grande sera la mobilité sociale.

    <o:p> </o:p>

    C'est suivant cette idée que s'est forgée le système d'enseignement en France. Dès le départ, on a deux systèmes : l'école primaire pour tous (Jules Ferry en 1881) et l'enseignement supérieur pour l'élite (Louis Liard). Respectant le précepte d'Aristote selon lequel une égalité réelle doit traiter inégalement les inégaux et également les égaux. Ainsi, deux systèmes voient le jour : un pour le peuple, un pour l'élite correspondant à l'enseignement secondaire classique.

    Soucieux de l'ouverture de l'enseignement supérieur, ils mettent en place un système de bourses dès 1880.  Entre 1880 et 1914, la France est encore rurale et paysanne à plus de 50%. Ce système de bourses a ainsi permis à certains enfants issus de milieux populaires d'accéder à l'enseignement supérieur.

    <o:p> </o:p>

    Mais c'est au sortir de la seconde guerre mondiale qu'un véritable système de démocratisation de l'enseignement se met en place (partout en Europe). Au début des années 60, on assiste à la généralisation progressive de l'enseignement secondaire Le secondaire s'ouvre aux classes populaires, puis le supérieur suit. Néanmoins, en 1960, on a encore 80% d'enfants de cadres supérieurs dans l'enseignement supérieur contre 5% d'enfants d'ouvriers et de paysans.

    <o:p> </o:p>

    En France jusque dans les années 60, on distingue deux systèmes séparés :

    -         système primaire (généralisé et donc ouvert aux milieux populaires)

    -         système secondaire (milieu bourgeois)

    Les deux ont longtemps été radicalement séparés. Puis l'enseignement secondaire va se généraliser à toutes les catégories sociales. On va supprimer le concours d'entrée en 6ème. Au début des années 70, on constate dans les faits la généralisation de l'accès au collège. Le rythme est variable et dépend des lieux et des milieux sociaux, mais il est prégnant.

    Il y a deux étapes dans cette généralisation de l'accès au secondaire :

    -         la première : vague collégienne (années 60-70)

    -         la seconde : vague lycéenne (années 70)

    On assiste alors à un mouvement global de démocratisation de l'accès au secondaire. Pour ne prendre que deux exemples, le taux de scolarisation des enfants de 16 ans était de 7,5% chez les agriculteurs exploitants en 1954 contre 98% en 1982. Chez les ouvriers, ce chiffre passe de 16% en 1954 à plus de 95% en 1982.

    <o:p> </o:p>

    ° Le taux de scolarisation augmente pour toutes les classes sociales. La durée de vie des jeunes dans l'enseignement croît avec le temps. L'école est donc de plus en plus une instance socialisante pour l'ensemble de la population juvénile.

    <o:p> </o:p>

    ° Si le taux de scolarisation reflète le degré d'inégalité des chances scolaires, on peut raisonnablement penser que celui-ci a fortement  diminué depuis 1954. En 1982, presque 100% des enfants sont scolarisés à 16 ans, toutes classes sociales confondues. La reproduction des inégalités aurait été confirmée si les taux d'arrivée, même en augmentant étaient restés proportionnels au départ. Mais il n'y a pas de translation de l'ordre sur les classes sociales. Au contraire on observe une déformation de la structure.

    <o:p> </o:p>

    A la lecture du tableau, on constate qu'il y a bien eu une démocratisation de l'accès à l'école et au secondaire depuis la 2WW. Certes l'école rendue obligatoire jusqu'à 16 ans a fortement contribué au renforcement des classes dominées dans l'enseignement. L'accession massive et démocratique à l'école permet aussi un meilleur contrôle social des populations. L'Ecole supplantant la famille dans l'apprentissage des savoirs, du savoir-faire et dans les connaissances.

    Néanmoins, derrière ce constat partagé d'une généralisation de l'accès, des études tendent à montrer qu'au sein du système d'enseignement, des inégalités persistent.  Au milieu des années 60, Bourdieu fait sensation avec son ouvrage Les héritiers dans lequel il montre comment la culture scolaire s'est appropriée arbitrairement la culture bourgeoise, créant un fossé de difficulté pour les enfants issus de milieux populaires afin d'acquérir le savoir et les connaissances légitimés par l'institution scolaire (violence symbolique, et domination inconsciente).

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>II.      L'Ecole : un instrument de reproduction sociale
    <o:p> </o:p>

    Ses études vont permettre de montrer que l'école reproduit les inégalités sociales. Ce qui importe c'est donc de savoir par quels processus l'école va reproduire ces inégalités.  L'école va offrir ce que la culture bourgeoise dominante propose. L'école va donc se révéler être un instrument de domination inconsciente des classes populaires.

    <o:p> </o:p>A.                             Un instrument de domination latent
    <o:p> </o:p>1.                              la culture scolaire ou la culture des classes dominantes
    <o:p> </o:p>

    Bourdieu va mettre à jour les mécanismes de domination qui opèrent au sein de l'école. Il  va constater que le système scolaire adopte les mêmes schémas de pensée que la classe dominante dans l'évaluation des élèves. Ses études vont permettre de dégager des homologies (des manières de penser semblables) entre la classe dominante et le système scolaire. En effet, il va montrer que les représentations et les pratiques des classes dominantes sont semblables au mode de fonctionnement de l'école.

    Par exemple, l'école va privilégier et donc légitimer une certaine forme de « culture », axée sur la littérature classique, Zola, Flaubert, etc. Au détriment d'une autre forme de « culture » comme les BD, les romans de science-fiction, qui vont être considérés comme obsolète, comme des biens non « culturellement » légitimes. De ce fait, l'école s'empare des mêmes critères d'évaluation que la classe dominante qui elle-même privilégie la lecture de littérature classique, des grands auteurs plutôt que la « sous-culture » qu'est la BD par exemple.

    A ce titre, l'école va renforcer l'inégalité sociale en légitimant une certaine forme de culture, celle homologue aux classes dominantes. Si bien que des enfants de classe populaire devront faire un double apprentissage en rapport aux enfants des classes dominantes. D'une part, la remise en cause de leur « culture » de classe au profit de celles des dominants, d'autre part l'inculcation de nouvelles valeurs culturelles.

    <o:p> </o:p>

    Le phénomène d'acculturation

    Le rapport entre les différentes cultures provoque une acculturation aux conséquences inégalitaires. L'absence d'homologie entre classes dominées et classes dominantes s'engage dans un processus d'acculturation des dominés.

    Dans un premier temps, il y a « déculturation » de leur culture d'origine, de leur habitus incorporé, afin dans un deuxième temps, lorsque cela se fait, ils parviennent à accéder à la culture scolaire (culture bourgeoise) ce qui conduit à l'acculturation.

    <o:p> </o:p>

    La culture des classes dominantes va être transformée par l'institution scolaire en culture de référence, en culture légitime, objectivable et indiscutable. En réalité, cette culture scolaire n'a rien d'arbitraire dans ces choix. Mais ce qui se passe, c'est que l'école va destituer la culture populaire en la décrédibilisant aux yeux des élèves, au profit d'une culture plus propice aux classes supérieures. Ainsi, la domination perdure.

    <o:p> </o:p>

    On décrète ce qui est bon : ce qui est bon est ce qui est arbitrairement décidé par l'école : cet arbitraire correspond au même arbitraire que les classes dominantes ; la culture scolaire est une culture de classe dominante ; les élèves des classes dominées acceptent et intègrent les bonnes manières de penser, de se « cultiver » ; ils légitiment la culture scolaire ; la domination inconsciente, latente opère, ce que Bourdieu nomme la « violence symbolique ».

    <o:p> </o:p>

    De la même manière, la sélection des disciplines enseignées et jugées les plus méritantes comme le latin, le grec sont le produit de rapports de force entre classes sociales. A l'époque où Bourdieu fait son constat (années 60), les filières littéraires sont les plus honorables et privilégiées. Pour lui, cela montre bien la domination qui s'exerce au sein de l'école des classes dominantes sur les dominés, puisque la littérature est le bien culturel par excellence des classes supérieures. On pourrait critiquer son approche aujourd'hui, au vu de la filière scientifique qui est privilégiée sur la filière littéraire. Celle-ci se rapportant davantage à des aptitudes cognitives, non agrémentées de connaissances culturelles spécifiques, donc apparemment  socialement plus égalitaires (mais en revanche sexuellement différenciée).

    Mais l'accès au secondaire et aux études supérieures s'est grandement démocratisé depuis la fin des années 60, début des années 70. Aujourd'hui, beaucoup d'enfants de milieux populaires accèdent au bac et au niveau supérieur.

    De plus, il y a eu un élargissement des filières et des carrières scolaires possibles. Depuis le début des années 80, nous n'avons plus un modèle unique d'enseignement « collège unique », mais la création de filières plus individualisantes en fonction des publics. Il y a donc bien eu prise de conscience.

    Mais a contrario, pour aller dans le sens de Bourdieu, c'est le diplôme du bac lui-même qui a perdu de sa valeur, puisque s'offrant au plus grand nombre, il n'est plus l'instrument latent de domination des classes dominantes. Cependant, il existe d'autres effets de domination tout aussi important que la domination de classe sociale ; il y a la domination sexuelle. On note une différence très nette entre les filières « molles », réservées aux femmes en majorité et les filières « nobles », davantage empruntée par les hommes. Même si cet écart tend à s'amenuiser d'années en années. La multiplication des filières a également contribué à un émiettement de la domination : pour le dire simplement, les filières générales (plus « nobles » sont valorisés, tandis que les filières professionnelles sont davantage disqualifiées aux yeux de l'institution scolaire elle-même et ses élèves également. Or, ces filières sont majoritairement empruntées par les milieux populaires.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>□ Etude de C. Baudelot et R. Establet[1]
    <o:p> </o:p>Ils essaient de montrer comment les structures de pensée inconsciente orientent les filles et les garçons différemment. Ils partent du postulat selon lequel la société et les comportements évoluent vers une plus grande égalité dans les rapports de sexe, mais que les structures externes aux individus eux-mêmes tendent à renforcer ses différences sexuées. C'est le cas de la famille qui va plus ou moins consciemment éduquer et opter pour des stratégies de carrières différemment selon le sexe de leur enfant.
    De là, l'école, pour eux, loin de réduire ces différences, va contribuer à les renforcer, involontairement la plupart du temps. Les qualités mises en avant, les attentes du corps enseignant vont différer selon le sexe. Les options et les conseils d'étude également, etc.
    <o:p> </o:p>Pourquoi, alors que les filles du CP à la terminale réussissent mieux et plus vite que les garçons sont-elles sur le marché du travail en seconde place ? Pourquoi les études les plus payantes (économiquement, socialement, professionnellement) sont davantage les choix des hommes que des femmes ?
    <o:p> </o:p>Conclusion de ce billet
    <o:p> </o:p>

    On peut donc dire  que la culture scolaire n'est pas une culture neutre, mais une culture de classe. Et que malgré la massification de l'entrée dans le secondaire et dans le supérieur, cela reste toujours vrai. Cependant, il faut aussi relativiser cette donnée. Puisque celle-ci étant apparue au grand jour depuis l'époque où Bourdieu écrit, l'institution a depuis perdu de sa légitimité. Elle intègre de plus en plus de nouvelles manières d'apprendre, centrant davantage son enseignement vers une culture « juvénile », vers une culture médiatique qui prend le relais de la culture des classes dominantes. On parle de culture de masse, de moyennisation de la culture.

    En outre, on a aussi crée des établissements et des filières différenciées, mais c'est vrai qu'il demeure une certaine conception de la réussite scolaire et de la culture qui correspond à une culture de la classe dominante.

    <o:p> </o:p>

    Cela n'est pas sans conséquence sur le comportement et la réussite des élèves. En effet, plus la distance sera faible entre le contenu de la culture scolaire et celle de la culture familiale, plus la réussite au sein de l'institution sera élevée. Ce qui explique pourquoi ce sont les classes dominantes qui réussissent le mieux.

    -         Elles disposent d'un capital culturel plus important

    -         Les interactions familiales sont plus riches

    -         Elles possèdent davantage de biens culturels objectifs (livres, voyages, etc)

    -  Leur niveau de développement opératoire est plus important (cette thèse va contre la thèse piagétienne qui prône un universalisme essentialiste du développement cognitif de l'enfant, c'est-à-dire un développement identique, naturel, hors de tout contexte social, culturel, ethnique, etc.)

    <o:p> </o:p>

    Toutes ces acquisitions propres à une classe sociale, à un milieu d'appartenance, constitue ce que Bourdieu appelle un habitus. Et ces acquisitions scolaires, renforcées par l'habitus de classe, vont produire leur effet à long terme. D'u côté, nous aurons ce qu'il appelle les « héritiers » (étudiants issus de la bourgeoisie) qui seront en nombre beaucoup plus important dans les études supérieures, de l'autre nous aurons les « boursiers » (étudiants issus des classes populaires) qui seront beaucoup moins nombreux à poursuivre leur scolarité.



    [1] Allez les filles, Points, Seuil, 1998.



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    Voilà ! c'est fait ! Les syndicats ont dit oui !

    Ce mardi 15 janvier 2008, ils ont majoritairement accepté (CGC, CFTC et FO pour l'instant, la CFDT se prononcera jeudi, la CGT a déjà fait part par ailleurs de sa non acceptation en l'état) de signer le texte amendant la réforme du Code du Travail en France. Il y a quelques mois encore, cela aurait paru inenvisageable, mais la pression présidentielle et gouvernementale qui a contraint les partenaires sociaux à s'accorder (faute de quoi ils légifèreraient d'eux-mêmes) a forcé les syndicats à assouplir leurs revendications et à mettre autour de la table patronats et syndicats afin d'envisager la réforme du travail en France.

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    A priori, rien à redire de cette négociation et de ces accords bilatéraux. La France à son tour entre dans l'ère de la flexicurité de l'emploi. Derrière ce borborygme (voire barbarisme), c'est à une transformation profonde du marché de l'emploi que ce concept laisse envisager. Dans flexicurité, il y a tout d'abord flexibilité de l'emploi avec la possibilité de licenciement facilité pour l'employeur, des contrats de travail simplifié, le recours aux contrats ponctuels de mission, selon les besoins de l'entreprise. Mais il y a aussi sécurité, c'est-à-dire sécurisation des parcours professionnels, indemnisations généreuses entre deux périodes d'emploi, obligation de formation, etc.

    Bref, sur le papier la flexicurité apparaît comme un idéal : preuve s'il en est, le modèle scandinave repose sur ce modèle, et leur taux de chômage et d'inactivité est beaucoup plus faible que l'ensemble des pays de la zone OCDE.

    <o:p> </o:p>

    A l'heure de la précarité de l'emploi, des trajectoires professionnelles multiples et diversifiées, de la mobilité sociale et professionnelle, il était nécessaire de réformer le Code du Travail. Peu d'individus aujourd'hui font leur carrière dans une même entreprise. Nous préférons multiplier les emplois, les qualifications, comme on multiplie les rencontres, les amitiés, les amours...

    <o:p> </o:p>

    Pour autant, cette flexi-sécurité à la française diffère sur certains points essentiels de la flexicurity scandinave en l'état actuel de ses propositions. Tout d'abord sur quoi repose le modèle scandinave ?

    Primo, la centralisation des organismes de l'emploi et de l'aide sociale sous un seul ministère. La fusion ANPE/ UNEDIC va dans ce sens en France.

    Deuxio, un code du travail très allégé avec peu d'intervention étatique au niveau de la législation. Là encore la volonté de vouloir « casser » la durée légale du travail va dans ce sens (même si depuis, M. Sarkozy est revenu dessus).

    Voilà pour la partie flexibilité du concept

    <o:p> </o:p>

    Regardons maintenant du côté de la partie sécurité : Le modèle scandinave allie un dialogue permanent et constructif entre des patronats et des syndicats puissants. En outre, les salariés sont très bien pris en charge par l'Etat en cas de chômage en bénéficiant de prestations élevés contre une obligation de trouver rapidement un emploi. L'obligation d'accepter un emploi au bout de trois propositions avec un suivi individualisé des chômeurs va dans ce sens, mais en revanche, les indemnisations chômage restent inchangées.

     

    Si ce mode de fonctionnement semble bien marcher au Danemark ou en Suède, avec un taux de chômage autour des 5%, il n'en reste pas moins que la culture scandinave diffère de la culture française.

    <o:p> </o:p>

    Le point essentiel sur lequel les divergences entre les deux situations me semblent suffisamment grandes pour faire peser le risque d'un surcroît de flexibilité de l'emploi par rapport à la sécurisation de ce dernier repose sur le dialogue entre partenaires sociaux.

    A la différence des économies scandinaves, le syndicalisme français est faible, très faible même. un seul chiffre qui atteste du fossé qui sépare nos deux modèles : la Suède a un taux de syndicalisation supérieure à 80% quand la France peine à atteindre les 10%. Et cela n'est qu'une moyenne, car sur ces 10% l'essentiel se concentre dans la fonction publique ; pléthores d'entreprises privées (notamment les PME de moins de 50 salariés) n'ont pas de représentants syndicaux.

    Dans ce cas, de quel point pourront peser les syndicats face au patronat dans les négociations internes ?

    <o:p> </o:p>

    Ce n'est pas parce qu'un modèle fonctionne ailleurs, qu'il fonctionne partout : le Danemark, la Finlande, la Suède ne sont pas la France. Des différences majeures existent entre notre pays et les pays scandinaves : démographique tout d'abord (sans doute un aspect important), social et culturel ensuite (individualisme beaucoup plus marqué), historique (la lutte des classes n'a pas eu le même retentissement en Scandinavie que chez nous) et économique enfin (n'oublions pas que dans ces pays, la fonction publique occupe plus du tiers de la totalité des emplois).

    Certes, il est sans doute nécessaire et même indispensable de réformer le Code du travail, mais il ne s'agit certainement pas de le transformer pour de mauvaises raisons qui renvoient à des considérations idéologiques plutôt que réellement sociales et économiques. Dire que la flexibilité réduit le chômage (« en licenciant plus facilement, on emploie plus facilement ») relève d'une pure rhétorique libérale : la réalité est bien plus complexe, d'autres variables entrent en jeu. Si on ne retient que celle-ci, on comparera (on le fait toujours) avec les chiffres du chômage aux USA ou e Grande-Bretagne là où la flexibilité est maximum et le chômage relativement faible. Mais alors, c'est focaliser le regard sur un aspect du problème. Si on ouvre un peu plus le diaphragme, on constate que dans ces mêmes pays, la précarité est bien supérieure à la France : le nombre de travailleurs pauvres ne cesse d'augmenter. Bien sûr, ces individus ne sont pas au chômage, bien sûr ils travaillent – 2 heures, 4 heures par semaine – mais leur condition de vie sont misérables.

    Autre raison invoquée par les chantres de la libéralisation du marché du travail : La mondialisation appelle la compétitivité : il faut donc réduire les coûts de production qui pèsent sur les entreprises : mais c'est encore un faux problème ! Ce n'est pas en diminuant la masse salariale qui pèse sur l'entreprise (c'est-à-dire en flexibilisant la main d'œuvre) que celle-ci pourra concurrencer des pays où les salaires sont en moyenne 4 fois inférieurs à la France. Les idéologues ne sont pas à un paradoxe près. Laisser cette idée se répandre, c'est comme si l'on considérait une compétition sportive où deux équipes de football se rencontraient pour la victoire : d'un côté, l'équipe la mieux formée, mais aussi aux salaires les plus élevés, de l'autre la plus jeune aux salaires bien moindres. L'issue peut paraître effectivement incertaine. Ce n'est pas l'âge de l'équipe ni le salaire des joueurs qui font la motivation (encore que...). A une différence près, c'est que l'équipe la mieux formée part avec un handicap de 3 buts. On peut faire tout ce que l'on veut : le handicap de départ est presque toujours insurmontable.

    <o:p> </o:p>

    Alors, oui à la réforme du Code du travail, mais à condition que flexicurité ne rime pas seulement avec précarité. Mais que la dimension protection des salariés et des chômeurs s'en trouvent également renforcée. Pour s'assurer de la sécurisation des parcours professionnels, ils s'agirait de réformer à son tour  le syndicalisme en France en le rendant plus fort, plus puissant, plus à même de peser dans les négociations avec le patronat.


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