• En passant devant une affiche publicitaire vantant les mérites d'un lave-linge au design futuriste, ce slogan en guise de marketing en bas de l'affiche : « we work, you play ».

    Immédiatement, cette évidence : c'est un simple slogan publicitaire, certes, mais il n'en demeure pas moins significatif. On sait combien les slogans doivent aux « descripteurs » du social, aux « scruteurs » des tendances culturelles et morales, ces « façonneurs » zélés de notre imaginaire collectif.

    Donc simple slogan certes, mais slogan en forme de constat qui vaut légitimité.

    We work you play : Phrase sibylline, mystérieuse, presque assassine qui se gausse de réduire l'entièreté d'une société, de ses membres, de nos comportements, de notre fonctionnement psychique et social en quatre petits mots. Qui sonne comme un couperet sur l'état de dualisation croissante de nos sociétés. D'un côté ceux qui travaillent durs et toujours plus, les « manipulateurs de symboles » selon l'expression consacrée par Robert Reich, enfermés dans leur tour d'ivoire, inconnus du grand public, gourous modernes, postmodernes mêmes d'une société qui se cherche un sens, des valeurs, une idéologie collective. Ces « golden workers » forment à eux seuls un groupe social relativement homogène, disposant des capitaux culturels et économiques, marchands de rêves sédentarisés, urbanisés, errant dans les sphères du pouvoir et de décisions. Oserai-je aller jusqu'à employer le terme de « caste » sociale (plutôt que celui de classe sociale), fermée, verrouillée de l'intérieur, à l'entrée minutieusement filtrée, quasi-héréditaire.

    A l'autre bout de la chaîne, l'immensité vague et infinie de la masse humaine, c'est-à-dire du consommateur lambda, prêt à s'agenouiller devant ces nouvelles idoles. Finie les classes sociales, finis les conflits sociaux, les luttes pour le pouvoir, les inégalités sociales. Place à l'infernale uniformité du consommateur, ces fameux « players ».

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    We work you play. Que nous disent-ils ces quatre mots? Qu'eux travaillent pour nous, qu'ils veillent sur nous et que pendant ce temps nous pouvons errer à la recherche de notre satisfaction quotidienne. Jouez ! Nous travaillons ! En une phrase est englobée l'évolution et la transformation historico-sociale de nos sociétés contemporaines. Le temps de l'homo faber est dépassé. Voici venir le temps de l'homo ludens !

    A nos portables citoyens ! Formons nos bataillons ! Mais de bataillons ici il n'est question que de risibles et  ludiques soldathèques ! L'affrontement est virtuel parce que l'ennemi a disparu. Ou plus exactement l'ennemi a changé, il s'est « ludocisé » (pardonnez le néologisme, mais cela fait aussi partie du jeu !). Désormais, l'ennemi est tout proche et pourtant si distant, invisible et introuvable. L'ennemi c'est moi-même, moi-même comme un autre, simple player évoluant quelque part à l'autre bout du monde, inconnu rencontré au hasard d'une partie.

    <o:p> </o:p>

    Mais le danger est grand. L'homo ludens ne consacre pas tant l'individu libre que l'individu libéré. Libéré des contraintes sociales, de la pression professionnelle, des décisions politiques, de la morale judéo-chrétienne, voire même libéré de lui-même. Mais tout ceci est un leurre !

    L'homo ludens ne désire plus, il vit dans la satisfaction immédiate, dans le ravissement et le contentement permanent. L'homo faber était dans le désir, il participait à la réalisation de la société, il était un maillon de la chaîne. Mais pour pouvoir jouir de son statut, il lui fallait d'abord fabriquer, travailler. Ici, plus rien de tout cela. L'homo ludens est enfermé dans un présent perpétuel. Le futur n'existe plus, car le désir est mort. Seul le plaisir compte. Il n'est plus un maillon de la chaîne, mais le simple récipiendaire détaché de tout lien. Défait de la chaîne, il s'en trouve libéré, mais dans le même temps, il en est l'esclave ex post, car il n'a plus aucun pouvoir sur celle-ci. Alors pour mieux s'oublier, pour mieux se leurrer lui-même, il use d'un moyen de substitution efficace : il joue. Il jouit.

    <o:p> </o:p>

    We work you play : constat au cynisme implicite : amusez vous tant que vous pouvez, riez, jouez, baisez, profitez ! Faites vous plaisir ! Nous travaillons pour vous, à votre propre plaisir, dans l'ombre. Ne désirez plus, mais jouissez toujours plus ! Noyez vous dans une opulence de jouissance ! Il sera bien temps de faire les comptes après !

    <o:p> </o:p>

    We work you play : quatre mots qui mieux que tout autre désigne l'état de délitement social de nos sociétés contemporaines. Dissociation croissante entre d'un côté, ceux qui font l'histoire, qui créent les richesses, qui disposent du pouvoir, de l'argent, qui orientent les décisions, la morale, etc. qui sont souvent les mêmes. De l'autre, la masse infinie des individus consommateurs atomisés, absorbeurs jusqu'à l'excès des crépitements médiatico-publicitaires, mais absorbeurs contraints, dominés, assujettis qui pourtant ne se rebellent pas.

    Et pourquoi ? Pourquoi si peu de rébellion ? Pourquoi pas le moindre petit vent de révolte ? Le tocsin sonne pourtant mais personne ne l'entend. La réponse est là, devant nous, sous nos yeux, obséquieuse, insolente, dans ce slogan simple, court, carré, efficace, et d'une impitoyable vérité cynique (cynique  parce que vrai !) : we play !

     


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    Je viens vous conseiller la lecture d'un ouvrage de sociologie (fait par un économiste) intitulé « Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social » publié en 2006 dans la Collection « La République des idées ». Essai très stimulant et très instructif sur la question du communautarisme et de la ségrégation sociale.

    L'auteur, Eric Maurin (économiste donc), commence par battre en brèche les idées reçues au sujet de la ségrégation sociale. L'idée selon laquelle la ségrégation correspondrait à la simple relégation de certains quartiers dits sensibles où se concentreraient l'essentiel des difficultés et des problèmes d'ordre sociaux (délinquance, violence, échec scolaire, pauvreté, chômage, précarité) n'est qu'une partie d'un problème beaucoup plus large.

    Il n'y a pas d'un côté – la grande majorité – des inclus, et de l'autre les exclus qui vivent en marge du système. Inclus et exclus appartiennent à une même structure sociale dans laquelle chacune des deux catégories interagissent l'une sur l'autre.

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    Le travail de recherche effectué par l'auteur repose sur deux constats essentiels et véritablement riches d'enseignement pour toute action politique qui voudrait agir sur la « mixité sociale » de manière efficace. Les deux idées maîtresse de l'ouvrage, empiriquement vérifiées consiste même à inverser les discours du sens commun (discours qui repose sur ce que Bourdieu appelait une « sociologie spontanée », c'est-à-dire une espèce de croyance sociale entretenue a priori sans vérification expérimentale et scientifique). En effet, l'idée répandue selon laquelle le repli sur soi serait la source première de la ségrégation est ici remise en question. Pour le dire simplement, ce n'est pas tant le communautarisme qui fait la ségrégation que le rejet et l'ostracisme qui induisent le repli communautaire.

    En outre, deuxième élément essentiel de l'analyse de l'auteur, qui encore une fois résonne comme un appel à la vigilance intellectuelle et aux raccourcis idéologiques trop rapides, celui-ci démontre, chiffre à l'appui que le communautarisme n'est pas tant l'affaire des plus démunis, de la France d'en bas, que celle des groupes sociaux les plus favorisés, de la France d'en haut.

    Pour l'auteur, le ghetto français comme il le nomme « n'est pas tant le lieu d'un affrontement entre inclus et exclus que le théâtre sur lequel chaque groupe s'évertue à fuir ou à contourner le groupe immédiatement inférieur dans l'échelle des difficultés. » (p. 6.)

    <o:p> </o:p>

    Sa thèse principale est la suivante: Pour lui, la ghettoïsation est avant tout le fruit d'une ghettoïsation élective par le haut de la société qui entraîne par effet report, une ghettoïsation subie par le bas. Ce qui explique entre autres l'inefficacité des politiques de la ville depuis le début des années 80 qui se concentrent sur une vision réductrice et faussée de la ségrégation, considérant celle-ci comme le résultat d'un appariement des pauvres entre eux. Or, casser les zones, reloger les gens ne fait que déplacer le problème qui est beaucoup plus général et qui renvoie à la morphologie sociale des territoires.

    Le diagnostic qui repose sur une lecture inclus/exclus est erroné. C'est l'ensemble du territoire qui est sclérosé, compartimenté.

    <o:p> </o:p>

    Méthodologie 

    L'auteur pour répondre à sa thèse, va s'appuyer sur une méthodologie particulière. Il va reprendre les enquêtes Emploi de l'Insee. En effet, celles-ci mesure l'activité professionnelle des individus sur un recensement de 4000 lieux géographiques, auxquels s'adjoint un recensement du voisinage proche. (30 à 40 alentours). En disposant d'un échantillon représentatif de petits voisinages de 30 à 40 logements, l'auteur bénéficie d'un outil important de mesure de la répartition sociale de la population et de l'effet de mixité sociale.

    Pour calculer cette mixité/ségrégation, l'auteur observe la situation de voisinage étudiée qu'il compare à ne situation de mixité sociale idéale. L'écart constaté révèle la part de sélectivité, d' «entre-soi » de l'espace urbain, et donc plus généralement les formes de ségrégation sociale.

    <o:p> </o:p>Il en ressort que la société de l' « entre-soi » qui se développe tend à renforcer les inégalités sociales et les injustices sociales plutôt que les réduire. Pour l'auteur, cette recherche de l'entre-soi résidentiel est à comprendre comme une recherche de sécurité, une forme de « rassurance » sociale contre l'effritement du lien social, la fragilisation des relations sociales d'emplois notamment. On le constate avec les taux d'emménagement. Si ceux-ci restent élevés, si la mobilité continue d'être importante contrairement aux idées reçues (même si elle est en baisse), elle demeure enclavée. C'est une mobilité limitée. Ceux qui arrivent sont les mêmes que ceux qui sont installés, aussi bien dans les quartiers riches ou pauvres. (Ex de l'arrivée du TGV Est et la concentration des plus aisés dans les centres-villes, relégation des classes moyennes aux banlieues périphériques (pavillons, résidences).

    Ce communautarisme d'éviction de la part des groupes favorisés vis-à-vis des groupes les plus démunis, répond à la relégation sociale et professionnelle d'une frange de plus en plus importante de la population, qui en se liant ensemble, retrouve une forme de lien social plus horizontal lorsque le lien vertical semble faire défaut.

    Le communautarisme tel qu'il se développe en France est un communautarisme de protection en réaction à une situation de précarisation généralisée du marché du travail notamment. <o:p> </o:p>En conclusion, il s'agit de souligner que la ghettoïsation est davantage une conséquence, une réponse à la stigmatisation des élites, une forme de communautarisme d'attente de la part des plus démunis qu'une construction volontaire d'un espace sécessionniste, de mise à l'écart, d'exclusion. C'est davantage en réaction à la stigmatisation des « inclus » que les plus démunis se regroupent entre eux, sachant toutefois que si cette forme de ségrégation reste la plus visible (socialement la moins admissible, car elle est porteuse de toutes les inégalités), elle est aussi plus diffuse. La concentration des pauvres est davantage a appréhendé comme une conséquence de la ghettoïsation des riches que le contraire.

    Contrairement aux idées reçues encore une fois, ce sont dans les couches populaires que l'on constate que la mixité est la plus forte. L'entre-soi est beaucoup plus prégnant chez les riches que chez les pauvres. Les réseaux d'information, de communication, de solidarité sont aussi plus faibles, les liens de sociabilité plus restreint.

    <o:p> </o:p>

    Ainsi, ce petit livre d'une centaine de pages, bien construit, solidement étayé, très bien écrit dans un style et une syntaxe accessibles est un véritable stimulant pour la réflexion et la compréhension plus générale des modalités de fonctionnement de nos sociétés contemporaines et des injustices sociales grandissantes.

    <o:p> </o:p>

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    Suite à l'émoi général suscité par l'affaire du pédophile multirécidiviste Francis Evrard, voilà que le gouvernement et Nicolas Sarkozy s'affairent à réagir énergiquement à cette vague d'incompréhension (d'indignation ?) qui a traversé à juste titre l'ensemble de la société. Assurant avec force et conviction la mise en place de nouveaux dispositifs pour traiter plus efficacement les cas des multirécidivistes (pédophiles, violeurs et autres criminels pulsionnels), M. Sarkozy n'a pas eu peur d'employer le terme de « castration chimique ».

    <o:p> </o:p>

    Certes, voilà la plèbe rassurée devant tant d'ardeur à défendre la sécurité et le bien-être de chacun. Mais derrière les discours, derrière la vivacité et la promptitude toute sarkozyenne à ré-agir à l'événement, il convient de prendre un peu de distance, de dé-focaliser l'objectif pour l'ouvrir au plan large.

    <o:p> </o:p>

    Castrer les pédophiles est une mesure forte, symbolique, à l'impact médiatico-sémantique puissant. Mais la castration, loin d'être la solution miracle, apparaît davantage comme une mesure d'urgence, prise sans concertation avec les professionnels de la santé, médecins, psychiatres, psychologues et autres spécialistes. Il semble ici nécessaire de rappeler que la castration ne résout pas tous les problèmes. En rien, elle n'empêche le désir. La castration n'est qu'un instrument parmi d'autres (et certainement pas le plus efficace) dans l'arsenal préventif/répressif contre les risques de récidives.

    En effet, le désir sexuel ne prend pas sa source au niveau de l' « entrejambe » mais dans le cerveau, au sein d'une glande particulière appelé l'hypophyse. Cette glande sécrète une hormone qui va activer l'afflux sanguin au niveau du pénis (je résume brièvement) et qui va à son tour rétro-agir sur l'hypophyse.

    Castrer un pédophile n'annihile donc pas le désir d'enfant. Il empêche simplement la possibilité de passage à l'acte. Néanmoins, inutile de crier victoire pour autant, car rien n'empêche le violeur d'user d'instruments pour arriver à ses fins. En outre, il est inutile de souligner que le viol ne nécessite pas qu'il y ait pénétration. Les attouchements, caresses et autres attitudes obscènes sont des actes tout aussi criminels que la castration n'empêche aucunement.

    On le voit, la castration n'est qu'un élément, et très certainement l'ultime, parmi d'autres pour prévenir et éviter la récidive.

    <o:p> </o:p>

    En outre, se centrer sur le problème de la castration revient également (volonté délibérée ou non ?) à nier une partie du problème en ne se focalisant que sur un aspect de celui-ci. En effet quid des femmes pédophiles ?

    Si la question mérite d'être posée, elle remet en cause le principe même des mesures répressives évoquées par M. Sarkozy. La pédophilie féminine, tabou suprême au même titre que l'inceste, tant l'imaginaire associée au féminin conduit à penser la femme comme une mère attentive et attentionnée, est pourtant une réalité quotidienne dont nombre de magistrats se font l'écho.

     

    Des mesures doivent être mises en place pour traiter des risques de récidives des criminels pulsionnels, mais l'exemple de la castration (chimique ou physique par ailleurs), s'il permet d'avoir un écho médiatique puissant, n'en demeure pas moins un mode d'intervention ultime, rare et rigoureusement encadré. Sans parler des problèmes éthiques qu'une telle mesure peut poser...

    <o:p> </o:p>

    En outre, mais je ne ferai que souligner la chose sans entrer dans le détail, l'obligation de soins assortie à ce type de criminel ne s'avérera efficace qu'à la condition que le patient lui-même accepte ce traitement. En effet, rien n'est moins inefficace dans le domaine médico-psychiatrique qu'un traitement unilatéral, dans lequel le soigné ne s'impliquerait pas. Pour qu'un suivi et un traitement thérapeutique fonctionne et agisse efficacement sur l'individu, il faut que ce dernier le considère comme légitime en adhérant au suivi mis en place. Malheureusement, comme dans beaucoup d'autres domaines, pas d'efficacité sans adhésion. Occulter tous ces points risquerait de faire de ces mesures annoncées une sorte de victoire à la Pyrrhus. Ou les résultats affichés souligneront davantage les apories des mesures préconisées que la bonne foi du politique.

    <o:p> </o:p>

    Pour finir, n'oublions pas cependant de souligner que dans plus de 75% des situations, le criminel ne récidive pas. Certes, même si  1% reste toujours trop, il ne faut pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain des mesures annoncées.

    <o:p> </o:p>Pour un résumé bref du sujet, voir le lien suivant : http://www.lemonde.fr/web/video/0,47-0@2-3224,54-946396@51-945111,0.html

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  • Bonjour,

    après plusieurs semaines de silence, me voici de retour.  La difficulté à tenir un blog à jour me fait préférer les billets succincts et j'espère incisifs (quand le sujet s'y prête) à la litanie du quotidien, cette fameuse et fabuleuse "aventure de la grisaille" comme aimait à l'appeler Roger Caillois, anthropologue dont je conseille par ailleurs vivement la lecture, notamment sur les notions de sacré et de profane (titre de l'un de ses ouvrages), ainsi que sur la théorie de la fête entendue comme effervescence collective et transgressive.

    Mes cours reprennent prochainement. Mes vacances se sont achevées après deux semaines magiques au Maroc. Me voilà de retour devant mon écran et mon clavier à glaner de nouvelles infos, à plonger dans la lecture d'ouvrages sociologiques afin de préparer mes cours pour la rentrée et tenter de vous faire part à nouveau de mes réflexions sur l'actualité ou sur des lectures effectuées.

    A bientôt. 

     


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