• <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Aura lieu ? Aura pas lieu ? De quoi ? Le débat ! Quel débat ? Mais le débat du deuxième tour ? Evidemment qu'il aura lieu, le 2 mai au soir même, c'est prévu ! Non ! L'autre débat, celui dont tout le monde parle depuis trois jours ! Bayrou/Royal ! Le Débat, le Vrai ! Celui qu'on nous interdit ! Alors, il aura lieu ?

    Depuis trois jours, le microcosme politique, médiatique et l'ensemble des citoyens (une fois n'est pas coutume) sont tous frénétiquement agités par ce duel incroyable, parce qu'impossible. Une finale à trois, c'est du jamais vu ! C'est un scandale éhonté, hurlent les sirènes sarkozyennes depuis Paris. C'est une des vertus de la République de respecter la parole et la liberté de chacun rétorque la cohorte bayrouiste. Rien ne doit être interdit au nom d'un quelconque principe coutumier non inscrit invectivent les ségoliens.

    Non décidemment, cette campagne n'aura rien à voir avec les précédentes, et ce jusqu'au dernier jour ! Une finale à trois, avec un éliminé qui sort triomphant et un vainqueur glorieux du premier tour qui cherche à exister au second.

    Incroyable nous dit-on ! Supercherie, vandalisme, terrorisme intellectuel se pourfendent certains. On en est presque à oublier ce fameux débat des « vrais » finalistes.

    La démocratie a tranché, elle a choisi Mme Royal et M. Sarkozy. Point barre. Après cela, circulez ! Y' a rien à voir !

    Sauf que justement si ! Il y a quelque chose à voir !

    Ces deux finalistes sont tiraillés par leur dauphin commun, puisqu'ils savent que c'est au goal average qu'ils gagneront la finale, et donc tout dépend de la place du troisième. Tous deux se savent finalistes, mais la place de vainqueur et de second se décidera en fonction du match improbable qu'il leur reste à livrer. Celui du centre.

    Un partout, la balle au centre pourrait-on ironiser !

    Car l'affaire est bien là ! Nicolas a beau se gausser de réclamer une finale aux finalistes, qu'une finale de coupe du monde « ça se joue entre les deux premiers, jamais avec le troisième », il oublie aussi que parfois, c'est le troisième qui peut faire chuter le vainqueur.

    Deux sprinteurs et un rouleur. Le rouleur sait très bien qu'il ne gagnera pas à la « régulière » contre les deux sprinteurs. Mais il peut profiter de leurs positions. L'un des deux sprinteurs essayera de prendre sa roue pour assurer sa victoire. M. Sarkozy le sait, lui qui fait du vélo ! Le meilleur au final est celui qui a su prendre la bonne roue.

    Il y a quelque chose de sain à vouloir écouter la parole de 8 millions de français au moment de choisir son futur président. Il y a quelque chose de fondamentalement démocratique à ne pas vouloir éliminer les petits. Il y a en revanche quelque chose de parfaitement inadmissible à ne pas vouloir discuter avec autrui. Sous prétexte que l'on soit sorti de la course, on deviendrait un paria, un simple rejeton avec lequel il serait indigne de discuter, d'échanger. Une chiquenaude à balayer d'un revers de main ?

    Mai quel danger porte donc M. Bayrou pour inquiéter à ce point M. Sarkozy ? 8 millions d'électeurs potentiels peut-être ? Il faudrait donc les faire taire ? Les laisser dans l'expectative, ne pas les consulter ? Il suffirait de les contraindre à opérer un choix sans discussion préalable, sans échange d'idées. 

    Il n'y a rien de choquant à discuter avec le coureur éculé. Tant qu'on laisse la gloire au vainqueur et la finale aux finalistes. Ils auront bien le temps de s'expliquer le 2 mai. Pourquoi interdire le dialogue, pourquoi refuser l'ouverture, le débat, l'échange d'idées avec les autres entre temps ?

    Non, il est indigne de ne pas écouter près de 8 millions d'électeurs. La démocratie, ce n'est pas la dictature du plus fort, du plus grand nombre contrairement à une idée reçue. La démocratie, si elle se veut idéale, doit laisser s'exprimer les voix de tous. La démocratie, c'est aussi la possibilité d'écoute des petits, la liberté de ton des perdants, et pas seulement l'apanage des vainqueurs. Ne reste alors de démocratie que le nom, car le peuple est déjà ailleurs. Mais l'honneur est sauf, la République et la démocratie en sortent grandie : le débat aura bien lieu. D'ailleurs il a déjà eu lieu à l'heure qu'il est. Vive la démocratie ! Vive la République ! Mais pour combien de temps encore...

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

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  • Tours, le 27 avril

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    Je constate que M. Bayrou prévoyait de supprimer les charges sociales qui pèsent sur l'emploi pour les deux premiers contrats signés au sein de l'entreprise. Personnellement, je trouvais l'idée séduisante. Néanmoins, j'aurais préféré qu'elle reste cantonnée aux PME qui connaissent effectivement des difficultés importantes de recrutement à cause des charges sociales et patronales qui pèsent sur l'emploi. En revanche, les grandes entreprises, cotées en Bourse ne méritent pas d'être aussi bien traitées. Tout simplement parce qu'aujourd'hui, à l'heure du capitalisme financier, les profits issus de la production ne servent qu'à entretenir le retour sur investissement des actionnaires.

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    </v:textbox><?xml:namespace prefix = w ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:word" /><w:wrap type="square"></w:wrap></v:shape>

     Les managers des grands groupes industriels, sont souvent contraints mais également complices de cette manoeuvre (cela fait grossir leur stock-option), qui, pour séduire de nouveaux investisseurs financiers, essaient de tirer un maximum de profits, en faisant jouer à la baisse les coûts de production (délocalisations, automatisation, centralisation et économies d'échelles, etc.) et plus particulièrement ceux qui s'abattent sur les coûts salariaux et l'emploi. Or, si ces profits permettaient encore d'investir par le passé, et ainsi d'entretenir et de renouveler l'emploi, on sait très bien que ces profits sont pour l'essentiel avalés par la "gloutonnerie" des actionnaires. En 2005, la somme versée aux actionnaires représentait environ 60% de l'excédent brut d'exploitation, c'est-à-dire du profit des entreprises! Je trouve que ce cadeau aux grandes entreprises n'est pas une solution adaptée alors même qu'elle l'est pour les PME. Or, justement, Mme Royal a estimé hier soir sur TF1 que la proposition de F. Bayrou méritait d'être discutée au niveau des TPE et des Pme innovantes ou en difficulté pour recruter. Qu'en revanche, le problème ne se posait pas en ces termes pour les très grandes entreprises.

    <o:p> </o:p><v:shape id=_x0000_s1026 type="#_x0000_t202"><v:textbox>

    <v:shape id=_x0000_i1026 type="#_x0000_t75"><v:imagedata src="file:///C:\DOCUME~1\UTILIS~1\LOCALS~1\Temp\msohtml1\01\clip_image003.jpg" o:title="medium_bayrou_Olivier_Roller__3"></v:imagedata></v:shape>

    </v:textbox><w:wrap type="square"></w:wrap></v:shape>

    En outre, le problème de l'emploi est beaucoup plus complexe qu'il n'y parait. C'est à une refonte structurelle de l'économie qu'il faut s'atteler. Nous savons très bien qu'aujourd'hui l'essentiel de l'emploi se concentre sur l'emploi qualifié, ce qui pose des problèmes importants concernant les travailleurs non qualifiés. Nos sociétés sont entrées dans l'ère de la post-industrialisation et des services. Or, quid des travailleurs non qualifiés?  Le principe de destruction-création (Joseph A. Schumpeter) permet peut-être de renouveler le travail et de favoriser l'innovation mais il se fait dans un sens précis et irréversible : celui d'une destruction des emplois non qualifiés vers celui de la création d'emplois qualifiés. Si vous détruisez les emplois de caissiers dans les grandes surfaces, pour y mettre des machines automatisées à la place, vous créez du chômage supplémentaire. Mais cette disparition d'une forme d'emploi est aussi créatrice d'une autre forme d'emploi : il faudra des spécialistes en informatique, des ingénieurs, etc. pour faire fonctionner et entretenir ces mêmes machines. Peut-être qu'au total, le stock d'emploi restera le même, mais les emplois nouvellement créés diffèrent radicalement des emplois supprimés. Ce sont les travailleurs à faible qualification qui trinqueront!

    Certes, les entreprises sont au centre du processus économique. Ce sont elles qui créent des biens, des richesses, qui investissent, qui emploient et qui permettent de consommer. Mais encore faut-il que la répartition des richesses créées se fasse de manière équitable. Je sais que le politique n'est plus maître à bord, et que l'économie mondialisée lui laisse peu de marges de manoeuvre. Mais s'il y a encore bien un domaine qui lui est propre c'est celui de la redistribution. L'économie permet de produire des richesses, elle permet de distribuer les revenus engendrés par la production de ces richesses et elle permet la consommation. Mais le politique peut encore intervenir au niveau de cette redistribution, pour essayer de la rendre la plus équitable possible. Pourquoi ne pas taxer les grandes entreprises qui n'embauchent pas alors même qu'elles s'implantent sur des zones franches, ou qu'elles bénéficient d'avantages fiscaux de la part de l'Etat. Pourquoi à l'inverse ne pas récompenser les entreprises qui embauchent, qui produisent et qui sont créatrices de richesses et porteuses d'innovations. Ceux qui mettent l'entrepreneur au centre (à juste titre je pense) du système ne sont pas sans savoir que J. Schumpeter préconisait déjà de mettre en place un tel système. Les entreprises qui embauchent doivent être récompensées. De la même manière, il me semble judicieux pour ceux qui souhaitent effectivement travailler davantage de retirer les charges sociales qui pèsent sur les heures supplémentaires comme le prône M. Sarkozy. Cependant sa vision est purement idéologique et ne servirait que l'entreprise et non le travailleur, car celle-ci privilégierait l'emploi d'heures supplémentaires sans coût supérieur plutôt que l'emploi de nouveaux salariés. Oui, pour la suppression des charges qui pèsent sur les heures supplémentaires à condition d'y lier une obligation d'embauche en parallèle, ou pour le moins des sanctions pour les entreprises qui useraient trop des heures supplémentaires sans créer d'emplois.

    Je pense qu'il faut un vrai débat de fond sur la question de l'emploi car il n'y a pas de recettes miracles, ni de solutions simples ou idéologiques. Je pense aussi qu'il est nécessaire de distinguer les PME des grandes entreprises qui ne sont pas confrontées aux mêmes problèmes et réalités économiques. Les premières sont globales et dépendantes du capitalisme financier. Les secondes sont encore beaucoup plus ancrées dans le tissu local et souvent liées à un capitalisme familial ou à l'autofinancement. Ce sont donc deux systèmes forts éloignés qu'il faut traiter séparément. Et je constate avec plaisir que Mme Royal s'oriente vers une approche similaire en reprenant à son compte une proposition de F. Bayrou à ce sujet, tout en la restreignant aux seuls TPE et PME, ce qui me semble devoir être une bonne chose. Il n'y a qu'à regarder le cas symptomatique et tragique d'Airbus. On licencie 10 000 salariés, afin de relancer l'activité de l'entreprise (admettons !) mais on laisse partir le dirigeant avec 8 000 000 d'euros d'indemnités alors même que l'entreprise se sépare de ses salariés pour faire des économies. Sauf à dire que les 8 millions proviennent du licenciement des salariés, où est la justesse du partage ? Sans être révolutionnaire dans l'âme, on peut quand même resté dubitatif et même choqué devant un tel système obséquieusement inégalitaire.


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  • Colmar, le 24 avril 2007.

    Quelques lignes pour dire ma satisfaction à constater que le débat de l'entre deux-tours aura bien lieu, et dans les conditions traditionnelles du véritable débat, avec opposition et confrontations d'idées. Certains parlent de faux débats, d'une confrontation pour la forme, entre bonnet blanc et blanc bonnet.

    Je ne le crois pas. si l'on s'en tient aux deux grandes écoles de pensée qui traversent et animent toujours les deux grands courants encore majoritaires du pays, nous avons toujours une opposition structurelle sur l'approche économique. Certes, le parti socialiste est acquis à l'économie de marché , certes, le rôle de l'Etat se trouve être de plus en plus réduit dans l'économie mondialisée, mais néanmoins, il demeure des possibilités d'action et des stratégies économiques d'essence différentes entre la gauche et la droite. Pour faire simple, la gauche est keynésienne, tentant d'agir davantage au niveau de la politique de la demande, tandis que la droite reste libérale, d'orientation néo-classique, essayant d'agir sur les politiques de l'offre. La réalité est plus complexe, mais la dimension interventionniste reste plus importante à gauche qu'à droite. Certes, pour Sarkozy comme pour Royal l'économie de marché doit être régulée. Plus personne ne croit à l'optimisation parfaite par l'autorégulation des marchés (encore que!), mais les moyens mis en oeuvre pour intervenir diffèrent sensiblement selon l'un(e) ou l'autre.

    Certes, me direz-vous, il n'y a pas que l'économie dans la vie. Il y a aussi le social, le religieux, les valeurs, etc. Mais le religieux appartient au privé, les idées sur les valeurs sont globalement partagées à l'identique par les deux candidats, il reste le social. S'il est important (essentiel à mes yeux) il demeure néanmoins grandement attaché à l'économique. Mais c'est peut-être là que les divergences de vues sont les plus flagrantes.

    Si Ségolène s'oriente vers un projet qui lie le social et l'économique, Sarkozy veut les traiter différemment, séparément. A chacun de faire un choix en connaissance de cause.

     


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  • Ségolène/Sarkozy, : le duel tant attendu aura donc bien lieu. J'avais prédit un taux de participation de l'ordre de 82% n'osant rêver davantage. je m'étais trompé de peu.

    Jamais autant sondages n'auront été critiqués, et jamais autant sondages n'auront été si "vrais". Nous voilà amené à choisir entre un projet socialiste et un projet libéral. Le bipartisme a eu peur, il aura réussi à vaincre. Néanmoins, qu'on ne s'y trompe pas. Parti de rien, ou de si peu, F. Bayrou a su fédéré autour de lui un nouveau courant, une nouvelle façon de faire et de voir le monde politique. Un Centre est né ce soir en France. C'est peut-être là la véritable victoire historique du 22 avril 2007.

    Mais pour l'instant il va nous falloir choisir, entre deux projets de société, entre deux visions antagonistes des rapports sociaux et économiques. Encore que, loin d'avoir un effet réel et positif sur la vie économique du pays, nos deux prétendants à l'investiture sacrée s'en remettent aux seules valeurs, ces idoles contemporaines à forte charge symbolique.

    Certains parlent d'un choix cornélien, d'uin choix impossible. Entre la peste et le choléra, comment choisir?  De peste, n'exagérons rien, elle n'est pas suffisamment contagieuse pour se répandre à l'ensemble de la population française. De choléra, sachons ironiser et prétendre qu'il s'agit davantage de "colérique" au tempérament versatile et étrangement inquiétant.

    Au premeir tour, nous choisissons, au second nous éliminons. Et bien éliminons! Et d'un mal n'en faisons pas un pire. Je préfère encore la douce incertitude des idées à la tyrannie de la conviction.


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  • <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

    En ce jour d'élection, j'ai pris le parti de poster un court billet sur l'analyse du paupérisme faite par Tocqueville en 1835 et qui conserve une incroyable actualité.

    En 1833, après un voyage en Angleterre, Alexis de Tocqueville (1805-1859) se lance dans une réflexion sur les causes du paupérisme qui touche les pays en phase d'industrialisation. De cette réflexion sortira un essai, intitulé Le mémoire sur le paupérisme publié en 1835.

    Avant tout, il fait une distinction entre misérabilisme et paupérisme. Quand le premier touche les pays pauvres, non encore industrieux (Europe du Sud par exemple), le second est la spécificité des pays industriels, Angleterre et Nord de la France notamment à l'époque où il écrit. Le terme de paupérisme apparaît d'ailleurs en Angleterre en 1822.

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    ■ Tocqueville part du constat suivant, poser comme paradoxal, auquel il va tenter d'apporter une réponse. Comment expliquer ce phénomène en apparence contradictoire qui veut que ce soit dans les pays les plus riches que l'on observe la plus grande pauvreté ?

    <o:p> </o:p>

    A partir du XIXème en Angleterre et dans une moindre mesure en France, on assiste à un mouvement sans précédent d'exode rural et paysan. La situation misérable du monde agricole et rural entraîne ces derniers à quitter les provinces pour gagner les zones urbaines et trouver un travail en usine. De fait, dans les grandes villes naissantes, le brassage est dense, les migrations internes et externes importantes et la ville s'édifie cahin-caha dans une sorte de brouhaha généralisé, où les solidarités anciennes, familiales, communautaires et religieuses se délitent au profit de liens plus superficiels et informels. Les individus urbains se retrouvent plus isolés. En outre, l'arrivée massive de main d'œuvre des villages et campagnes constitue un vivier exceptionnel de forces productives pour l'employeur. Celui-ci dispose d'une « armée de réserve » conséquente, pour reprendre une terminologie marxiste, sur laquelle il peut faire jouer la concurrence et réduire de manière drastique le salaire. Si bien que l'ouvrier du XIX se retrouve dans une situation de pauvreté et d'indigence souvent plus grande que celle qu'il pouvait connaître dans les campagnes. Son salaire est un « salaire de subsistance », mais vient à lui manquer le travail, il lui manque aussi de quoi survivre. Le paysan, mal loti avait au moins la chance de subvenir à ses besoins.

    Voilà pour le constat. Mais Tocqueville va développer une analyse prospective d'une grande pertinence, à partir de la lecture de la situation historique, sociale et économique de l'époque, que l'on pourrait résumer à travers son propos suivant :

    « Plus une société est riche, industrieuse, prospère, plus les jouissances du plus grand nombre deviennent variées et permanentes. »

    Ainsi, plus un pays s'enrichit, plus de nouveaux besoins apparaissent pour contenter l'enrichissement de la société. Par exemple, des habits propres, de biens superficiels, deviennent une nécessité. Si bien que celui qui n'en dispose pas, faute de moyen, est considéré comme pauvre et nécessiteux. Il réclame son dû comme il réclamait autrefois de quoi se nourrir. L'habit devient produit de nécessité, au même titre que la nourriture. En revanche, Tocqueville constate qu'en Espagne, au Portugal, nulle nécessité de porter l'habit propre. La population vit misérablement, mais elle ne vit pas pauvrement. Le vêtement ne constitue pas un besoin impérieux. « Dans un pays où la majorité est mal vêtue, mal logée, mal nourrie, qui penserait à donner au pauvre un vêtement propre, une nourriture saine, une commode demeure ? » En revanche, dans une société industrieuse, qui s'enrichit (on parlerait de croissance économique et de développement aujourd'hui), des jouissances nouvelles apparaissent qui deviennent bientôt des besoins. « L'homme naît avec des besoins et il se fait des besoins » nous dit Tocqueville. De ses besoins nouveaux, il se fait un devoir de les combler, sans quoi il sera considéré et se considérera lui-même comme pauvre. Ainsi, plus une société s'enrichit, plus la pauvreté doit également aller en s'accroissant, sauf à y trouver un remède, un moyen efficace d'enrichir le plus grand nombre sans appauvrir le reste de la population. Ce constat est partagé par l'auteur. « Si toutes ces réflexions sont justes, on concevra sans peine que plus les nations sont riches, plus le nombre de ceux qui ont recours à la charité publique doit e multiplier, puisque deux causes très puissantes tendent à ce résultat : chez ces nations, la classe la plus naturellement exposée aux besoins augmente sans cesse et, d'un autre côté les besoins s'augmentent et se diversifient eux-mêmes à l'infini. » L'auteur fait preuve ici d'une incroyable perspicacité théorique et empirique qui se vérifie toujours près de deux siècles après (même si les Trente Glorieuses ont laissé croire à l'égalitarisme social, à tel point que certains sociologues ont pu parlé à cette époque de l' « embourgeoisement de la classe ouvrière »).

    <o:p> </o:p>

    Ainsi, plus un peuple, une société, un pays s'industrialise et s'enrichit, plus croît avec lui la part de sa population pauvre. Plus ces pauvres accèdent à des besoins, plus se créent de nouveaux besoins inaccessibles à eux-mêmes. Si bien que la richesse d'un pays peut se mesurer à l'ensemble des biens et services jugés comme « nécessaires » pour les individus qui y vivent. Plus un pays s'enrichit, plus ses « pauvres » s'appauvrissent puisque parallèlement à leur incapacité à subvenir à leurs besoins, s'ajoute de nouveaux besoins toujours indisponibles à leur situation.

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    ► Mais alors, comment faire pour éviter ce creusement économique et social entre riches et pauvres ? Comment faire pour éviter le mouvement de révolte sociale qui risque de se diffuser dans ces classes laborieuses, exploitées et indigentes qui constituent la manne principale de la société industrielle naissante ? C'est déjà le souhait que formulera Tocqueville bien conscient du danger social potentiel que représentent ces inégalités, et de l'inacceptabilité morale de la chose, en ces termes :

    «  A mesure que le mouvement actuel de civilisation se continuera, on verra croître les jouissances du plus grand nombre ; la société deviendra plus perfectionnée, plus savante ; l'existence sera plus aisée, plus douce, plus ornée, plus longue ; mais en même temps sachons le prévoir, le nombre de ceux qui auront besoin de recevoir l'appui de leur semblable pour recueillir une faible part de tous ces biens, le nombre de ceux-là s'accroîtra sans cesse. On pourra ralentir ce double mouvement ; les circonstances particulières dans lesquels les différents peuples sont placés précipiteront ou suspendront son cours ; mais il n'est donné à personne de l'arrêter. Hâtons nous donc de chercher les moyens d'atténuer les maux inévitables qu'il est déjà facile de prévoir. »

    <o:p> </o:p>

    Une vision fataliste en guise de conclusion, loin d'être rassurante quant à l'avenir des sociétés industrielles. Pour autant, Tocqueville souligne bien la nécessité de ne pas tomber dans une vision  manichéenne. « Fixons sur l'avenir des sociétés modernes un regard calme et tranquille. » Mais succèdera à cet appel à demi-masqué à l'intervention de l'Etat dans la régulation de l'économie moderne de la part de Tocqueville, la théorie libérale qui deviendra la théorie économique dominante, formalisé autour la thèse de la « main invisible » du marché d'Adam Smith, jusqu'à la fameuse crise de 1929. Pourtant, cette approche tocquevilienne de la paupérisation semble se réactualiser depuis une vingtaine d'années, avec l'apparition de la précarisation des parcours professionnels, de la désaffiliation sociale (R. Castel), des « working poor », invitant nos deux futurs prétendants à se décider sur les mesures politiques sociales et économiques à prendre pour enrayer, ou tout au moins, infléchir le renouveau des situations de paupérisation de nos sociétés hypermodernes.


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